La responsabilité de l'administration : faute personnelle et faute de service

Modifié le 16 mai 2023

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Dernière mise à jour : juillet 2019

Par réaction contre les pratiques de l’Ancien Régime qui soustrayaient les agents publics à toutes poursuites, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, pose le principe suivant lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (article 15). Cependant, pour éviter les immixtions du juge judiciaire dans le fonctionnement de l’administration, les lois révolutionnaires lui font interdiction de citer devant lui des administrateurs (loi 16-24 août 1790). L’article 75 de la Constitution de l’an VIII renchérit en disposant que « Les agents du gouvernement autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à l’exercice de leurs fonctions qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État ». Toutefois dans une décision restée célèbre, le Tribunal des conflits admet la possibilité d’engager la responsabilité d’un agent de l’administration en cas de faute personnelle (Tribunal des conflits, 30 juillet 1873, Pelletier). La responsabilité de l’administration concurrence celle de l’agent. Par ailleurs, la faute personnelle de l’agent doit également se distinguer de la faute pénale (et accessoirement de la faute disciplinaire).

1. La faute personnelle et la faute de service

Le Code civil prévoit que chacun est tenu de réparer le dommage qu’il cause à autrui. Le droit administratif en revanche, prévoit que la responsabilité personnelle de l’agent ne peut être engagée que lorsque la faute commise se détache des conditions normales d’exercice du service. Le droit administratif distingue la faute personnelle imputable à l’agent, de la faute de service imputable à l’administration.

1.1. La faute personnelle

La victime peut poursuivre l’agent lorsque celui-ci a commis une faute dite « personnelle». Il n’existe en effet aucune raison de faire endosser à l’administration la fautequi relève exclusivement des agissements fautifs d’un de ses agents. La faute par un agent en dehors de l’exercice de ses fonctions doit naturellement être considérée comme une faute relevant de la seule responsabilité de l’agent (CE, 23 juin 1954, Veuve Litzler). Le problème devient plus complexe lorsque la faute commise par l’agent est commise dans l’exercice de ses fonctions. Selon Édouard Laferrière, la faute personnelle est celle qui « révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ». La faute personnelle est donc celle qui laisse transparaître l’homme pris individuellement et non l’agent public. Pour mettre en évidence la faute personnelle, la jurisprudence administrative retient deux séries d’hypothèses, la faute intentionnelle commise dans le cadre du service mais détachable du service(1) et la faute détachable du service mais non dépourvue de tous lien avec le service.

1.1.1. La faute commise dans le cadre du service mais détachable du service

La faute est commise dans le cadre du service mais elle est détachable du service car l’agent par son comportement trahi une préoccupation personnelle.

1.1.1.1. La faute intentionnelle

Le juge administratif retiendra la faute personnelle même dans le cadre du service lorsque se manifeste, dans le comportement de l’agent, une intention malveillante ou un désir de nuire. Par exemple, constituent une faute personnelle des propos injurieux adressés par un agent à l’encontre d’un administré, ou les violences infligées par un agent de la poste à un usager (TC, 14 janvier 1980, Dame Técher). La faute est également réputée personnelle lorsque l’agent a entendu poursuivre, à travers l’exercice de ses fonctions un intérêt exclusivement personnel. Par exemple l’agent qui a commis un détournement de fonds à l’occasion de sa participation au service commet une faute personnelle (CE, 21 avril 1937, Delle Quesnel).

1.1.1.2. La faute d’une gravité inadmissible

La faute commise par un agent peut être qualifiée de faute personnelle si elle dépasse la moyenne des fautes auxquelles on peut s’attendre d’un agent qui effectue ses missions avec une diligence normale. Le plus souvent cette faute doit être « manifeste et d’une exceptionnelle gravité ». Un commissaire de police laissant abattre une personne qui s’était réfugiée dans son commissariat commet une faute grave (TC, 9 juillet 1953, Veuve Bernadas). De même, commet une faute grave le pompier qui provoque un incendie en jetant, par négligence, une cigarette allumée dans une grange (CE, 27 février 1981, Commune de Chonville-Malaumont).

1.1.2. La faute commise en dehors du service mais non dépourvue de tout lien avec le service

La faute est commise en dehors de l’exercice normal des fonctions (en dehors du service) il s’agit donc d’une faute personnelle. Toutefois, la faute est commise soit à l’occasion du service soit avec les moyens du service. Dans ce cas, la faute est donc liée au fonctionnement de l’administration. Par exemple, un officier qui manipule son arme de service à son domicile et blesse mortellement sa femme.

1.2. La faute de service

La faute de service se présente comme l’envers de la faute personnelle. Le juge retient la faute de service chaque fois que le fait à l’origine du dommage subi par la victime ne laisse pas apparaître la personnalité d’un agent. Dans ce cas, c’est à l’administration de répondre des conséquences de la faute. La faute de service est la faute commise par un agent qu’aurait pu commettre n’importe quel autre agent placé dans la même situation. Elle correspond également aux situations dans lesquelles le dommage s’explique par une succession de faute qui s’imbriquent les une dans les autres pour arriver au dommage sans que l’on puisse dire qu’une faute est plus déterminante qu’une autre.

Le rôle traditionnel que remplit la faute de service, est de fonder la compétence de la juridiction administrative et de conditionner le recours intenté par la victime contre la puissance publique.

1.3. Le cumul de faute ou de responsabilité

Le système français d’indemnisation offre à la victime, en cas de dommage causé par l’administration, une pluralité de chances d’être indemnisée. Celle-ci pourra demander réparation de son préjudice, selon le cas, à l’agent auteur du dommage ou à l’administration. Lorsque la victime agira contre l’agent elle s’adressera au juge judiciaire en cas de faute personnelle. Lorsque la victime agira contre l’administration, seul le juge administratif sera compétent. Dans le système imaginé par l’arrêt Pelletier, la responsabilité de l’agent exclut celle de l’administration. Réciproquement, la responsabilité de l’administration exclut celle de l’agent. Toutefois, l’agent est rarement solvable, du moins lorsque la réparation est très élevée. Aussi, la jurisprudence a-t-elle admis la possibilité de cumul pour donner à la victime la possibilité de demander réparation soit à l’agent, soit à l’administration. Dans un premier cas, le juge admet que l’on puisse additionner faute personnelle et faute de service. Il s’agit d’un cumul de fautes (3.2.1). Dans un deuxième cas, lorsque la faute personnelle, bien que détachable du service, conserve un certain lien avec celui-ci, le juge admet un cumul de responsabilités (3.2.2).

1.3.1. Le cumul de fautes

Par un arrêt « Anguet » du 3 février 1911, le Conseil d’État a ouvert la possibilité d’un cumul de fautes. Dans cette affaire, le requérant avait été victime à la fois de brutalités commises par des agents de la poste et de manquement aux règles de fonctionnement du service public, résultant d’une fermeture prématurée d’un bureau de poste. En l’espèce donc, le requérant pouvait à la fois demander la réparation de son préjudice pour faute personnelle (brutalités commises par les agents) et pour faute de service (fermeture prématurée du bureau de poste). Plusieurs fautes sont donc à l’origine du dommage. En conséquence, le requérant se voit autorisé à réclamer la réparation de la totalité du préjudice à l’État devant les juridictions administratives. L’État conserve la possibilité de poursuivre ultérieurement l’agent devant le juge judiciaire. Il s’agit d’une action récursoire.

1.3.2. Le cumul de responsabilités

Le régime du cumul de responsabilités permet d’engager la responsabilité de l’administration pour une faute commise par un de ses agents. Mais à la différence du cumul de fautes, le cumul de responsabilités va encore plus loin puisqu’il n’y a qu’une seule faute à l’origine du dommage (contre deux dans le cumul de fautes) Le cumul de responsabilités repose donc sur l’idée que la faute personnelle n’empêche pas forcément la victime de rechercher la responsabilité de l’administration pour ce même agissement, si l’agissement de l’agent est rattachable au service. La logique du cumul de responsabilités est particulièrement subtile. Elle suppose qu’un même fait puisse être suffisamment détachable du service pour constituer une faute personnelle tout en conservant un certain lien avec l’administration. Dans le célèbre arrêt « Lemonnier », Conseil d’État, 26 juillet 1918, le juge administratif a condamné une commune pour faute grave dans l’exercice des pouvoirs de police, nonobstant la condamnation de son maire pour faute personnelle par le juge judiciaire, en raison des conditions dans lesquelles il avait laissé se dérouler un tir forain. Léon Blum résumera le cumul de responsabilité en affirmant, que « la faute se détache peut-être du service… mais le service ne se détache pas de la faute ».

2. Faute personnelle et faute pénale

« On pourrait penser que toute infraction pénale, du moins s'il s'agit d'un crime ou d'un délit, constitue nécessairement sur le plan de la responsabilité civile une faute personnelle, puisque le crime ou le délit suppose cumulativement ou alternativement une intention répréhensible ou un manquement grave aux obligations légales. Il n'en est pourtant pas ainsi » (Vedel). Toute infraction pénale n’engage pas automatiquement la responsabilité propre de l'agent qui en est l'auteur.

Lorsque l'infraction pénale est un crime, la réponse positive, un crime est toujours une faute personnelle (T. confl., 19 mai 1954, Vve Rezsetin : Rec. CE 1954, p. 704). La solution est en principe la même pour les délits intentionnels comme par exemple des brutalités inutiles. En revanche il n’en va pas de même pour les délits d'imprudence comme le rappel le Tribunal des conflits dans un arrêt Thépaz du 14 janvier 1935. Dans sa décision, le juge opère une distinction entre délit d'imprudence et faute personnelle dès lors que dans les circonstances de l’espèce, le tribunal relève que l’accident ayant conduit à la condamnation a eu lieu "en service commandé" et les "circonstances de la cause". Des solutions analogues existent en matière de responsabilité hospitalière ou en cas d’usage d’arme à feu.

On relèvera enfin qu’en cas e procédure disciplinaire, la matérialité des faits jugés devant le juge pénal est couverte par l’autorité absolue de la chose jugée. Rien n’interdit en principe d’engager une procédure disciplinaire contre un agent faisant l’objet de poursuite pénale. Toutefois, en cas de discussion sur la matérialité des faits, il est prudent d’attendre l’issue de la procédure pénale pour statuer dans l’instance disciplinaire.

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