Par Eric Guérin
Dernière mise à jour : juillet 2019

Il existe, principalement, devant les juridictions administratives deux catégories de recours : le recours pour excès de pouvoir et les recours de plein contentieux. Alors que le recours pour excès de pouvoir a pour objet de sanctionner l’illégalité qui entache un acte administratif, les recours de plein contentieux visent le plus souvent à obtenir la condamnation de l’administration. Ces deux voies juridictionnelles se distinguent à la fois par les questions qui sont posées au juge et par les pouvoirs dont dispose celui-ci pour remplir son office. Les autres recours en vigueur devant les juridictions administratives sont marginales et ne seront évoqués que dans un souci d’exhaustivité. En revanche, les procédures d’urgence dites « de référé » seront succinctement abordées.

1 Les principaux recours contentieux

La structure du contentieux administratif repose sur une architecture ancienne (et parfois remise en cause) qui consiste à distinguer le recours pour excès de pouvoir (1.1) des recours de plein contentieux (1.2). Nous respecterons cette logique pour présenter la structure du contentieux administratif contemporain.

Il convient, toutefois, de relever que les différends administratifs trouvent parfois leur solution au travers de modes alternatifs de règlement tel que l’arbitrage (qui est un mode juridictionnel mais non étatique de règlement des litiges), les recours administratifs, la conciliation, le recours au Médiateur …

1.1 Le recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est l’un des principaux titres de gloire du juge administratif, puisque c’est à partir de la Monarchie de juillet que le Conseil d’État a imaginé les conditions dans lesquelles il assurerait le contrôle de l’activité de l’administration. Par la suite, la loi du 24 mai 1872 a donné au recours pour excès de pouvoir une assise législative. Celui-ci a pour finalité de protéger l’administré contre l’arbitraire de l’administration en sanctionnant par une annulation les actes administratifs entachés d’une illégalité. Nous définirons le recours pour excès de pouvoir et en dresserons les caractères généraux (1.1.1), avant d’en étudier les différents cas d’ouverture (1.1.2).

1.1.1 Les caractères généraux et les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est un recours juridictionnel qui peut être intenté contre tous les actes administratifs (actes réglementaires et décisions individuelles), dès lors que celui-ci produit des effets juridiques. Le recours pour excès de pouvoir est l’instrument qui permet au juge administratif de s’assurer du respect du principe de légalité par l’administration. Chaque fois qu’un acte administratif sera entaché d’une illégalité (voir les cas d’ouverture) le juge administratif devra en prononcer l’annulation. Toutefois, la mise en œuvre du principe de légalité est soumise à des conditions tenant à la fois à la nature de l’acte attaqué (A), à la personne du requérant (B), et à des conditions de délais et de mise en forme (C).

1.1.1.1 Les conditions tenant à la nature de l’acte attaqué

En préalable, il convient de dire que certains actes de l’administration ne sont susceptibles de faire l’objet d’aucun recours, il s’agit des actes de gouvernement. L'acte de gouvernement peut être défini comme un acte de l'exécutif relatif aux rapports entre pouvoirs publics constitutionnels ou à la conduite des relations internationales et insusceptible de toute contestation juridictionnelle. On peut se reporter utilement à la fiche sur les actes administratifs pour avoir une vision plus détaillé des actes de gouvernement.

Pour que le juge de l’excès de pouvoir puisse être saisi d’un recours en annulation, il faut que l’acte contesté soit un acte administratif faisant grief. Les actes pris par une autorité administrative sont en principe des actes administratifs et sont donc susceptibles de faire l'objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pourtant certaines mesures ne sont pas considérées comme faisant grief. C’est le cas des mesures d’ordre intérieur, des actes préparatoires, des avis, des circulaires … (voir acte administratif).

Certains actes pris par l’administration dans le cadre d’opération de droit privé (gestion du domaine privé) ne sont pas considérés comme des actes administratifs. Les contrats administratifs n’entrent pas non plus dans cette catégorie et ne peuvent donc en principe faire l’objet d’un tel recours.

N’entre pas dans la compétence du juge administratif le contrôle de la loi. Le contrôle de constitutionnalité des lois est réservé au Conseil constitutionnel. Toutefois, le juge administratif peut exercer un contrôle de conventionalité de la loi (voir la partie sur la hiérarchie des normes).

1.1.1.2 Les conditions tenant à la personne du requérant

Pour qu’un requérant puisse agir devant le juge de l’excès de pouvoir il doit disposer de la capacité d’ester en justice (être majeur) et avoir un intérêt pour agir. Avoir un intérêt à agir signifie que le demandeur doit souffrir personnellement de l’illégalité engendré par l’acte dont il demande l’annulation. Le requérant doit être lésé matériellement ou moralement. Toutefois, pour donner au recours pour excès de pouvoir une audience assez large, le juge entend la notion d’intérêt à agir de façon large. On parlera de simple intérêt froissé. Par exemple, l’habitant d’une rue pourra attaquer la délibération par laquelle le maire a réglementé le stationnement dans cette rue. L’intérêt à agir peut être plus personnel, ce sera le cas lorsque le pétitionnaire demandera l’annulation de la décision par laquelle l’autorité municipale lui refusera un permis de construire.

1.1.1.3 Les conditions tenant aux délais et à la mise en forme du recours

Pour faciliter l’accès au juge, les règles de formes sont extrêmement souples. L’introduction du recours pour excès de pouvoir n’est soumis à aucune forme parti- culière. Le requérant pourra se contenter de demander par lettre sur papier libre l’annulation de telle décision administrative en précisant les moyens sur lesquels il appuie son recours et en joignant la décision litigieuse. Le recours pour excès de pouvoir est dispensé du ministère d’avocat. En revanche, les délais appliqués au recours pour excès de pouvoir sont assez stricts. En général le délai court à compter de la date de la publication ou de la notification de l'acte incriminé. Le délai normal est de deux mois. Une fois ce délai expiré le requérant sera forclos et le juge ne pourra plus statuer. La brièveté des délais doit permettre d’assurer une certaine sécurité juridique.

1.1.2 Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir

Une fois le recours pour excès de pouvoir jugé recevable, le juge va examiner le fond de la requête, c’est-à-dire les arguments qui lui sont présentés par le requérant. Ces arguments peuvent tenir aux éléments extérieurs de l’acte : la forme, la procédure… (A), ou au contenu même de l’acte (B).

1.1.2.1 Le contrôle de la légalité externe

Les moyens de légalité externe portent à la fois sur la compétence de l’auteur de l’acte, les formes selon lesquelles l’acte a été édicté et la procédure qui a précédé son édiction.

1.1.2.1.1 L’incompétence

L’incompétence est « l’inaptitude d’un agent à accomplir un acte qui pouvait être fait, mais qui devait être fait par un autre agent ". Par exemple, seul le maire, dans la commune est compétent pour délivrer ou refuser les permis de construire. Un refus de permis délivré par le secrétaire général de la mairie serait donc entaché d’incompétence. Historiquement, l’incompétence est le premier cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir.

1.1.2.1.2 Le vice de forme

L’acte administratif est entaché d’un vice de forme, chaque fois que l’administration n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe de dater l’acte, de faire figurer la signature de son auteur, de formuler les motifs de sa décision chaque fois que la loi l’impose. Toutefois, certaines formalités ne sont pas suffisamment graves pour entrainer l’annulation. Seules les formalités les plus importantes (formalité substantielle) entraînent la sanction de l’annulation.

1.1.2.1.3 Le vice de procédure

La prise des décisions administratives est parfois soumise à des règles de procédure. Ces règles forment la procédure administrative non contentieuse. Par exemple, avant de prendre une décision, l’administration est soumise à une consultation obligatoire (décret pris en Conseil d’État), ou à l’obligation de procéder à une enquête publique préalable (en matière d’expropriation), ou encore de respecter une procédure contradictoire (en matière de sanction).

1.1.2.2 Le contrôle de la légalité interne

Comme les moyens de légalité externe, les moyens de légalité interne sont au nombre de trois : l’erreur de droit, l’erreur de fait et le détournement de pouvoir.

1.1.2.2.1 L’erreur de droit

L’erreur de droit consiste pour l’administration a mal interpréter ou a appliquer de façon erronée une règle de droit. La décision litigieuse ne pouvait pas être prise en application de la loi.

1.1.2.2.2 L’erreur de fait

Il y a erreur de fait, chaque fois que l’acte administratif aura été pris sur le fonde- ment de fait matériellement inexact. Par exemple un maire sanctionne un agent communal au motif que ce dernier a manqué à son obligation de réserve en critiquant la politique du maire dans un quotidien local, alors que l’intéressé n’a pas commis les faits qui lui sont reprochés.

1.1.2.2.3 Le détournement de pouvoir

Le détournement de pouvoir renvoie au but recherché par l’acte administratif, au résultat auquel l’administration a voulu parvenir. L’illégalité concerne les mobiles de l’acte. Il existe plusieurs catégories de détournements de pouvoir, mais celui-ci est avéré chaque fois que l’administration a agi pour satisfaire un intérêt différent de l’intérêt général. L’administration peut agir pour satisfaire un intérêt particulier (le maire interdit l’ouverture d’un établissement de nuit pour ne pas causer de tort à l’établissement dont il est lui-même propriétaire).

1.1.3 Les effets de l’annulation

Le jugement pour excès de pouvoir a pour effet de provoquer la disparition rétroactive de l’acte. L’annulation a pour effet de faire disparaitre les effets déjà produit par la décision puisque par principe le recours n’est pas suspensif (CE 1925 Rodière). Toutefois, Le Conseil d'État accepte parfois de moduler à titre exceptionnel les effets dans le temps d'une annulation (CE, ass, 11 mai 2004, Assoc. AC).

1.2 Les recours de plein contentieux

Les recours de plein contentieux, encore appelés recours de pleine juridiction, sont plus difficiles à intenter que le recours pour excès de pouvoir. Ces recours se rapprochent de ceux en vigueur devant les juridictions judiciaires. Alors que le recours pour excès de pouvoir sanctionne le respect, par l’administration, du principe de légalité, cette seconde catégorie de recours assure le respect, par l’administration, des droits des administrés. Nous définirons et délimiterons le contour des actions en plein contentieux (1.2.1) et évoquerons les principaux recours en vigueur devant le juge administratif (1.2.2).

1.2.1 Définition et délimitation du recours de plein contentieux

Les recours de plein contentieux sont ceux qui ont pour objet d’aboutir directement à la reconnaissance d’un droit au profit du requérant. Alors que le juge de l’excès de pouvoir se contente d’annuler la décision de l’administration lorsque celle-ci est entachée d’un vice, le juge du plein contentieux peut reconnaître un droit.

Les recours de plein contentieux sont ceux qui ont pour objet d’aboutir directement à la reconnaissance d’un droit au profit du requérant. Alors que le juge de l’excès de pouvoir se contente d’annuler la décision de l’administration lorsque celle-ci est entachée d’un vice, le juge du plein contentieux peut reconnaître un droit. Sur le plan des pouvoirs, le juge de plein contentieux dépasse celui de l’excès de pouvoir qui ne dispose que du pouvoir d’annuler l’acte et dans certains cas du pouvoir d’injonction (donner des ordres). En revanche, le juge du plein contentieux peut condamner l’administration à payer au requérant des dommages intérêts, ce que le juge de l’excès de pouvoir ne peut faire. En outre, dans certaines situations, le juge du plein contentieux dispose d’un pouvoir de réformation (il peut refaire l’acte administratif) et même d’un pouvoir de substitution (il peut remplacer la décision de l’administration par sa propre décision).

Les pouvoirs du juge de plein contentieux étant plus étendus que ceux dont dispose le juge de l’excès de pouvoir, ces recours sont plus difficiles à mettre en œuvre. Le juge se montre plus exigeant en matière d’intérêt à agir. Le requérant ne peut plus invoquer un simple intérêt froissé, mais il doit établir qu’il est titulaire du droit dont il demande la reconnaissance au juge.

1.2.2 Les principaux recours de plein contentieux

Il existe une multitude de recours de plein contentieux et par conséquent une multitude de manière de présenter et de classer les différentes actions en vigueur devant les juridictions administratives. De façon à simplifier cette présentation nous distinguerons les recours de plein contentieux portant sur un droit subjectif (A), des recours de plein contentieux ne portant pas sur un droit subjectif (B). Un droit subjectif est un droit dont dispose un particulier à l’égard d’autrui.

1.2.2.1 Les recours de plein contentieux portant sur un droit subjectif

Les litiges présentant un caractère pécuniaire peuvent tendre à mettre en œuvre la responsabilité de l’administration. Ce sera le cas le plus fréquent. Mais ils peuvent également surgir en matière de contrat administratif.

1.2.2.1.1 Le contentieux de la responsabilité

Il s’agit du cas le plus courant de plein contentieux. Le requérant demande au juge de condamner l’administration à réparer les dommages qu’elle a causés. On retrouvera ce contentieux en matière de responsabilité hospitalière (le requérant demande à être indemnisé du préjudice résultant d’une faute médicale) ou en matière de travaux publics (le requérant demande l’indemnisation d’un préjudice causé par un mauvais entretien d’un ouvrage public, une voie communale par exemple).

1.2.2.1.2 Le contentieux des contrats administratifs

Les litiges en matière contractuelle sont aussi une catégorie de litiges traditionnels en matière de plein contentieux. Chaque fois qu’une difficulté surgit entre l’administration et son cocontractant, le juge de plein contentieux peut être saisi, soit pour obliger l’administration à exécuter ses obligations, soit pour la condamner si elle ne les exécute pas.

Les recours de plein contentieux objectifs

Cette seconde catégorie de litiges de plein contentieux se distingue de la précédente, car le juge ne tranche pas un litige portant sur les droits du requérant. Dans ces hypothèses le contrôle effectué par le juge ressemble à celui exercé dans le cadre du recours de plein contentieux, mais ses pouvoirs sont plus étendus. Les principaux recours que l’on peut classer dans cette catégorie sont :

  1. Les litiges en matière de contentieux fiscal. Lorsque le requérant conteste le bien-fondé d’une imposition.
  2. Les litiges en matière de contentieux électoral. Lorsque le requérant conteste le résultat de certaines élections (élections locales).
  3. Les litiges en matière d’établissements dangereux, incommodes et insalubres.

1.3 Le rapprochement entre les contentieux

La frontière qui sépare le recours pour excès de pouvoir du recours de plein contentieux est parfois ténue. Depuis plusieurs années, on constate une tendance au rapprochement de ces deux branches du contentieux. Il devient ainsi possible, dans des matières relevant traditionnellement du plein contentieux, d'exercer un recours pour excès de pouvoir. De surcroît, les pouvoirs du juge de l'excès de pouvoir tendent à se rapprocher de ceux du juge de plein contentieux.

1.3.1 Le chevauchement de l’excès de pouvoir sur le plein contentieux

Dans certains domaines le juge de l’excès se prononce sur des matières relevant traditionnellement du plein contentieux. Il en va ainsi par exemple dans le domaine contractuel.

On considérait traditionnellement, que puisque le contrat consacrait des droits subjectifs, la légalité objective n'avait aucun rôle à jouer dans ce contentieux. Désormais le recours pour excès de pouvoir joue un rôle croissant dans la matière contractuelle. Le juge de l’excès de pouvoir accepte d’examiner la légalité des actes détachables du contrat. Par la suite, le juge administratif a reconnu la possibilité d’exercer un recours directement contre le contrat. Recours d’abord limité au préfet (CE, 2 nov. 1988, Comm. Rép. Hauts-de-Seine c/ OPHLM Malakoff), puis étendue au tiers pour les dispositions à caractère règlementaires (CE, ass., 10 juill. 1996, Cayzeele).

En dehors du domaine contractuel, les recours tendant à l'annulation d'une décision à objet pécuniaire sont classés dans le plein contentieux dès lors que le requérant demande également au juge de condamner l'Administration à payer. Toutefois, le requérant peut dans certaines hypothèses se placer sur le terrain de l'excès de pouvoir - et bénéficier ainsi de règles de procédure simplifiées s'il se contente de demander l'annulation de la décision à objet pécuniaire (CE, 8 mars 1912, Lafage).

Enfin, la loi n° 95-125 du 8 février 1995 en accordant au juge de l’excès de pouvoir un pouvoir d’injonction dont il été privé à rapprocher les pouvoirs de ce dernier de ceux du juge de plein contentieux.

1.3.2 Le chevauchement du plein contentieux sur l’excès de pouvoir sur le

Par un arrêt du 16 février 2009 société ATOM, le Conseil d’État transfère les recours en annulation dirigés contre les sanctions administratives dans le contentieux de pleine juridiction. Ce contentieux de l’annulation traditionnellement incorporé à celui de l’excès de pouvoir enrichie le contentieux de la légalité relevant du plein contentieux. Cette décision s’applique toutefois qu’aux relations entre l’administration et les usagers.

2 Les procédures en référé

Les recours pour excès de pouvoir et les recours de pleins contentieux permettent au juge de trancher le litige sur le fond. Cela signifie que le juge apporte aux requérants une solution définitive. Toutefois, le juge a besoin de temps pour remplir son office. Aussi, il existe devant les juridictions administratives des procédures qui permettent au juge d’agir dans des délais extrêmement brefs. Ces procédures sont communément appelées, procédure en référé. Devant les juridictions administratives il en existe principalement trois : le référé-suspension, le référé-liberté, le référé- précontractuel. Ces trois procédures ont été renouvelées par la loi du 30 juin 2000.

2.1 Le référé-suspension (art. L. 521-1 du Code de justice administrative)

Devant les juridictions administratives, les recours n’ont pas d’effet suspensif. Cette règle implique que le fait d’agir devant un juge administratif ne suspend pas l’exécution par l’administration de la mesure contestée. Par exemple lorsque le préfet ordonne la reconduite à la frontière d’un ressortissant étranger en situation irrégulière, cette mesure est immédiatement applicable, alors même que l’intéressé aurait formé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Cette règle générale, rappelée par l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953, se justifie par le fait que l’administration, censée agir dans l’intérêt général, dispose du privilège du préalable. Ses actes ont un caractère exécutoire et son action ne doit pas être paralysée par des actions fantaisistes ou dilatoires.

Le privilège du préalable dont bénéficie l’administration comporte des correctifs. En premier lieu, l’administration procède à ses risques et péril à l’exécution de ses actes. S’ils sont illégaux ils engagent sa responsabilité (voir la partie sur la responsabilité de l’administration). De plus l’administration pourrait se hâter d’exécuter ses décisions afin de prévenir toute annulation ultérieure par le juge. Pour éviter une telle situation il existe une procédure préventive qui permet au juge de suspendre, sous certaines conditions, l’exécution de l’acte. Il nous faut désormais en examiner les conditions et les effets.

2.1.1 Les conditions d’octroi de la suspension

Une telle procédure est enfermée dans des conditions strictes. La loi du 30 juin 2000 est venue assouplir les conditions d’octroi de la suspension-provisoire des décisions de l’administration. Les conditions requises sont au nombre de trois :

2.1.1.1 La nécessité d’un doute sérieux

Le juge des référés peut ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative ou de certains de ces effets à la condition que le requérant fasse état d’un doute sérieux. A l’appui de sa demande de suspension, l’intéressé doit donc avancer des arguments sur le fond de l’affaire. Le juge des référés n’examine pas véritablement leur portée (il le fera au cours de l’instance principale qui suit le prononcé de la suspension) mais le prononcée éventuel d’une mesure de suspension préfigure l’issue finale du litige.

2.1.1.2 La condition d’urgence

L’urgence doit justifier la suspension. La condition tenant à l’existence d’un doute sérieux ne suffit pas à elle seule à justifier le prononcé d’une mesure de suspension- provisoire. Le requérant devra établir devant le juge des référés la nécessité de ne pas exécuter la décision de l’administration en raison de la gravité des conséquences que celle-ci comporte. Par exemple, dans le cas d’une mesure de reconduite à la frontière d’un ressortissant étranger, ce dernier, pour justifier de l’octroi d’une mesure de suspension, pourra avancer que dans son pays d’origine il fait l’objet de menace grave.

2.1.1.3 L’exigence de conclusions aux fins d’annulation ou de réformation

Seule une décision de l’administration peut faire l’objet d’une demande de suspension-provisoire. Cette procédure ne peut être utilisée à l’encontre d’un agissement de l’administration (dans ce cas il existe d’autres procédures – cf. infra). En outre, la demande de suspension doit être obligatoirement accompagnée d’une demande d’annulation ou de réformation de la décision visée sous peine d’irrecevabilité. Concrètement cela signifie que le requérant doit demander séparément la suspension de la mesure qui le concerne et son annulation (par exemple par la voie d’un recours pour excès de pouvoir). L’alinéa 2 de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative dispose que lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais.

2.1.2 Les effets de la suspension

L’octroi de la suspension relève en dernier lieu du pouvoir discrétionnaire du juge. C’est le juge des référés qui décide ou non de suspendre un acte administratif. En cas de prononcé d’une mesure de suspension cela implique pour l’administration qu’elle ne peut exécuter la mesure tant que le juge n’a pas statué sur le fond. En effet, la suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête au fond. Si le requérant demande l’annulation d’une déclaration d’utilité publique et joint à son recours en annulation une demande de suspension provisoire que le juge lui accorde, cela signifie que l’administration ne pourra procéder aux mesures d’expropriation prévues dans la déclaration tant que le juge de l’excès de pouvoir ne s’est pas prononcé sur la légalité de cet acte. En cas d’annulation la mesure de suspension n’est plus lieu d’être puisque l’administration ne peut plus procéder à l’opération envisagée.

2.2 Le référé-liberté (art. L. 521-2 du Code de justice administrative)

Le référé-liberté, contrairement à la procédure de référé-suspension, est une procédure récente puisqu’il n’existe que depuis la loi du 30 juin 2000. Cette procédure permet au juge des référés de prononcer, à l’encontre de l’administration, une injonction en vue de mettre fin à une atteinte portée à une liberté fondamentale. Il nous faudra examiner les conditions d’octroi d’une telle mesure avant d’envisager ses effets.

2.2.1 Les conditions d’octroi du référé-liberté

Le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour que le juge des référés il faut donc qu’un agissement de l’administration (et non un acte) :

  • porte une atteinte grave à une liberté fondamentale (liberté de la presse, liberté d’aller et venir….). Il faut encore noter que le Conseil d’État a récemment érigé au rang de liberté fondamentale le principe de libre administration des collectivités territoriales (CE. Sect, 18 janvier 2001);
  • et que cet agissement soit manifestement illégal.

2.2.2 Les effets de la mesure prononcée en référé

L’objet des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative est de confier au juge administratif un pouvoir d’injonction extrêmement vaste lorsqu’est en cause la sauvegarde d’une liberté fondamentale. La protection juridictionnelle immédiate des libertés est donc assurée par le juge, dans les quarante-huit heures, sans devoir se limiter à la suspension des effets d’un acte administratif : toute obligation, de faire ou de ne pas faire, peut être imposée par le juge des référés à l’autorité administrative, en vue de faire cesser l’atteinte à une liberté. Le juge peut ordonner à l’administration de mettre fin à une rétention administrative arbitraire ou encore d’assurer à deux candidats à une élection politique un temps d’antenne équivalent afin de respecter le pluralisme des opinions politiques…

2.3 Le référé-précontractuel (art. L. 551-1 et L. 551-2 du Code de justice administrative)

Outre la procédure de droit commun prévue à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (paragraphe I), la transposition de la directive européenne du 21 décembre 1981 a permis d’instaurer une procédure de référé précontractuel. Cette directive vise à instaurer un contrôle efficace des dispositions du droit communautaire en matière de passation des marchés publics. La procédure mise en œuvre par la directive permet au juge national de prendre en urgence des mesures provisoires de suspension de la procédure ou de l’exécution des décisions du pouvoir adjudicateur.

Le juge peut ainsi être saisi avant la conclusion du contrat et ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et de suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toutes décisions qui s’y rapportent. Il peut en outre annuler les décisions prises et supprimer les clauses ou prescriptions contractuelles destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent les obligations des cocontractants. Il faut encore noter que la loi du 30 juin 2000 a créé un juge des référés (juge unique). Sont juges des référés les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, les magistrats que les présidents désignent pour remplir cette mission, et pour le Conseil d’État, le président de la section du contentieux et les conseillers d’État désignés à cet effet.

Jusqu’à présent une entreprise candidate à l'attribution d'un marché était, de ce fait, habilitée à agir devant le juge des référés précontractuels. Les conditions de mise en œuvre du référé étaient de ce fait extrêmement souples. L’entreprise pouvait invoquer devant ce juge tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation du marché en cause, « même si un tel manquement n'a pas été commis à son détriment ». Dans un arrêt du 3 octobre 2008 « Smirgeomes », le Conseil d’Etat exige désormais que l’irrégularité soit susceptible d'avoir lésé ou risque de léser l’entreprise, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

Le référé précontractuel a connu en quelques mois des modifications importantes au travers de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. L’ordonnance précitée transpose la directive européenne 2007/66/CE qui vise à accroître l’efficacité des recours, avant et après la signature des contrats, et à lutter contre la passation des marchés de gré à gré illégaux. Dans ces conditions, la transposition en droit français nécessite de compléter le régime du référé précontractuel et de créer un recours après la signature du contrat. Afin de répondre aux exigences de lisibilité du droit, le Code de justice administrative est réorganisé. La modification du référé précontractuel, qui permet au juge de statuer avant la signature du contrat, s’accompagne de la création du référé contractuel. En matière de référé précontractuel, l’introduction du recours suspend automatiquement la signature du contrat. S’agissant du référé contractuel, il permet au juge d’intervenir avec une efficacité comparable une fois le contrat signé.

La signature du contrat ne fera ainsi plus obstacle à ce que soient immédiatement sanctionnées les obligations de transparence et de mise en concurrence mais également en cas de violation du délai de suspension ou en cas de non-respect de la suspension de la signature du contrat liée à la saisine du juge du référé précontractuel. Le juge est également doté de pouvoirs nouveaux : prononcer l’annulation ou la résiliation du contrat, en réduire la durée ou infliger des pénalités financières.

Cependant, il est précisé qu’une entreprise qui aura exercé un référé précontractuel ne sera pas recevable à exercer le référé contractuel si l’acheteur public s’est conformé à la décision rendue sur ce recours et s’il a respecté l’obligation de ne pas signer le contrat.

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