Par Philippe Froute
Dernière mise à jour : août 2018

Au niveau européen, l’emploi n’est devenu un objectif qu’à partir du traité d’Amsterdam de 1997 qui a inséré la promotion d’un niveau d’emploi élevé parmi les objectifs de l’UE. La politique de l’emploi relève de la compétence des Etats membres. Toutefois, la même année, l’Union européenne a réuni un sommet européen exceptionnel sur l’emploi à Luxembourg où les dirigeants européens ont lancé la stratégie européenne de l’emploi qui visait à coordonner les politiques nationales dans ce domaine (section 1.1). Pour ce faire, les Etats-membres disposent de plusieurs instruments qui permettent de construire cette coordination au niveau européen (section 1.2).

1. La politique européenne de l'emploi

1.1. La Stratégie européenne de l’emploi

La Stratégie européenne de l’emploi peut se définir en deux volets : un volet permettant la définition d’objectifs communs pour l’emploi (section 1.1.1) et un volet visant à introduire des instruments communautaires pour l’emploi à travers le « paquet emploi » de la stratégie Europe 20201 (section 1.1.2).

1.1.1. La définition d’objectifs communs pour l’emploi

C’est le sommet extraordinaire de Luxembourg sur l’emploi qui a lancé la Stratégie européenne pour l’emploi en novembre 1997. On parle du processus de Luxembourg pour désigner cette initiative.

Tout en maintenant la politique de l'emploi en tant que compétence nationale, la stratégie européenne de l’emploi amène les Etats membres à définir chaque année des objectifs communs pour l'emploi au niveau communautaire. La Commission met en forme ces objectifs, avant leur adoption par le Conseil. Ces recommandations s'inscrivent ensuite dans les Plans nationaux pour l'emploi (PNAE), que chaque Etat membre élabore une fois par an. Le mode d'action reste donc intergouvernemental en vertu du principe de subsidiarité. La stratégie européenne pour l'emploi dote l’Union européenne d’un outil juridique permettant de coordonner les politiques de l’emploi des Etats membres. Elle doit également soutenir les actions des Etats membres et au besoin les compléter.

Ainsi, de nombreuses politiques communautaires contribuent de fait au développement de l'emploi : politique d'éducation et de la formation, politique régionale, politique de la recherche et du développement technologique, politique de soutien à l'utilisation des nouvelles technologies de la société de l'information, mobilité des travailleurs (voir les Fiches 13 et 15 principalement)...

De plus, dans le cadre de la stratégie Europe 2020, qui est la stratégie décennale pour l'emploi et une croissance intelligente, durable et inclusive, la stratégie européenne pour l'emploi vise explicitement à créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans toute l'Union européenne. C’est également l’objet du « Paquet emploi » adopté en 2012.

1.1.2. Le « Paquet emploi » de 2012

Face aux chiffres alarmants du chômage issus de la crise financière et de la crise des dettes souveraines européenne, la Commission européenne a adopté en avril 2012 une série de mesures visant à encourager l'emploi. Il s’agit du « Paquet emploi » qui comporte trois principaux objectifs :

  • Soutenir la création d'emplois

Pour y parvenir, la Commission préconise de réduire la fiscalité du travail, d'utiliser efficacement les subventions à l'embauche et d'exploiter le potentiel de secteurs clés tels que l'économie verte, les technologies de l'information et de la communication (TIC) et la santé.

  • Rétablir la dynamique des marchés de l'emploi

La Commission invite tous les acteurs concernés à mettre en œuvre les réformes nécessaires et permettre aux travailleurs d'être aidés pour changer d'emploi, revenir sur le marché du travail et circuler plus facilement dans l'UE. L'UE doit investir dans les compétences sur la base d'une prévision et d'un suivi plus efficaces des besoins.

  • Renforcer la gouvernance des politiques en matière d'emploi

Les pays de l'UE doivent être aidés pour assurer un meilleur suivi de ces politiques, afin que les questions sociales et l'emploi ne soient pas éclipsés par les questions économiques.

Les dispositifs nés du « paquet emploi » comprennent notamment le réseau EURES, qui a pour but de favoriser la mobilité des travailleurs de l'UE en mettant en relation des chercheurs d'emploi et des entreprises à travers l'ensemble du territoire de l'Union, ainsi que la « garantie jeunesse », visant à garantir à tout jeune de moins de 25 ans un emploi ou une formation dans les mois suivant la fin de ces études ou la perte de son emploi. Depuis janvier 2014, 14 millions de citoyens de l’UE ont pu bénéficier de cette garantie. Parmi eux, 9 millions ont accepté une offre (de travail dans la plupart des cas).

La politique européenne de l’emploi concerne également un ensemble d’instruments de coordination des politiques de l’emploi.

1.2. La coordination des politiques de l’emploi

La stratégie européenne pour l'emploi propose un cadre permettant aux pays de l'UE de partager les informations, de discuter des politiques en matière d'emploi et de les coordonner. La première étape repose sur l’examen annuel de la croissance qui définit les priorités de l'UE pour l'année à venir afin de stimuler la croissance et la création d'emplois et marque le lancement du semestre européen (voir Fiche 12), qui encourage une coordination renforcée entre les politiques économiques et budgétaires des gouvernements. Trois instruments vont alors organiser la coordination de la politique de l’emploi au niveau communautaire et avec les différents Etats membres : les lignes directrices pour l’emploi (section 1.2.1), le rapport conjoint sur l’emploi (section 1.2.2) et les programmes nationaux de réforme (section 1.2.3).

1.2.1. Les lignes directrices pour l’emploi

Proposées par la Commission européenne et adoptées par les gouvernements nationaux, elles fixent les priorités et les objectifs communs pour les politiques nationales de l'emploi. Elles sont approuvées par le Conseil de l'UE. Les lignes directrices pour l’emploi sont actuellement au nombre de quatre et sont structurées de la manière suivante :

1.       stimuler la demande de main-d’œuvre, notamment au moyen d'orientations en matière de création d'emplois, de fiscalité du travail et de fixation des salaires;

2.       renforcer l’offre de main-d’œuvre et de compétences, en s’attaquant aux faiblesses structurelles des systèmes d’éducation et de formation, et en luttant contre le chômage des jeunes et le chômage de longue durée;

3.       améliorer le fonctionnement du marché du travail, en veillant tout particulièrement à réduire la segmentation du marché et à améliorer les mesures actives et la mobilité sur ce marché;

4.       garantir l'équité, combattre la pauvreté et promouvoir l'égalité des chances.

Le deuxième instrument de coordination est le rapport conjoint sur l’emploi.

1.2.2. Le rapport conjoint sur l’emploi 

Ce rapport qui fait partie de l'examen annuel de la croissance comporte une évaluation de la situation de l'emploi en Europe, la mise en œuvre des lignes directrices pour l'emploi, et l'examen des projets de programmes de réforme nationaux par le comité de l'emploi. Il est publié par la Commission et adopté par le Conseil de l'UE :

http://ec.europa.eu/social/BlobServlet?docId=17224&langId=en

Un troisième volet de coordination est issu des Etats membres eux-mêmes.

1.2.3. Les programmes nationaux de réforme (PNR)

Ce sont les gouvernements des Etats membres qui sont à l’initiative de ces programmes. Ils sont ensuite analysés par la Commission européenne chargée de vérifier s'ils sont conformes à la stratégie Europe 2020. Sur la base de l'évaluation des PNR, la Commission publie une série de rapports analysant les politiques économiques de chacun des États membres et formule des recommandations par pays. On trouvera le dernier rapport issu du Semestre européen pour la France en suivant le lien : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9436-2018-INIT/fr/pdf .

Ainsi, si l’UE encadre de plus en plus la politique de l’emploi, celle-ci est élaborée et menée principalement par les Etats membres.

2. La politique de l’emploi en France

La politique française de l’emploi bénéficie d’un contexte favorable qui permet d’améliorer ses principaux indicateurs, toutefois, les comparaisons internationales menées notamment par l’OCDE révèlent que la situation française a accumulé certains retards qu’il convient de combler par la mise en œuvre de réformes structurelles qui verront leurs effets s’exercer à plus long terme (section 2.1). L’analyse budgétaire de la politique de l’emploi permet de dresser un portrait-robot des principaux canaux de transmission de cette politique (section 2.2) préalable indispensable à l’évaluation économique de l’efficacité des différents dispositifs (voir section 3).

2.1. Les tendances de l’emploi

Ainsi, à l’été 2018, l’étude la plus récente de la situation de l’emploi en France est le rapport sur les perspectives de l’emploi 2018 publié en juillet par l’OCDE. Il traite la situation de la France autour de quatre grands thèmes : les tendances du marché du travail (section 2.1.1), la qualité de l’emploi et l’inclusivité sur le marché du travail (section 2.1.2), le rôle de la négociation collective (section 2.1.3) et la réforme de l’assurance chômage (section 2.1.4).

2.1.1. Les tendances du marché du travail

Comme nous l’avons déjà mentionné, si l’OCDE relève que la tendance française sur le marché du travail est à l’amélioration, des efforts restent à accomplir. Ainsi, la baisse du chômage se poursuit en France depuis 2015. Au premier trimestre 2018, le taux de chômage s’élevait à 8,8% ce qui représente une baisse de 0,8 point de pourcentage en un an et de 1,7 points depuis le pic de 2015. Le taux d’emploi progresse de 0,8 point de pourcentage en un an pour s’élever à 55,7% au quatrième trimestre de 2017. L’OCDE qualifie cette progression de mi-parcours car le taux de chômage reste 1,6 points de pourcentage au-dessus de son niveau le plus bas atteint avant crise et supérieur de 3,4 points de pourcentage à la moyenne OCDE. Le taux d’emploi est également en-deçà de la moyenne OCDE de 6 points de pourcentage. L’OCDE relève que le salaire horaire réel croit à un rythme légèrement plus soutenu en France qu’en moyenne dans l’OCDE. Toutefois, la hausse est contenue depuis 2012. Les fluctuations oscillent en moyenne autour de 1% en glissement annuel dans un contexte de chômage persistant.

2.1.2. Qualité de l’emploi et inclusivité sur le marché du travail

L’OCDE relève que la France affiche d’une manière générale des résultats meilleurs que la moyenne de l’OCDE en ce qui concerne les mesures de la qualité de l’emploi et de l’inclusivité du marché du travail. En cas de perte d’emploi, les salariés perdent 4,4% de leur revenu net en moyenne contre 4,9% pour la moyenne OCDE. Toutefois, ces chiffres masquent de profondes disparités entre les catégories de population. Les plus défavorisés présentent des écarts de taux d’emploi importants, 27,8% contre 24,9% pour la moyenne OCDE. Parmi ces catégories de population, l’accès à l’emploi des jeunes est également pointé du doigt par l’OCDE et par la Commission européenne.

2.1.3. Le rôle de la négociation collective

Parmi l’ensemble des pays de l’OCDE, la France affiche l’un des plus faibles taux de syndicalisation, 11% contre 17% en moyenne. Toutefois, 98% des salariés sont couverts par des accords négociés (contre 1/3 au sein de l’OCDE). Ceci résulte de l’extension quasi-automatique des accords de branche. Les ordonnances Macron ont modifié certains aspects des modalités de négociation collective qui pourraient modifier la situation à terme. Ainsi, l’extension d’un accord de branche peut désormais être soumise à l’examen de ses conséquences économiques avant d’être automatiquement étendue. En outre, les accords devront comporter des dispositions spécifiques aux petites entreprises.

2.1.4. La réforme de l’assurance chômage

En France, selon l’OCDE, 42% des demandeurs d’emploi perçoivent des allocations chômage (contre 29% pour la moyenne OCDE). La réforme en cours de l’assurance chômage vise à élargir la couverture du système en ouvrant des droits aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires. Cette réforme est destinée à tenir compte d’une linéarité des parcours professionnels de moins en moins fréquente. Elle s’accompagne de la volonté de créer un marché de la formation et du renforcement de sa qualité. Seuls 36% des français percevant des allocations bénéficient d’une formation, contre plus de 60% dans les pays nordiques. La participation est encore plus faible (17%) chez les personnes peu qualifiées qui auraient plus besoin de ces formations pour pouvoir se reconvertir.

Ces différentes tendances sont le résultat des évolutions conjoncturelles ainsi que des différentes mesures mises en place pour corriger les défaillances du marché du travail.

2.2. Présentation des principales mesures

Les interventions publiques en matière d’emploi sont très variées et il est à la fois nécessaire de les distinguer pour pouvoir les évaluer mais également de pouvoir les rassembler dans des catégories similaires pour pouvoir identifier les mécanismes en œuvre qui vont influencer le comportement des agentes individuels mais également l’économie dans son ensemble. Deux typologies sont principalement utilisées pour le faire (section 2.2.1). Les effets de ces mesures se traduisent ensuite en des dépenses budgétaires de l’ordre de 4 à 5 points de PIB (section 2.2.2).

2.2.1. Les deux typologies des interventions publiques en matière d’emploi

Les différentes mesures constituant la politique de l’emploi peuvent se décomposer en dispositifs d’interventions générales et mesures ciblées.

Les interventions générales bénéficient à l’ensemble des salariés quelles que soient leurs caractéristiques individuelles en lien avec leur situation sur le marché du travail. Il s’agit des :

  • dispositifs d’allègements généraux de cotisations sociales ou d’impôts en faveur des bas salaires ou des heures supplémentaires ;
  • incitations financières à l’emploi ;
  • exonérations de cotisations sociales ou fiscales en faveur de certaines zones géographiques ou de certains secteurs économiques (hôtels-cafés-restaurants, services à la personne, agriculture).

Ces politiques visent à abaisser le coût du travail dans le but de maintenir ou d’encourager la création d’emplois. Elles permettent également d’améliorer la compétitivité des entreprises en diminuant le coût de la main-d’œuvre ou de redynamiser économiquement certaines zones géographiques en incitant les entreprises à s’y implanter.

Parmi les mesures ciblées, on trouve les dispositifs s’adressant à des catégories particulières, tels que les jeunes, les chômeurs de longue durée, les seniors, les personnes handicapées… Ces mesures permettent de compenser des difficultés spécifiques (manque ou absence de qualification, nécessité d’aménager un poste de travail par exemple) afin de rendre les populations cibles plus « employables ».

À ce premier niveau d’analyse, on peut en ajouter un second selon que ces mesures sont :

  • actives, c’est-à-dire qu’elles incitent le bénéficiaire à reprendre une activité professionnelle (par exemple la prime à l’emploi ou le RSA activité, remplacé en 2016 par la prime d’activité), à se former pour mieux répondre aux besoins du marché de l’emploi (dispositifs de formation professionnelle), à soutenir l’emploi (politiques d’exonération de charges sur les bas salaires) ;
  • passives, c’est-à-dire qu’elles permettent au bénéficiaire de faire face financièrement à la période de chômage (politiques d’indemnisation du chômage), ou qu’elles soutiennent les retraits d’activité (politiques de prise en charge des pré-retraites).

L’OCDE relève trois grandes catégories de mesures actives : les mesures d’accompagnement et d’aides à la recherche d’emploi mises en place par le service d’aide public à l’emploi, la formation professionnelle, les mesures d’aides à l’emploi (à destination des jeunes, des personnes handicapées et l’ensemble des mesures d’emploi subventionné). Les mesures passives renvoient à deux grandes catégories de mesure : les dispositifs d’assurance chômage et les mesures de cessation anticipée d’activité.

L’ensemble de ces mesures induit des dépenses budgétaires qui permettent de mesurer les canaux privilégiés par la France pour améliorer la situation du marché de l’emploi.

2.2.2. Les perspectives budgétaires

Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail les dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail en 2015 connaissaient la répartition suivante entre d’un côté les mesures ciblées et de l’autre les dispositifs généraux : 52% des dépenses concernaient les dispositifs ciblés et 48% les mesures générales. Ainsi, selon cette première typologie, les choix opérés entre les deux modalités d’intervention sont plutôt équilibrés.

Dans le bloc des dispositifs ciblés, la Dares relevait trois postes budgétaires principaux :

  • les dépenses pour les politiques du marché du travail représentaient le poste le plus important (72% des montants, très majoritairement consacrés au soutien des revenus sous forme, principalement, d’allocations-chômage) ;
  • les dépenses « actives » représentaient 14% des dépenses (mesures de formation professionnelle et de contrats aidés) ;
  • les moyens consacrés au service public de l’emploi et à l’accompagnement des chômeurs constituaient 14% de la dépense.
  • Dans le bloc des dispositifs généraux, les aides visent principalement à réduire le coût du travail pour certains groupes de salariés, certains territoires ou certains secteurs économiques. Ils prennent généralement la forme de transferts aux entreprises et, plus rarement, de soutien aux revenus des personnes en emploi.
  • Les trois quarts environ de ces aides sont consacrés aux exonérations de charges, principalement sur les bas salaires, suivies par le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Elles représentent au total près de 61% des montants des dispositifs généraux.
  • Les aides financières à l’emploi (prime pour l’emploi, RSA activité, fusionnés en 2016 dans la prime d’activité) ont pour objectif de rendre plus rémunérateurs l’accès ou le retour à l’emploi et l’augmentation de la durée travaillée, en apportant des aides financières complémentaires aux revenus d’activité. Elles représentent 16% des montants des dispositifs généraux.
  • Les aides au profit de certaines zones géographiques (DOM, zones sensibles d’aménagement du territoire et quartiers prioritaires de la politique de la ville) prennent principalement la forme d’exonérations de cotisations ou de réductions d’impôts pour les entreprises qui s’y installent. Elles représentent moins de 1% des montants des dispositifs généraux.
  • Les aides au secteur des services à la personne représentent environ 7% des montants des dispositifs généraux.
  • Les aides à l’emploi dans le secteur agricole représentent environ 1% des montants des dispositifs généraux.
  • Enfin, les dépenses en faveur de l’emploi de certains minima sociaux comme l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation équivalent retraite (AER) et l’allocation temporaire d’attente (devenue en 2015 allocation pour demandeur d’asile) représentent environ 24% des montants des dispositifs généraux.

La présentation budgétaire des dispositifs permet d’éclairer leur répartition. Notons qu’une grande part de la politique de l’emploi est menée par les collectivités territoriales (voir Fiche 19) La principale difficulté qui est l’objet de nombreux débats concerne l’évaluation de leur efficacité.

3. L’évaluation économique de la politique de l’emploi

L’évaluation économique de la politique de l’emploi suppose de pouvoir distinguer les effets individuels (section 3.1) des effets sur l’ensemble de l’économie (section 3.2). Ces effets sont étudiés le plus souvent de façon séparée même si des études récentes proposent des cadres permettant de mener simultanément les deux niveaux d’analyse sur des domaines d’activité particuliers2. Le chapitre 11 de l’ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Labor Economics, fournit une bonne synthèse sur ces questions que nous résumons dans cette section.

3.1 L’évaluation des politiques actives individuelles

L’évaluation de la politique de l’emploi se concentre sur l’évaluation des gains potentiels des mesures. Les gains potentiels représentent la différence entre le niveau atteint par un indicateur en la présence et en l’absence de la mesure. Le principe de l’évaluation repose ainsi sur la mesure d’un scénario contrefactuel qui mesure « ce qui se serait passé si » la mesure n’avait pas été mise en place et qui est inobservable par nature. Différents modèles permettent de réaliser cette opération (section 3.1.1). Le choix des modèles dépend largement des données à la disposition des chercheurs mais également des indicateurs utilisés (section 3.1.2). Les résultats des études menées sur l’efficacité des politiques actives individuelles sont plutôt mitigés (section 3.1.3).

3.1.1. Description des méthodes employées

La grande majorité des évaluations de l’efficacité des mesures liée à la politique de l’emploi est basée sur le modèle de Roy-Rubin. Ce modèle considère que la mise en place d’une mesure, comme le droit de suivre un parcours de formation professionnelle, vise à améliorer la situation de l’individu qui est considéré comme ayant reçu un traitement destiné à provoquer une réponse. Le modèle de Roy-Rubin consiste à trouver une population miroir n’ayant pas subi de traitement afin de comparer la réponse au traitement en soustrayant l’évolution observée des variables considérées sur les populations non traitées. Par exemple, on compare la vitesse de retour à l’emploi de chômeurs ayant accepté de suivre une formation complémentaire avec celle de ceux qui ont refusé cette formation. Très vite, l’évaluateur se trouve confronté à de grandes difficultés. Par exemple, dans le cadre de la situation évoquée ci-dessus, on peut se demander si le refus de la formation n’est pas lié à des caractéristiques inobservables comme la démotivation qui aurait conduit in fine au même écart de retour à l’emploi y compris en l’absence de mesure. Les méthodes ont évolué afin de tenir compte de ces biais potentiels. En outre, les mesures individuelles peuvent avoir des effets indirects d’ordre plus macroéconomique. Par exemple, le financement des mesures peut influencer des agents non concernés par les mesures en modifiant leur contrainte budgétaire. Une politique de subvention ciblée peut générer des effets de substitution entre les catégories de travailleurs. Cette même subvention peut également n’être qu’un effet d’aubaine si l’entreprise concernée aurait embauché un individu même en l’absence de subvention par exemple. Une subvention peut engendrer un effet dit de crowding-out si elle permet d’accroître les parts de marché d’une entreprise en éliminant des concurrents qui n’ont pas accès aux mêmes subventions.

La prise en compte de ces biais dépend des données à la disposition des évaluateurs qui conditionnent les indicateurs qu’ils vont pouvoir utiliser.

3.1.2. Description des principaux indicateurs utilisés

En pratique, la première situation rencontrée est celle où il n’existe pas de population miroir. L’idée consiste à comparer la réponse obtenue suite à la mise en place d’une mesure avec la situation initiale sans la mesure. C’est l’indicateur « Avant-Après ». Une hypothèse fondamentale pour que cette méthode puisse être validée est que l’on puisse vérifier qu’un individu qui a participé au traitement n’aurait pas changé son comportement « Avant-Après » en l’absence de traitement. Cette hypothèse est très forte et suppose que l’évolution de la conjoncture entre l’Avant et l’Après, soit reste stable, soit n’influence pas le comportement des agents.

Une deuxième méthode plus sophistiquée permet de corriger ce biais. Elle est connue sous le nom de « Différence des différences ». Elle nécessite de rassembler deux groupes d’individus similaires. L’un subira un traitement, l’autre non. La première étape consiste à construire un indicateur « Avant-Après » pour chacun des groupes, y compris le non traité. Ainsi, chacun aura réagi face à la même évolution de la conjoncture. On effectue ensuite la différence entre les deux indicateurs « Avant-Après », ce qui permet de mesurer l’effet de la mesure en ayant tenu compte des effets conjoncturels.

Si les évaluateurs disposent de données plus détaillées sur les individus des analyses économétriques plus fines sont réalisables, notamment grâce aux techniques de l’économétrie des données de panel.

3.1.3. Les principaux résultats

Les résultats obtenus par la mise en œuvre de ces différentes méthodes sont plutôt mitigés. Aux Etats-Unis, par exemple, seules les femmes adultes en situation de détresse financière semblent tirer de réels bénéfices des mesures de formation professionnelle. L’aide à la recherche d’emploi a un effet positif sur le taux de retour à l’emploi et sur le niveau de salaire. Toutefois, les méthodes employées ne permettent pas de distinguer si les effets sont plus forts pour les actions ciblées sur l’aide à l’emploi ou pour les actions sanctionnant l’absence de recherche effective d’emplois. Les études réalisées négligent en outre les effets indirects des politiques qui ont un caractère plus macroéconomique et qui sont au cœur des politiques passives de l’emploi.

3.2. L’évaluation des politiques macroéconomiques : le cas de l’assurance chômage

La deuxième catégorie de mesures relatives à la politique de l’emploi concerne les politiques passives. Sur le plan budgétaire, le poste le plus important est l’assurance chômage. De nombreux modèles ont cherché à mesurer l’impact de l’assurance chômage sur le plan macroéconomique. Les modèles traditionnels basés sur des hypothèses de concurrence pure et parfaite offrent une vision plutôt pessimiste de l’efficacité de l’assurance chômage (section 3.2.1). Les approches plus contemporaines offrent une image plus nuancée et positive de l’assurance chômage (section 3.2.2).

3.2.1. Les analyses traditionnelles

Les débats relatifs à l’efficacité des mécanismes d’assurance chômage sur un plan macroéconomique peuvent être résumés de la façon suivante :

Le principe même de l’assurance chômage connaît de nombreuses critiques au niveau individuel : réduction des incitations à la recherche d’emplois, augmentation du salaire de réserve (salaire minimum à partir duquel un actif va accepter un emploi), pression à la hausse sur les salaires. L’ensemble de ces effets cumulés pourrait augmenter la durée du temps passé au chômage, accroître le taux de chômage et réduire la production globale.

Ces arguments s’opposent aux visions positives de l’assurance chômage. Elle permet aux chômeurs de pouvoir mieux discriminer entre les différentes offres à leur disposition lors du processus de retour à l’emploi et permet donc d’améliorer la qualité du matching entre l’offre et la demande de travail. Ce faisant, l’assurance chômage améliore la qualité des emplois et donc la production dans son ensemble.

De nombreux modèles basés sur des hypothèses de concurrence pure et parfaite concluent à une prépondérance des effets négatifs sur les effets positifs. L’assurance chômage conduirait à une diminution de l’emploi et de la production.

3.2.2. Les analyses contemporaines

Des analyses contemporaines plus fines des mécanismes nuancent ces résultats, notamment les travaux de Daron Acemoglu et Robert Shimer3. Les idées principales portent sur les mécanismes d’attribution de l’assurance chômage et sur les conditions d’accès au revenu de remplacement. La condition relative au fait d’avoir exercé une activité préalablement instaure une séparation entre les chômeurs éligibles et les autres. Le pouvoir de négociation et la capacité à subsister pendant le processus de recherche du nouvel emploi seront beaucoup plus faibles pour les chômeurs non éligibles. Aussi, les effets négatifs mentionnés précédemment seront beaucoup plus faibles pour les chômeurs non éligibles. L’effet de l’assurance chômage sur l’emploi et la production devient indéterminé.

Les travaux empiriques menés dans les économies industrialisées, dont la France, montrent un effet faible mais statistiquement significatif sur le taux de chômage (une hausse des prestations chômage accroît faiblement le taux de chômage). En revanche, lorsque l’on distingue les différentes catégories de population en fonction du niveau de diplôme, la hausse des prestations chômage permet d’accroître la production et le bien-être des individus plus diplômés. Cet effet s’explique en grande partie par l’amélioration du matching entre les connaissances et les compétences des demandeurs d’emploi avec les emplois proposés.

  1. ^ La Fiche 15 présente les autres volets de la stratégie européenne.
  2. ^ Courtial E., Garrouste C. [2016], « Pour une anticipation stratégique des besoins de formation en « compétences vertes » : l’outil CIPEGE », Formation emploi, numéro 135(3).
  3. ^ Acemoglu D. et Shimer R. [1999], « Efficient unemployment insurance », Journal of Political Economy, 107, pp. 893-928 et Acemoglu D. et Shimer R. [2000], « Productivity gains from unemployment insurance », European Economic Review, 44, pp. 1115-1125.
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