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Notions clés

Pour être totalement complet sur cette question aujourd’hui, il faut non seulement présenter les grands traits de la notion de service public « à la française » (1), mais aussi les principaux axes des relations entretenues entre le service public et le droit communautaire (2).

Sommaire

1.Le service public « à la française »

La notion de service public désigne une mission remplie par l’administration ou sous sa responsabilité dans le but de satisfaire l’intérêt général. Les activités de service public peuvent revêtir des formes extrêmement variées (1.1) et la notion d’intérêt général doit être envisagée de manière circonstancielle (1.2). En effet, l’intérêt général est souvent fonction de circonstances particulières de temps et de lieu. Les conséquences sont que l’Administration gère, sinon contrôle la gestion de cette activité (1.3), gestion qui fait une place variable au droit public (1.4).

1.1 Le service public, une activité

La notion de service public sert à désigner une activité exercée par l’administration ou sous sa responsabilité. Cette activité se caractérise par l’octroi d’une prestation aux usagers du service public. Ces prestations prennent des formes variées. Il s’agira d’une prestation matérielle (fourniture d’eau de gaz ou d’électricité…) ; de prestations financières (octroi d’une subvention, d’une prime ou d’une prestation sociale) ; ou d’une prestation de service (enseignement, culture, sport…). Cette activité de prestation permet d’opposer l’activité de service public à l’activité de réglementation de l’administration (activité de police). Cette opposition mérite toutefois d’être nuancée dans la mesure où les activités réputées par le juge activité de service public consistent essentiellement à édicter une réglementation (mission des ordres professionnels comme l’ordre des médecins : CE, 2 avril 1943, « Bouguen »). En outre, la mise en œuvre des règlements de police est réalisée par l’intermédiaire du service public de la police (nationale ou municipale).

1.2 La satisfaction de l’intérêt général

La condition première à l’institution d’une activité en service public est son caractère d’intérêt général. Toutefois, la notion d’intérêt général est extrêmement subjective et donc difficile à définir. De façon sommaire une activité d’intérêt général est une activité qui a pour but de satisfaire un besoin collectif. Il s’agit donc d’un intérêt supérieur qui se distingue des intérêts privés. Pourtant notre société est trop complexe pour que l’on puisse opposer de façon aussi simpliste intérêt général et intérêt privé. En outre, la notion d’intérêt général est évolutive et varie en fonction des circonstances de temps et de lieu. Au début du siècle la notion d’intérêt général est entendue de façon stricte et se limite à quelques services publics jugés essentiels à la collectivité (eau, gaz, électricité, transport urbains…). Par la suite, la notion d’intérêt général s’est considérablement étendue aux nouveaux besoins de la population (en matière de loisir, d’enseignement, de protection sociale, au domaine sportif…).

Deux exemples, classiquement avancés, démontrent ce caractère fluctuant. Le théâtre, à qui l’on a refusé la qualification de service public en 1916 (arrêt « Astruc »), s’est vu conférer ce label en 1944, par un arrêt « Léoni » selon lequel un théâtre municipal présentait un intérêt public dans la mesure où il faisait prédominer la qualité et les intérêts artistiques sur les intérêts commerciaux de l’exploitation. Autre domaine, déjà abordé précédemment, l’interventionnisme économique des collectivités locales qui a également connu une telle évolution. Ainsi, après avoir été refusé par un arrêt « Casanova » de 1901, cet interventionnisme a été considéré comme présentant un intérêt général par un arrêt « ville de Nanterre » de 1964, jusqu’à être légalisé en 1982/1983 par les lois de répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales.

Ainsi, dans un grand nombre de cas, l’intervention des personnes publiques vient pallier les carences de l’initiative privée. Dans d’autres hypothèses, on constatera que l’initiative privée vient pallier les défaillances de l’initiative publique. Ainsi, le développement anarchique des services publics et l’imbrication entre la sphère publique et la sphère privée rendent difficile l’appréhension de la notion de service public.

1.3 Une activité exercée par l’administration ou sous son contrôle

La satisfaction d’une activité d’intérêt général suppose normalement l’intervention d’une personne publique. En effet, la création d’un service public revient normalement à l’État ou aux collectivités territoriales qui ont pour mission de déterminer les besoins de la population. Toutefois, le lien entre l’administration et le service public peut être fluctuant. Ce lien sera direct lorsque la personne publique gère elle-même l’activité de service public. En revanche, ce lien devient indirect, lorsque la personne publique qui est compétente pour créer le service public en confie la gestion à une personne publique ou privée distincte d’elle. Dans ce cas la personne publique conserve un droit de regard sur l’activité de service public (pouvoir de contrôle) mais n’exerce pas l’activité directement par ses propres moyens.

Il convient donc de distinguer deux hypothèses. La première est celle où l’activité de service public est exercée par une personne publique. Cette première hypothèse renvoie à la conception originelle du service public, qui résulte d’une décision du Tribunal des conflits de 1908, « Feutry ». Est Service public l’activité d’intérêt général gérée par une personne publique.

La deuxième hypothèse résulte d’un arrêt du Conseil d’État de 1938, « Caisse primaire Aide et protection », selon lequel le Service public est une activité d’intérêt général gérée par une personne privée avec des prérogatives de puissance publique sous le contrôle de l’Administration. Cette seconde définition de la notion de service public est fondamentale car elle ouvre la possibilité pour les personnes privées d’exercer des activités de service public.

Par la suite le Conseil d’Etat et le législateur ont étendu assez largement la possibilité pour une personne de droit privé d’exercer une activité de service public. C’est notamment le cas des fédérations sportives ou des ordres professionnels. Par un arrêt « Bouguen » du 2 avril 1943 le Conseil d’État s’estime compétent pour statuer sur certaines décisions des ordres professionnels. Pour se reconnaître compétent, le juge avait dû rattacher l’acte attaqué à l’exercice d’une mission de service public. Dans le même sens d’autres décisions peuvent étayer cette situation comme par exemple celle du 31 juillet 1942 « Montpeur » à propos des décisions prises par une personne morale corporative.

Une variante de cette deuxième définition existe depuis une arrêt « ville de Melun » de 1990, et un arrêt « société Textron » de 1992, par lesquels le Conseil d’Etat a estimé qu’une personne privé gérant une activité d’intérêt général, sans prérogative de puissance publique, mais sous la dépendance d’une personne publique, pouvait être aussi qualifiée de service public. Il s’agissait pour le juge de faire entrer dans le giron du droit public et de son contrôle les associations transparentes qui gravitent, encore aujourd’hui, autour de très nombreuses collectivités territoriales, dans le domaine de la culture, des sports, des loisirs, de l’insertion ou de la formation.

1.4 L’application des règles du droit public

Le dernier élément de définition de la notion de service public doit être recherché dans la soumission des activités de service public au droit public. Le droit applicable aux activités de service public est une conséquence de la définition de la notion selon laquelle le service public est une activité d’intérêt général exercée par l’administration. Lorsque l’activité de service public est exercée par une personne privée, l’un des éléments révélant l’existence d’une telle mission, est le fait que cette activité bénéficie de prérogatives de puissance publique que l’on ne rencontre que dans le cadre du droit administratif (Conseil d’État, 28 juin 1963, « Narcy »). Ainsi donc, l’activité de service public est soumise à un corpus de règles fondamentales tel que le principe d’égalité, de continuité et de mutabilité.

Toutefois, l’évolution de la notion de service public, notamment avec l’apparition des services publics industriels et commerciaux (TC, 22 janvier 1921, « Société commerciale de l’Ouest africain ») et le recours à des personnes de droit privé, nécessite de nuancer l’affirmation selon laquelle on applique le droit public aux activités de service public. Dans certains cas de figure les activités de service public se verront appliquer les règles du droit privé. Se sera par exemple le cas des règles du droit de la concurrence. Au contraire, on appliquera parfois le droit public aux personnes privées qui exercent une activité de service public (ce point sera détaillé plus loin dans l’étude).

2.L’impact du droit européen sur le service public « à la française »

La construction européenne n’a pas manqué de poser – et pose encore – de nombreux problèmes au « service public à la française », avec ses logiques de prérogatives particulières, de privilèges de gestion, voire de monopoles.

Après une première étape de confrontation (2.1), les logiques françaises et européennes se rapprochent difficilement (2.2). La difficulté aujourd’hui porte essentiellement sur la question des services sociaux (2.3).

2.1 Deux logiques initialement divergentes

Pendant longtemps, l’Europe a « ignoré » les services publics. La question ne s’est trouvée posée que lorsque la décision de construire un grand marché unique a été prise (Acte unique de 1986).

En effet, ce grand marché repose sur la primauté des acteurs économiques, la primauté du marché et de la libre concurrence. Cela devait inévitablement entrer en conflit avec la logique française de monopole, des droits spéciaux, notamment pour l’ouverture à la concurrence des grands secteurs traditionnels, (électricité, gaz, poste, télécommunications, transports aériens et ferroviaires).

Il n’est pas inutile à ce niveau du propos, pour bien comprendre et lire l’actualité économique et sociale, de rappeler les principales caractéristiques des réformes des services publics en réseaux (les « public utilities »), d’une part, et en quoi consiste concrètement ce que l’on appelle la régulation, et qui doit constituer le seul mode d’intervention de l’Etat dans ces secteurs, d’autre part.

Le sommet de cette divergence a été atteint lors de la grève générale de l’automne 1995 dans les services publics. Cette grève a, notamment, été provoquée par une réaction de défiance des salariés du secteur public face aux remises en cause des services publics par les instances communautaires, et la volonté d’y substituer une notion « au rabais » selon eux, le service universel, défini comme « le service de base offert à tous dans l’ensemble de la communauté à des conditions tarifaires abordables, et avec un niveau de qualité standard ».

Devant ces évolutions, certains Etat dont la France, mais aussi le Parlement européen, sont intervenus pour que la Commission européenne prenne en compte d’autres impératifs que la seule libre concurrence.

2.2 Un rapprochement problématique

Ce rapprochement consiste en une prise en compte réciproque des objectifs et des impératifs de l’Europe et de la France.

La France a commencé à déréguler ses monopoles, du secteur aérien en 1994, des télécommunications ou du secteur énergétique afin de permettre la mise en œuvre effective du principe de libre concurrence. Par ailleurs, le législateur a mis en place un système de régulation transparente des opérateurs du service public, en dissociant l’organisme qui régule le marché (l’Etat) et l’organisme qui gère le service (l’entreprise publique).

L’Europe, pour sa part, a fait évoluer sa position vers un meilleur équilibre entre libre concurrence et prise en compte des impératifs nationaux en matière de service public.

La CJCE, par une jurisprudence fournie (CJCE, 1993, « Paul Corbeau » ; 1994, « Commune d’Almelo » ; 1997, « commission c/France »), a accepté plus facilement des dérogations aux règles de concurrence en faveur des services publics.

Par ailleurs, le Traité d’Amsterdam (article 7D) a incorporé dans le droit communautaire « l’idée » de service public, en considérant que les Services d’Intérêt Economique Général occupent une place importante dans les valeurs communes de l’Union « ainsi que dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union ». La volonté est d’arriver à un équilibre ; toutefois, la question des services sociaux est venu ranimer la polémique.

2.3 La question des services sociaux

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne au 1er décembre 2009, ratifié par la République française le 8 février 2008, contribue à renforcer ce principe de protection des missions d’intérêt général imparties à certains services qualifiés d’intérêt général, y compris aux services sociaux. Ces spécificités ont par ailleurs justifié l’exclusion par le Parlement européen de certains services de la directive relative aux services dans le marché intérieur (2006/123/CE). Cette directive s’inscrit dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne » et propose quatre objectifs principaux en vue de réaliser un marché intérieur des services :

  • faciliter la liberté d’établissement et la liberté de prestation de services au sein de l’UE ;
  • renforcer les droits des destinataires des services en tant qu’utilisateurs de ces services ;
  • promouvoir la qualité des services ;
  • établir une coopération administrative effective entre les États membres.

L’article 106§2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) rappelle que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux dispositions des traités, notamment aux règles de la concurrence, dans la limite où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Une distinction est ainsi faite en droit communautaire entre :

  • les services d’intérêt général qui, compte tenu de leur mode d’organisation et de financement, ne relèvent pas d’une activité de nature économique au sens des traités et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et auxquels les règles de concurrence et du marché intérieur ne s’appliquent pas (notion de « services non économiques d’intérêt général » (SNEIG)),
  • et les services d’intérêt général relevant d’une activité de nature économique au sens du Traité compte tenu de leur mode d’organisation et de financement et auxquels s’appliquent ces règles mais sous condition expresse de bon accomplissement de la mission particulière qui leur est impartie (notion de « services d’intérêt économique général (SIEG) »).

Et c’est dans cette distinction que doivent s’insérer les Services Sociaux d’Intérêt Général (SSIG). En effet, un SSIG ne relève pas d’une catégorie juridique spécifique. Le cadre d’application en droit demeure celui applicable à l’ensemble des SIG.

Ces SSIG sont des SIG dont la mission vise à répondre aux besoins vitaux de l’être humain à lui permettre de bénéficier de ses droits fondamentaux tels que la dignité et l’intégrité de la personne et d’un niveau élevé de protection sociale. La Commission opère une distinction, parmi les SSIG, entre les services de santé et d’éducation, les régimes de protection sociale (santé, vieillesse, accidents du travail, chômage, retraite, handicap) et les services sociaux essentiels parmi lesquels les services d’aide aux personnes vulnérables (endettement, chômage,…), les services d’insertion économique et sociale (formation professionnelle, réinsertion…), les services d’inclusion sociale (handicap, santé) et le logement social. Certains de ces SSIG sont des services d’intérêt économique général (SIEG), d’autres sont des services non économiques d’intérêt général (SNEIG). Tout l’enjeu de la directive « services » de 2006, et surtout des administrations publiques françaises (au premier rang desquelles figurent les collectivités territoriales) est de définir un périmètre de leurs SSIG leur permettant d’échapper aux règles de la mise en concurrence.

 

Auteur(s) :

DYENS Samuel

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