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Les concours de la FPT

Dernière mise à jour : décembre 2015

Le fait patrimonial qui prévaut à la création de nombreux musées se résume à trois questions : à quoi une société destine-t-elle les objets matériels qu’elle possède ? Quelle représentation d’elle-même souhaite se donner cette société en exposant ces objets ? Quelle interprétation du passé construit-elle en lien avec ces objets ?

Le concept qui prévaut à la création de nombreux musées tels que nous les envisageons aujourd’hui est apparu à la période révolutionnaire, période d’un tri complexe mené sous la responsabilité des conservateurs du patrimoine : séparer ce qui est périmé de ce qui est pertinent, le local de ce qui est universel, le moderne de ce qui est ancien, entre intentions scientifiques, héritage objectif et transmission d’une tradition culturelle.

Au vingtième siècle, nous sommes passés du « patrimoine témoignage » du génie humain, exposé de manière encyclopédique dans les musées du dix-neuvième siècle au « patrimoine – indice » où les collections témoignent matériellement des sociétés humaines, où l’on classe au titre des monuments historiques un ensemble agricole, des maisons d’ouvriers, un ordinateur1. La collection y est garante d’une forme d’authenticité dans une société moderne qui court en avant, sorte de trait d’union entre passé et futur.

Aujourd’hui, la définition du patrimoine a évolué. Une véritable « prolifération patrimoniale » semble avoir gagné notre pays, témoignant d’une nouvelle attitude devant le passé, le tryptique « identité-mémoire et territoire ». Le code du patrimoine en donne d’ailleurs une définition très large dans son premier article : le patrimoine est « l'ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ».

C’est au sein de ce concept plus large de patrimoine qu’il faut concevoir aujourd’hui l’histoire des musées. En effet, le « musée » vise à rendre accessible à travers une sélection d'objets l'idée du beau et du savoir. Le cas des musées français étant singulier, nous nous attacherons principalement à décrire leur histoire puis leurs missions au regard des textes encadrant leur action. Nous conclurons sur les bouleversements à l’œuvre aujourd’hui, notamment à une époque où le musée est devenu un média populaire, confronté aux enjeux de la culture de masse et des nouveaux modèles économiques.

  1. ^ http://db.aconit.org/dbgalerie/galerie.php?fgal=00-visite&nsal=130

1. Histoire générale des musées

C’est à Besançon que fut ouvert la première collection publique de France, collections réunies par Nicolas Perrenot seigneur de Granvelle, garde des sceaux et premier conseiller de l’empereur Charles Quint et rendu accessibles en 1696 par l’abbé Boisot qui en avait dressé l’inventaire. Les musées tels que nous les connaissons sont donc nés durant la Renaissance pour se concrétiser en Italie et en Angleterre au 18e siècle (1759, Ashmolean Museum à Oxford).

1.1. Avant la Révolution

1.1.1. L’Antiquité

Le museion dont nous avons connaissance, lieu consacré aux Muses, a été construit à Alexandrie au troisième siècle av. J.-C. La collection d’œuvres d’art (bustes) y illustrent les penseurs marquant de leur temps et n’est en rien le cœur d’intérêt du lieu ; car l’on se réunit au museion pour échanger entre érudits et étudiants. Le « musée » est déjà un lieu de recherche et d'étude, où laboratoires, observatoire et jardins s’y côtoient, modèle qui anima la conception de nombreux musées à l’époque moderne.

1.1.2. Le Moyen-Âge et la Renaissance : le « musée », vitrine des puissants

À la fin du Moyen-Âge, les châteaux deviennent des lieux de représentation où de grandes tentures illustrent l’Histoire des familles princières. L’Eglise catholique rivalise avec les princes en exposant ses trésors (la collection des Musées du Vatican dont le célèbre Laocoon fut exposée au public dès 1506 dans la cour des statues https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_du_Laocoon ).

Durant la Renaissance, de nombreuses cités italiennes se rebâtissent, des sites archéologiques antiques d’exception sont mis au jour et collectionner des antiques devient une passion italienne. Épris de médailles (monnaies), vestiges, statues, vases, fragments gravés de portraits d'hommes illustres et de peintures aux sujets « païen », les familles princières italiennes, puis françaises, exposent aux regards des voyageurs et des artistes leurs collections d’œuvre d’art dans leurs jardins et dans de grandes galeries (http://www.panoramadelart.com/galerie-francois-1er-chateau-de-fontainebleau). Les musées, vitrines accessibles aux bourgeois (les châteaux étaient le fait de princes), Ces « musées » vont fleurir dans toute l'Europe. Pour exemple celui de Paul Jove ouvert en 1521 à Borgo-Vico, appelé« musée » et présentant notamment des monnaies et 400 portraits d'hommes illustres.

Les français appellent peu à peu ces espaces où s’inspirent les artistes des « muséums », (terme conservé par les musées d’histoire naturelle mais délaissé par les autres « musées » au 18e siècle).

1.1.3. Le 17e siècle : l’âge d’or des Cabinets de curiosités

Avec la multiplication des voyages d'exploration, les hommes puissants auront à cœur d’exposer au côté des antiques des naturalias et des instruments scientifiques (http://curiositas.org/chronologie/16e) mais ces collections restent réservées aux érudits qui font dès le 17e siècle leur « tour » des curiosités en échangeant des ouvrages avec leurs homologues européens, prémices d’une recherche internationale. Plusieurs années avant l’ouverture de la collection des Granvelle à Besançon, le Cabinet d'Amerbach (Bâle) est ouvert au public en 1671. Notons que la collection royale d’art du Palais du Luxembourg est ouverte au public en 1750 (http://www.senat.fr/patrimoine/annexe_de_la_bibliotheque.html).

Chantal GEORGEL décrit dans son article « Premiers muséums premiers hommes : la formation initiale des collections » les nombreux « embryons de musées » constitués par les Académies locales et les écoles de dessins, soutenus par les pouvoirs locaux Les riches voyageurs ayant réalisé leur tour d’Europe exposaient eux-aussi leurs cabinets comme le marquis de Robien à Rennes (141 tableaux, 38000 gravures, 1000 dessins, antiques et naturalias) ou Jehannin de Chamblanc à Dijon.

A Paris, dès 1750, l’administration royale avait ordonné l’exposition publique de cent-dix tableaux en réponse aux alertes de la communauté savante sur l’état artistique de la France. L'ouverture du « Muséum » au Louvre, le 10 août 1793, avait été envisagée dès 1768 dans un article du même nom dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert (http://encyclopédie.eu/index.php/histoire/1614321522-histoire-moderne/608532057-LOUVRE). Bijoux, gemmes, armes et diverses collections royales étaient exposées quant-à-elles au couvent des Grands-Augustins ; les cabinets de curiosités de Pavin de la Blancherie (http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/612-claude-pahin-de-la-blancherie) et Jacques Bonnier de la Mosson étaient très prisés

1.2. La Révolution française et la conservation du patrimoine

En France, c’est la Révolution française qui constitue dans l’esprit collectif la mise-en-partage des collections publiques « rendues au peuple » ; tout autant qu’elle en fut la plus grande des destructions, un « vandalisme révolutionnaire » décrié par Victor Hugo. Deux préoccupations majeures animent l’époque, bien éloignées d’une « attitude antiquaire » qui prévaut chez de nombreux collectionneurs : celles d’assumer l’héritage national et celle de donner naissance à de nouvelles formes d’art et de sciences. C’est ainsi que les révolutionnaires vont tenter d’extraire certaines œuvres de leur contexte initial pour les préserver de la destruction (au nom de « l’histoire de l’art et des sciences ») alors qu’ils détruisent tout ce qui symbolisent le passé dans une rage iconoclaste sans précédent.

Devant l’étendue des destructions, le concept de conservation du patrimoine national nait ; c’est une décennie où passionnés et détracteurs des musées s’affrontent, s’acharnant à démontrer combien les musées peuvent dénaturer le « vrai patrimoine », c’est-à-dire combien ils peuvent manipuler une collection en la présentant sous un angle nouveau, celui de l’histoire de l’art naissante.

L’ouverture de ces nouvelles institutions correspond aussi à une nouvelle posture sociale : la conservation du patrimoine, incarné par le conservateur, ni artiste, ni homme de lettres mais seulement mué par cet esprit de conservation et de monstration de ce qui est exemplaire dans l’histoire des arts et des sciences. Le conservateur aura alors à cœur de mener à bien des tâches inédites: attribution d’une œuvre à son auteur, collectes thématiques, restauration d’œuvres abîmées, accrochages….

Cette mise à disposition des biens confisqués aux nobles et aux congrégations religieuses fait du musée le nouveau lieu officiel de l'exposition de l'art et du génie humain ; le palais du Louvre est choisi pour devenir un musée en 1793, à la suite d'une première présentation des tableaux du roi au palais du Luxembourg de 1750 à 1779.

Dans d’autres pays européens où pourtant la révolution française n’a pas lieu, l’ouverture des collections privées va pourtant se répandre (British Museum en 1759).

Durant la révolution, c’est le pouvoir central qui est seul habilité à créer des « muséums ». De nombreux acteurs locaux, organisant les confiscations de biens, en dressèrent les inventaires et ouvrirent des « muséums temporaires », jusqu’à ce que la commission nationale l’officialise (Toulouse 1792, Auch 1793, Dijon 1794).

De nombreux établissements nationaux ont vu le jour suite à la Révolution française : le Muséum national d'histoire naturelle, le Conservatoire national des arts et métiers en 1794 et le musée des monuments français en 1795, né des confiscations des biens du clergé, entassés au Petits-Augustins pour être vendues. Ces collections ont été sauvées par Lenoir qui les organisa par ensembles illustrant l’histoire de France. Les prémices de la mise-en-scène (scénographie) y étaient si convaincantes que de nombreux historiens y trouvèrent leur vocation.

1.3. Le 19e siècle : la première « apogée »

De nombreuses collections furent enrichies au 19e siècle par des réseaux d’échanges mais aussi par des prises de guerre (conflits révolutionnaire et napoléoniens). En effet, le goût de l’Antiquité renaissant mais surtout celui de l’Orient pousse les pays européens dont la France à « piller » les monuments grecs puis égyptiens (Musée égyptien du Louvre, dirigé par Jean-François Champollion en 1826).

La Capitale regorge alors de collections que le Louvre et tous ses collatéraux parisiens ne peuvent exposer. Le directeur général du « Muséum central des arts », Dominique Vivant-Denon écrit au Ministre Chaptal pour que la moitié du patrimoine national aille dans les départements afin d’y être montré à tous les français. L’arrêt du 1er septembre 1801 ou « loi Chaptal » redistribue les collections sur tout le territoire. C’est la première politique muséale en France (lien vers fiche statut des collections).

1.3.1. Le musée reflet des préoccupations nationales

Durant ce siècle, le nombre de musées passe de quinze à plus de six-cents : sont créés les musées d'Orléans en 1797 ou de Grenoble en 1798 (inauguré en 1800) ; Lille, Lyon, Nantes, Strasbourg en 1803…Les musées locaux font peu à peu florès, témoignant tant de l’histoire locale que des faits de leurs sociétés savantes qui organisent des fouilles à travers le monde. L’histoire nationale n’est pas oubliée avec la création de la galerie des Batailles au château de Versailles en 1837. Face au gout émergent pour le moyen-âge durant la période romantique, le musée des Monuments français fut transformé en musée du Moyen-Âge en 1844. Puis à l’aube de la guerre de 1870, pour incarner l’identité pluriséculaire du peuple « gaulois », c’est le musée des Antiquités nationales qui est créé au château de Saint-Germain-en-Laye.

1.3.2. Le musée, lieu d’enseignement

1.3.2.1. La bibliothèque : l’indispensable amont

Un point important est l’association de ces musées locaux à des bibliothèques, abritant les documents accumulés par les sociétés savantes et les érudits donateurs, qui sont le pendant éducatifs de l’exposition des collections.

1.3.2.2. Lieu de formation professionnel

Le musée d'art est alors de formation pour les étudiants, les artistes et de certains professionnels comme les mouleurs (1000 modèles au Louvre en 1883, versés en 1927 au musée de la sculpture comparée qui redevint Musée des monuments français sous la houlette de Viollet-le-Duc). Les muséums d’histoire naturelle sont quant-à-eux les lieux de formation des médecins et pharmaciens qui y découvrent la botanique et l’anatomie (les muséums seront supplantés par les universités quand celles-ci délivreront des diplômes). Le CNAM et les musées d’Industrie sont quant-à-eux des lieux de formation techniques.

1.3.2.3. Livrer une vision universelle des connaissances

Le 19e siècle est « curieux de tout, désireux d’embrasser l’univers, de l’ordonner, de le classer, de l’expliquer te de se l’approprier développa de vastes encyclopédies, véritables accumulations, au travers d’œuvres et d’objets de toute nature, de connaissances historiques, littéraires, scientifiques ou artistiques (…) universelles » (Chantal GEORGEL). Les musées du 19e siècle sont des « encyclopédies superposées » et le classement des collections doit permettre au visiteur d’accéder au monde de la connaissance. Les classifications du 17e siècle sont abandonnées (naturalias versus artificalia, exotica, et antiques très prisés) mais les acquisitions relèvent toujours de dons hétéroclites spontanés pour bon nombre d’institutions locales. Les sections des curiosités y perdurent au côté des sections d’histoire naturelle et d’art. Le musée du havre expose en 1860 des « costumes de sauvage » au milieu d’instruments de musique. Les coquilles et autres curiosités de la nature se dotent de noms scientifiques en latin, les antiques deviennent les témoins d’une chronologie historique. Les muséums accumulent la diversité du monde naturelle sans l’organiser autour des théories les plus modernes comme celle de l’évolution des espèces, les panthéons des illustres et des chefs d’œuvres brillent moins à l’aune de la toute nouvelle histoire de l’art.

Cet encyclopédisme didactique impose d’acquérir et d’exposer un maximum de collection : les accrochages en « touche touche » font leur apparition.

1.3.2.4. Éduquer par les grandes expositions

Dans la deuxième moitié du siècle, ce ne sont pas seulement les grands musées qui attirent le public, mais aussi les grandes expositions dont les célèbres expositions « universelles ». L’exposition des produits de l’Industrie française est très prisée et les musées d’art appliqué voient le jour combinant école de dessin, bibliothèque et collections. Une véritable politique d'instruction et de vulgarisation marque la fin du dix-neuvième siècle en France : l'industriel Émile Guimet créa d'abord à Lyon (1879) puis à Paris (1889) un musée d'Histoire des religions d'Orient, qui porte aujourd'hui son nom. Son projet lyonnais est devenu le Musée des Confluences.

1.3.3. La spécialisation des musées

Au début du siècle, les sections des collections et des expositions représentent la polyvalence des sociétés savantes « touche-à-tout » : conservatoire industriel, antiquités, sculpture ancienne, histoire naturelle… La mise en ordre muséologique autour du classement des collections, l’articulation entre les départements du musée vont peu à peu devenir impossible ce qui va pousser à la création de musées spécialisés comme le musée de l’hôpital Saint-Louis exposant dans 162 vitrines 4000 cires colorées illustrant les maladies de la peau (http://hopital-saintlouis.aphp.fr/le-musee-des-moulages-de-lhopital-de-saint-louis/). De nombreux musées naissent suite à des legs importants comme la collection Panckoucke qui donna naissance au Musée de Meudon en 1841.

1.3.4. Les musées d’ethnographie extra européenne

Héritiers des cabinets de curiosités, l’émergence de l’étude des diverses sociétés humaines combinée à l’entreprise coloniale donnent à ces collections un nouvel essor. À Paris, l'exposition universelle de 1878 aboutira au musée d'ethnographie au nouveau palais du Trocadéro. Même la culture européenne est objet de collecte : le musée des arts et traditions populaires voient le jour mais aussi les prémices du musée de la Marine en 1837 dans une dizaine de salles du Louvre.

1.4. L’Entre-deux-guerres

Les musées sont alors critiqués pour leur manque de réactivité en matière d’actualité artistique et scientifique, restant trop « académiques » (peu d’artistes vivants y sont exposés). Les musées d’art moderne voient donc le jour avec en primeur celui de Grenoble en 1919 qui reste une référence en France. Dans les muséums les présentations des animaux restent basées sur la systématique et non l’écologie naissante. Les scénographies du 19e, accumulatives, sont détruites au profit d’éléments valorisant chaque objet notamment par la modernisation des éclairages et l’ouverture des espaces. Des espaces dédiés aux expositions voient le jour et le rôle social et non plus seulement éducatif du musée est affirmé, donnant naissance à l’éco-muséologie.

1.5. L’Après-guerre : la deuxième apogée des musées

L’ordonnance du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des beaux-arts, modifiée et complétée par le décret du 31 aout 1945 poursuit la logique centralisatrice tout autant qu’expansive du monde muséal (le décret fixant la liste des musées classés du 26 juillet 1946 sera complété en 1953, 1957, 1961, 1969 et 1982, témoignant des nombreuses créations de musée à cette période). C’est l’époque du développement des écomusées. Héritiers des musées locaux du siècle précédent, les écomusées ont été à leur apogée dans les années 1970 les chantres de la relation « identité-habitant-territoire-musée », musée construit en général autour de la récolte par une association d’un patrimoine industriel ou écologique en cours de disparition (de nombreux écomusées ont été créés au sein de parcs régionaux), l’habitant du territoire est censé y co-construire et y témoigner de sa propre identité.

Dans les années 1970, l’art contemporain et plus globalement le marché de l’art devient mondial ; les musées se rénovent grâce à des concours mettant à l’œuvre les plus grands architectes (Centre Georges-Pompidou, 1977). Les espaces se spécialisent encore plus pour faire de ces grands musées de véritables centres culturels avec bibliothèque, restaurant, cinéma, réserves climatisées, plateaux d’exposition ultra techniques, espaces de médiation et de conférence comme à la Cité des Sciences (1986). La restauration et la régie des collections intègrent des espaces dédiés peu à peu. La production culturelle liée aux musées se diversifie : catalogues, expositions itinérantes, sites internet…

A contrario, des projets de musée redonnent vie à des lieux du patrimoine (le Musée d’Orsay dans une gare 1900, Le Louvre en 1991, la Grande galerie de l'évolution du Muséum national d'histoire naturelle en 1994). De nombreux projets hybrides combinant patrimoine et bâtiments neufs (pour les réserves notamment) voient le jour dans les années 80 et 90, notamment en régions car les lois de décentralisation donnent plus de pouvoir aux collectivités territoriales qui s’attachent à rénover ou développer leurs musées.

1.6. L’exemple des musées de Strasbourg

Pour illustrer concrètement cette chronologie, prenons pour exemple l’histoire des musées de Strasbourg (d’après Eric Blanchegorge) : un incendie ravage le musée de peinture et de sculpture le 24 août 1870, ainsi que l'ancienne église des Dominicains et les trésors de la Bibliothèque. Les strasbourgeois, choqués, organisèrent avec les sociétés locales d’art une importante campagne d’acquisition et de fouilles archéologiques pour en reconstituer les collections. En 1898, le nouveau musée des beaux-arts s’installe au palais de Rohan. En 1896 déjà, les collections archéologiques reconstituées par la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace avaient pris le chemin du Palais Rohan, place du Château, rejoint par le Cabinet des Estampes en 1908. D’autres musées furent inaugurés dans la ville comme le Musée des Arts et Métiers en 1887, le Musée Alsacien (privé) en 1907, racheté depuis par la Ville. Après la première guerre mondiale, une politique globale en matière de musées fut initiée, donnant naissance au Musée Historique, né en 1919 de nombreuses donations patriotiques faites par les grandes familles strasbourgeoises. En 1931, l’ouverture du Musée de l’Œuvre Notre-Dame, illustrant l'art et la civilisation du Moyen-Âge et de la Renaissance, complétant un panel déjà très large. Devenus "Musées du Rhin Supérieur" lors de l'annexion de la région au Troisième Reich entre 1940 et 1944, les collections souffrirent des bombardements américains de 1944 et le Service des Monuments Historiques n’acheva qu’en 1978 la réparation de bon nombre de bâtiments. C’est durant cette période que le Cabinet des Estampes quitta le Musée des Beaux-arts pour de nouveaux locaux, en 1980.La création d’un Musée d’Art moderne et contemporain en1998 donna une dimension de réseau au tissu muséal strasbourgeois. Depuis, plusieurs rénovations ont été engagées ; avec onze musées rassemblés sous une direction commune, à laquelle vient de se joindre tout récemment le Musée Zoologique, le réseau des musées de Strasbourg offre véritablement, comme l’avait imaginé nos prédécesseurs des Lumières une vision encyclopédique du patrimoine régional et rhénan.

2. Missions des musées

2.1. Evolution des missions

Dans son message du 16 décembre 1792, Roland, premier ministre de la Convention rappelle la mission éducative des collections : « le rassemblement précieux des richesses nationales a pour but de préparer à l’instruction publique ». Témoigner du génie humain, montrer le patrimoine national, tendre vers l’acculturation des peuples… Dès la Révolution française, les fondements des musées tels que nous les connaissons aujourd’hui sont posés : le musée collecte, conserve et expose des collections.

Au 19e siècle, l’idée même de détourner la classe ouvrière de l’ennui et donc de risque d’aller vers des activités malhonnêtes est une des missions du musée qui acquière alors un rôe social nouveau : de nombreux musées cantonaux voient le jour sous la houlette d’Edmond Groult qui veut « moraliser par l'instruction, charmer par les arts, enrichir par les sciences » toutes les catégories sociales de la Nation.

L'utilité sociale du musée est réaffirmée dans la deuxième moitié du 19e siècle où de nombreux collectionneurs privés font don de leur bien car « Les œuvres du génie appartiennent à la postérité et doivent sortir du domaine privé pour être livrés à l'admiration publique » (Alfred Bruyas, 1868. Ami et protecteur de Gustave Courbet, donateur de sa collection à la ville de Montpellier).

Les musées permettent donc aux peuples de s’éveiller à la connaissance par la confrontation à l’objet. Les musées sont donc devenus indispensables aux sociétés contemporaines comme le rappelait André Malraux en 1947 « Le rôle des musées dans notre relation avec les œuvres d'art est si grand, que nous avons peine à penser qu'il n'en existe pas […] et qu'il en existe chez nous depuis moins de deux siècles. Le 19e siècle a vécu d'eux, nous en vivons encore et oublions qu'ils ont imposé aux spectateurs une relation toute nouvelle avec l'œuvre d'art. Ils ont contribué à délivrer de leur fonction les œuvres d'art qu'ils réunissaient ».

Puis le musée élargit le champ de ses activités au point que l’on s’interroge sur sa fonction sociale ; le musée s’approprie peu à peu les attributs d’un média, mais pas au sens courant du terme selon Jean Davallon (Public et musée, 1992). En effet, même s’il diffuse des informations à ses publics via de nombreux supports techniques comme des expositions, le musée ne s’insère pas dans un modèle économique industriel comme les médias traditionnels. Il est donc un média, mais dans un sens qui lui est propre.

Le musée est donc le lieu commun dans lequel sont collectés, conservés et exposés des objets dans un souci d’enseignement et de culture de tous, mais de manière orientée, et à travers d’une communication (médiation) multiple. Nous ouvrirons ce propos en conclusion.

2.2. Missions du musée dans les textes contemporains

2.2.1. La loi des Musées de France

L’émergence d’un label tant appelé de leurs vœux par les musées français va leur permettre de se regrouper en un vaste service public muséal à compter des années 2000.

Dans la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de Franc (article 2), il est stipulé que « Les musées de France ont pour missions permanentes de conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections ».

Selon l’article L410-1 du livre IV du Code du patrimoine, le musée est une « collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l'éducation et du plaisir du public ». La collection, cœur du projet muséal, est ici inscrite dans un projet d’accès de tous à la culture.

2.2.1.1. Conserver une part du patrimoine « national »

La conservation des collections, et ce sous le contrôle de l’Etat, est au cœur de la loi des Musées de France, au point que le gestionnaire des collections est dans l’obligation d’assurer cette missions et d’y affecter les moyens adéquats (Code du Patrimoine, article L. 452-2) : « Lorsque la conservation ou la sécurité d’un bien faisant partie d’une collection d’un Musée de France est mise en péril et que le propriétaire de cette collection ne veut ou ne peut pas prendre immédiatement les mesures jugées nécessaires par l’Etat, l’autorité administrative peut, par décision motivée, prise après avis du Haut Conseil des Musées de France, mettre en demeure le propriétaire de prendre toutes dispositions pour remédier à cette situation ».

L’Etat accompagne financièrement et techniquement les collectivités dans cette servitude. Demander la labellisation d’une collection est donc une décision importante car ces servitudes sont difficilement réversibles : selon l'article 4 de la loi de 2002, « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables » ; « toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret » (article L. 451-5 du code du patrimoine).

2.2.1.2. Rôle éducatif et démocratisation culturelle

L’article L. 442-7 prévoit qu'en principe « chaque musée de France dispose d'un service ayant en charge les actions d'accueil du public, de diffusion, d'animation et de médiation culturelles. Le cas échéant, ce service peut être commun à plusieurs musées. »

En vertu de l'article L. 442-6[7], « les droits d'entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large ». L'article 7 de la loi précitée prévoyait que « dans les musées de France relevant de l'État, les mineurs de dix-huit ans sont exonérés du droit d'entrée donnant accès aux espaces de présentation des collections permanentes ». Cette disposition est depuis abrogée car ce sont les collectivités ou les conseils d’administration des EPCC qui fixent leur politique tarifaire.

2.2.2. Le Code de déontologie de l'ICOM : le musée comme acteur du développement social

Si l'Office international des musées voit le jour en 1926 et publie 10 ans plus tard un manuel de muséographie qui dégage des règles en matière d'architecture et d'aménagement des musées, c’est véritablement l’ICOM (International Council Of Museums) qui définira les bases des musées de l’Après-guerre, et ce dès sa création en 1946, sous la direction de Georges-Henri Rivière.

Selon la définition de l’ICOM (Statuts de l'ICOM art.2 §.1), « Un musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation». L’ICOM définit six grandes catégories de musées : Musées d'archéologie ; Musées d'art, Musées des beaux-arts, Musées des arts décoratifs ; Musées d'histoire ; Musées de sciences, Musées d'histoire naturelle ; Musées des techniques ; Musées d'ethnologie.

Concernant la conservation des collections, notons plus particulièrement : « L’autorité de tutelle d’un musée a le devoir éthique de maintenir et de développer tous les aspects d’un musée, ses collections et ses services. Surtout, elle a la responsabilité de veiller à ce que toutes les collections qui lui sont confiées soient abritées, conservées et documentées de façon appropriée. » (Code de Déontologie de l’ICOM pour les Musées, 2002, article 2.1). « L’une des obligations déontologiques essentielles de chaque professionnel de musée est d’assurer une protection et une conservation satisfaisantes des collections et des objets individuels dont l’institution employeuse est responsable. Le but doit être d’assurer, dans la mesure du possible, la transmission des collections aux générations futures en aussi bon état de conservation que possible eu égard aux conditions actuelles des connaissances et des ressources. (…) Tous les professionnels de musée qui ont la charge d’objets et de spécimens se doivent de créer et d’entretenir un environnement protecteur pour les collections, qu’elles soient en réserve, en exposition ou en cours de transport. Cette conservation préventive constitue un élément important dans la gestion des risques d’un musée. » (Ibidem, article 6.3)

2.2.3. L’exemple du Muséum national d’Histoire naturelle

Le Muséum national d’Histoire naturelle est un établissement public à caractère culturel, scientifique et professionnel constitué sous la forme d’un grand établissement. Il est régi par le livre VII du code de l’éducation et par le décret du 3 octobre 2001 qui définit ses statuts, missions et tutelles. Art. 3. – Dans le domaine des sciences naturelles et humaines, le Muséum a pour mission la recherche fondamentale et appliquée, la conservation et l’enrichissement des collections issues du patrimoine naturel et culturel, l’enseignement, l’expertise, la valorisation, la diffusion des connaissances et l’action éducative et culturelle à l’intention de tous les publics (JORF n°233 du 7 octobre 2001 page 15803 texte n° 11 Décret n° 2001-916 du 3 octobre 2001 relatif au Muséum national d'histoire naturelle).

Conclusion : quel avenir pour les musées ?

D’abord temple des muses, puis haut-lieu de conservation d’un patrimoine destiné aux érudits et aux esthètes, le musée est devenu enjeu d’identité locale, où l’histoire des sciences, des techniques, des arts ou des sociétés est réinterprétée au travers des collections. Le musée incarne aujourd’hui une forme de pérennité dans un monde en mouvement, alors qu’il est lui-même en réalité à nouveau en transformation. Dans le numéro 61 de la revue Hermès (Les musées au prisme de la communication), la définition du musée, institution permanente au service de la société, est réaffirmée comme l’aboutissement d’un long cheminement aboutissant au « musée-média » voir au musée star se vendant comme une marque, dans un monde où la communication « prolifère ». En effet, à force de vouloir être accessible à tous, le musée doit-il « céder aux aléas d’une culture de masse » ? Selon les auteurs, le musée doit à l’inverse conserver son rôle de guide : « S’il a quitté son piédestal pour permettre à tous de l’utiliser et de se le réapproprier, le musée doit toujours se réinventer comme un lieu d’exigence, un point de référence du savoir, qui permette de délivrer, d’exposer des connaissances de sorte à rendre possible de véritables échanges d’idées ». Car le musée est bel et bien un dispositif symbolique, un « étendard des grandes questions qui traversent le domaine de la culture ».

Pourtant, dans un contexte financier incitant à la maîtrise des dépenses, la poursuite d’objectifs précis fixés par leurs financeurs contraint les musées à mieux répondre à la demande des visiteurs et des contribuables. Ainsi, le Louvre, établissement public financé en majorité par le ministère de la Culture et de la Communication, est désormais géré par un contrat de performance qui lui impose de favoriser l'accès de « tous les publics ».

Plusieurs points de vigilance sont donc à rappeler si l’on aborde l’avenir des musées :

  • Au-delà des difficultés internes de toute institution à se réformer, la question du financement des musées est fondamentale car elle leur garantit leur intégrité ;
  • L’adaptation du musée aux nouvelles pratiques culturelles des publics est un enjeu fort, les citoyens attendant non plus d’être instruits mais bien d’être éclairés : Le cas des musées de culture scientifique et technique l’illustre parfaitement : en trente ans, ils sont passés d’un regard ludique et pédagogique sur les sciences à celui de permettre aux citoyens d’être éclairés quant aux controverses qui secouent la communauté scientifique, comme par exemple pour ce qui concerne les problématiques environnementales ;
  • Rendre la culture accessible au risque de se désacraliser met mal-à-l’aise une partie de la communauté muséale ;
  • Des risques inhérents au type de musée que l’on considère sont à envisager, comme par exemple les musées de société de plus en plus concernés par le risque de manipulation identitaire.

Le musée est donc le fruit d’une société, il ne peut donc jamais être selon les auteurs tout-à-fait neutre. Et ses missions vont donc évoluer en lien avec la société dont il est finalement l’incarnation, à condition de lui garantir des ressources qui lui permettent de rester bienveillant envers tous.

Bibliographie

  • Dagen Philippe, 2013. Usages et mésusages du Patrimoine. In Patrimoines n°9 (revue de l’Institut National du Patrimoine), Paris.
  • Jacobi Daniel, 1997. Les musées sont-ils condamnés à séduire toujours plus de visiteurs ? La Lettre de l’OCIM n°49, pp. 9-14.
  • Musées et recherche, 1995. Actes du colloque des 29 et 30 novembre et 1er décembre 1993 au MNATP, Office de Coopération et d’Infirmation Muséales.
  • Georgel Chantal (dir.), 1994. La jeunesse des Musées : les musées de France eu XIXe siècle. Réunion des Musées nationaux
  • Poulot Dominique, 1993. Le sens du patrimoine : hier et aujourd’hui. In Annales, Economies Sociétés et civilisations. 48e année, N6CHOAY Françoise, L’allégorie du patrimoine, Paris, Seuil, 1992
  • Pommier E., 1986. Naissance des Musées de province, cours de l’Ecole du Louvre.
  • Malraux André, 1947. Le Musée imaginaire
  • Quatremère De Quincy, 1791. Considérations sur les arts du dessin en France.
  • Davallon Jean, 1992. Le musée est-il vraiment un média ? In: Publics et Musées, n°2, 1992. Regards sur l'évolution des musées, Jean Davallon (dir.) pp. 99-123.

Auteur(s) :

GAUTHIER Catherine

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