Les SIG et le débat sur l’avenir de l’Europe

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

Le début du millénaire a été marqué par une série d’évènements et de phénomènes – en particulier la crise financière, puis économique, sociale et environnementale ; des affrontements et conflits aux frontières de l’Europe ; le nouveau développement de flux migratoires – qui ont des effets majeurs sur l’Union européenne. En même temps, la décision du Royaume Uni de quitter l’UE (le « Brexit »), ainsi que les incertitudes croissantes de la situation internationale reposent avec insistance les questions de l’utilité et/ou des finalités de la construction européenne : l’Union européenne a-t-elle un avenir ? Lequel est-il souhaitable et/ou faisable ?

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1. Le débat sur l’avenir de l’Europe

Le début du millénaire a été marqué par une série d’évènements et de phénomènes – en particulier la crise financière, puis économique, sociale et environnementale ; des affrontements et conflits aux frontières de l’Europe ; le nouveau développement de flux migratoires – qui ont des effets majeurs sur l’Union européenne. En même temps, la décision du Royaume Uni de quitter l’UE (le « Brexit »), ainsi que les incertitudes croissantes de la situation internationale reposent avec insistance les questions de l’utilité et/ou des finalités de la construction européenne : l’Union européenne a-t-elle un avenir ? Lequel est-il souhaitable et/ou faisable ?

Le développement des interrogations et des mécontentements partout en Europe a amené les institutions européennes à engager une série de réflexions pour redéfinir ou préciser les objectifs, missions et moyens de l’Union européenne. La Commission européenne a jeté les bases d’un grand débat européen jusqu’aux élections du Parlement européen de juin 2019, avec en particulier le 1er mars 2017 un Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, suivi de 5 documents de réflexion sur la dimension sociale de l’Europe (24 avril 2017), sur la maîtrise de la mondialisation (10 mai 2017), sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire (31 mai 2017), sur l’avenir de la défense européenne (7 juin 2017), sur l’avenir des finances de l’Union (28 juin 2017).

Les Etats fondateurs – puis les Etats membres - ont considéré qu’ils avaient des intérêts communs complémentaires de leurs intérêts nationaux traditionnels ; cette lente et progressive construction d’un intérêt commun s’est faite par étapes sur la base du principe de subsidiarité.

Le principe de subsidiarité repose sur le fait que l’on fait ensemble ce qu’on est mieux à faire ensemble que chacun agissant séparément et que l’on ne fait à cet échelon supranational que ce qui apporte une valeur ajoutée. Les Etats ne construisent pas un nouvel « Etat », mais délèguent une part de leur souveraineté traditionnelle au niveau européen, lorsque cela est à l’avantage de chacun et de tous, créent une « communauté », non seulement d’une zone de libre-échange, mais aussi des politiques communes et des institutions avec pour objectif les quatre libertés fondamentales de circulation - des personnes, des marchandises, des services et des capitaux ; l’intégration des marchés nationaux et le renforcement de la compétitivité européenne au niveau mondial ; la définition et la mise en place des politiques communes au bénéfice de tous les membres en matière agricole, d’échanges commerciaux, de transports ; la convergence des intérêts nationaux pris individuellement avec les intérêts communs ; l’articulation avec les évolutions mondiales.

2. Objectifs et politiques communes, subsidiarité et répartition des compétences

Traditionnellement, les États-nations tels qu’ils ont émergé à partir du XIXe siècle ont reposé sur une relation étroite entre un territoire, une nation, une langue, une culture.

La construction européenne relève d’une relation dialectique entre diversité et unité : diversité des nations, des histoires, des traditions, des langues, des territoires, des institutions, des besoins, des attentes et aspirations, et, en même temps, unité d’un socle de « valeurs communes » forgées dans l’histoire économique, sociale, politique, culturelle du continent européen, qui permettent de parler de « modèle social européen ».

Un modèle social recouvre l’ensemble du système de valeurs, normes, institutions, pratiques, fruits d’une histoire longue, de conflits et de compromis, qui structurent l’ensemble des rapports sociaux entre les individus, les groupes, les intérêts, les aspirations, besoins, demandes, rapports de forces. Le « modèle social » traduit le pourquoi et comment vivre ensemble ; il fonde la société et sa cohésion. Il est donc évolutif dans le temps et l’espace.

Chaque État européen a forgé dans son histoire son propre « modèle social », avec ses volets et caractéristiques spécifiques. Il y a donc une grande diversité de modèles sociaux en Europe, en lien en particulier avec les élargissements successifs. Mais dans ces diversités de formes, de méthodes, de modes d’organisation, existent des éléments communs qui fondent une profonde unité et autorisent à parler de « modèle social européen », différent sur bien des aspects des autres entités présentes au plan mondial. C’est ainsi que l’UE a une moindre tolérance que les USA aux inégalités et à la violence, une forte sensibilité aux risques environnementaux ou sanitaires, est attachée à la complémentarité entre l’efficacité de l’économie de marché et sa nécessaire régulation publique.

Parmi ces valeurs communes, les Services publics, que les traités européens appellent « services d’intérêt général », occupent une place centrale, puisqu’ils permettent, dans chaque État européen, avec une grande diversité de formes et de modes d’organisation, de garantir les droits fondamentaux de chaque citoyen et de chaque habitant. Ils représentent en moyenne près de 25% du RNB et de 30% des emplois.

Conçus et organisés sur la longue période dans la construction nationale de chaque Etat n’ont pas fait l’objet d’une « communautarisation », mais d’une « européanisation » progressive, en particulier à partir de 1986 ; ils font l’objet d’une compétence partagée entre l’UE et les États membres (cf. notre article sur Wikiterritorial : Les grandes étapes et logiques de l’européanisation des services publics)

Cette européanisation a conduit à l’existence d’un « acquis européen », implicitement reconnu par le traité de Lisbonne applicable depuis le 1er décembre 2009, que nous rappelons ici :

1. Les États membres (les autorités nationales, régionales et locales) ont la compétence générale pour définir, « fournir, faire exécuter et organiser » les SIG, ainsi que de financer les SIEG.

2. Les institutions européennes ont la même compétence pour des services européens qui s’avèrent nécessaires à l’accomplissement des objectifs de l’UE.

3. Pour les services non économiques, les règles du marché intérieur et de la concurrence ne s’appliquent pas ; ils ne relèvent que des seuls principes généraux de l’UE (transparence, non-discrimination, égalité de traitement, proportionnalité).

4. Pour les services d’intérêt économique général, les autorités publiques doivent clairement définir leur « mission particulière » (principe de transparence).

5. Sur cette base, elles peuvent définir les moyens adaptés au bon accomplissement de la « mission particulière » (principe de proportionnalité), y compris, s’ils s’avèrent nécessaires et proportionnés, des aides et subventions, des droits exclusifs ou spéciaux.

6. Les États membres ont le libre choix des modes de gestion : interne, « in house », délégué, etc.

7. Ces définitions doivent clairement établir des normes de « qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs ».

8. Les règles de concurrence et de marché intérieur ne s’appliquent que si elles ne font pas obstacle, en droit ou en fait, à l’accomplissement de leur mission particulière.

9. Les États membres ont la liberté de choix du type de propriété des entreprises (principe de neutralité).

10. Dans tous les cas, il peut exister des abus relevant d’une « erreur manifeste », que la Commission peut soulever, sous le contrôle de la CJUE.

Depuis l’Acte unique de 1986, les secteurs de réseaux (télécommunications et services postaux, électricité et gaz, transports) ont fait l’objet de certains processus d’harmonisation dans le cadre de la mise en œuvre du marché intérieur, mais les « règles communes » d’une part laissent de larges marges de manœuvre aux autorités nationales, régionales et locales, d’autre part s’accompagnent de la possibilité – ou de l’obligation – pour les Etats membres de définir des « obligations de service public » ou des « obligations de service universel » garantissant les conditions d’accès à ces services.

3. Les SIG « invisibles » ?

On pouvait attendre de la mise en œuvre du traité de Lisbonne et de l’acquis qu’il a représenté pour les services d’intérêt général que la Commission européenne use de ses prérogatives en matière de monopole d’initiative législative, comme de son rôle de gardienne des traités, qu’elle mette en œuvre de manière créatrice cet acquis, qu’elle déploie les nouvelles orientations du traité.

Depuis 2009, force est de constater qu’il n’en a rien été. Les références aux services d’intérêt général sont absentes de la plupart des propositions de règlements et de directives qui concernent les secteurs pour lesquels existent des missions d’intérêt général et de services publics.

Alors que l’article 14 TFUE permet à l’Union européenne d’adopter des règlements afin de permettre aux SIEG de fonctionner » sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions », aucune proposition n’a été présentée. Pire, la Commission a adopté les nouvelles dispositions concernant les « aides d’Etat », c’est-à-dire les dispositions économiques et financières (« paquet Almunia ») sans mettre en œuvre cette nouvelle base législative, mais en utilisant des dispositions datant du traité de Rome de 1957 lui permettant de décider seule et non par co-décision du Parlement européen et du Conseil.

Tout donne à penser soit que les services d’intérêt général sont à ce point naturalisés ou banalisés, qu’il n’est plus besoin d’y faire référence, de le rendre « invisibles », soit que les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne soient considérées comme de telles contraintes qu’il faut les contourner.

Alors que l’on pouvait s’attendre à ce que la débat sur l’avenir de l’Europe soit l’occasion de mettre sur l’agenda européen les enjeux des services d’intérêt général pour (re)donner du sens à la construction européenne pour tous les citoyens et habitants, les premiers documents publiés par la Commission européenne font l’impasse sur la question.

Le Livre blanc sur l’avenir de l’Europe et les 5 scénarios qu’il présente, ne comporte aucune référence aux services d’intérêt général et à la place qu’ils occupent dans les valeurs communes. Il en est de même du document de réflexion sur la dimension sociale de l’Europe, en dehors d’une référence à la forte création d’emplois dans les « services publics » (dont on ne précise pas la définition ici retenue) entre 2005 et 2016. Les documents sur la maîtrise de la mondialisation, sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, sur l’avenir de la défense européenne ignorent tout autant les SIG. Il faut attendre le document sur l’avenir des finances de l’Union pour voir apparaître à plusieurs reprises l’expression « biens publics », sans que soit explicité son contenu, les différences ou convergences qu’il peut avoir avec les SIG, ni pourquoi il est employé ici en lieu et place de SIG…

4. De quels SIG européens avons-nous besoin ?

Le débat sur l’avenir de l’Europe doit être l’occasion d’un retour et d’un approfondissement sur la place et le rôle des services publics ou d’intérêt général.

Dans tous les pays européens, les autorités publiques locales, régionales ou nationales considèrent que certaines activités ne peuvent pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, mais de normes spécifiques d’organisation et de régulation, dans trois objectifs :

  • permettre l’exercice du droit de chaque habitant d'accéder à des biens ou services fondamentaux (droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, aux transports, aux communications, etc.) ;
  • construire des solidarités, assurer la cohésion économique, sociale et territoriale, développer le lien social, promouvoir l'intérêt général de la collectivité concernée ;
  • prendre en compte le long terme et les intérêts des générations futures, créer les conditions d’un développement durable à la fois économique, social et environnemental.

Ces finalités et objectifs d'intérêt général sont au cœur du système de valeurs qui caractérise tous les Etats européens et sont une valeur commune de l'Union européenne. Les services d’intérêt général ou services publics représentent ainsi un élément clé du modèle social européen caractérisé par les interactions et l’intégration du progrès économique et du progrès social, qui en font une économie sociale de marché.

Aujourd’hui, il s’agit de repréciser les responsabilités de l’Union européenne pour que ces valeurs communes non seulement soient reconnues, mais surtout fassent pont entre d’un côté les attentes, aspirations et besoins de chaque habitant, de l’autre la construction européenne.

Il s’agit d’abord que l’UE et ses institutions ne soient plus considérées comme des obstacles à l’existence de services publics. L’UE doit être un facilitateur et non un gendarme, afin de promouvoir l’« unité dans la diversité », se concentrer sur ce qui fait sa raison d’être, mettre en œuvre ce qu’elle est plus efficace de faire à son niveau qu’à celui de chaque Etat membre agissant séparément ; et pour le reste promouvoir les réponses diversifiés aux diversités de situations et de besoins, d’histoires et de territoires.

Depuis que, dans les années 1980, la construction européenne ait été présentée comme un fossoyeur des services publics, que ceux-ci aient été considérés comme des « exceptions » par rapport aux règles de marché et de concurrence - destinées donc à disparaître -, existe en Europe une suspicion réciproque : d’un côté, les services publics ou d’intérêt général sont suspects de venir fausser la concurrence et d’être des obstacles à la « libération des forces du marché », de l’autre les institutions européennes sont suspectes de mettre toutes les entraves possible à leur existence et à leur pérennité.

Il faut sortir de ce cercle vicieux pour conjuguer les atouts respectifs des services publics et des règles de marché, tant il n’existe pas de solutions unilatérales : ni le « tout marché », ni le « tout public » ne sont l’avenir de nos sociétés, mais une combinaison créatrice de leurs « valeurs ajoutées ».

Il faudrait clarifier ce que l’UE garantit à chaque habitant en tout point du territoire européen (« service universel »), ce qui doit relever de règles communes (précises, limitées et contrôlables) et ce qui relève du « large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales » (Protocole 26 annexé aux traités). Cette diversité n’est pas un handicap, mais un atout pour la construction européenne car celle-ci ne vise en rien l’uniformité monolithique.

Dans cette dynamique, il faut approfondir les questions de ce que l’UE doit impulser au niveau européen, correspondant à l’intérêt commun comme aux intérêts spécifiques des Etats membres et poser la question de l’existence de SIG européens permettant d’avoir une « valeur ajoutée » par rapport à ce que font séparément les Etats.

Il existe d’ores et déjà des initiatives communes européennes qui correspondent de facto, ou qui peuvent comporter, ce que peuvent être des SIG européens, d’ailleurs mentionnés dans le document de réflexion sur l’avenir des finances de l’Union en tant que « biens publics » ou « services publics », tels Galileo, les programmes de recherche ou d’interconnexion, la protection de l’environnement ou le changement climatique. Pourtant les institutions européennes ont répugné jusqu’ici à faire référence dans ces cas à des SIG européens. Il est urgent de lever ce tabou.

On peut évoquer d’autres exemples de ce que pourraient être des SIG européens, comme le réseau interconnecté de transport d’électricité à haute tension, les réseaux d’approvisionnement gaziers, les initiatives à prendre pour assurer une maîtrise européenne d’Internet, les réseaux transeuropéens de transport ferroviaire de fret et de voyageurs ou le développement d’un Erasmus ++.

Il s’agit donc d’ouvrir un large débat public dans chaque Etat membre comme au niveau européen, associant tous les acteurs concernés –autorités publiques, représentants des opérateurs et de leurs personnels, usagers et consommateurs et leurs organisations, etc. – pour retisser les liens entre les citoyens et l’Union européenne par le canal de services d’intérêt général efficaces et démocratiques.

5. SIG et socle des droits sociaux

Parallèlement au débat sur l’avenir de l’Europe, Jean-Claude Juncker a proposé à l’occasion de la présentation de « l’état de l’Union » du 14 septembre 2016 d’élaborer un « socle européen des droits sociaux ». Après avoir organisé une consultation, la Commission européenne a présenté le 26 avril 2017 un projet de socle contenant 20 principes et droits essentiels « devant contribuer au bon fonctionnement et à l'équité des marchés du travail et des systèmes de protection sociale ».

Conçu pour les États membres de la zone euro, mais ouvert à tous les États membres qui souhaitent participer, il vise à « indiquer la direction à suivre pour renouer avec la convergence vers le haut et offrir de meilleures conditions de vie et de travail en Europe ».

Les droits et principes qui forment le projet de socle européen des droits sociaux se déclinent autour de trois thèmes : égalité des chances et accès au marché du travail, conditions de travail équitables et protection et inclusion sociales. « Ils se concentrent sur la manière de répondre à l'évolution du monde du travail et de la société au sens large afin de réaliser la promesse inscrite dans les traités d'une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ».

Dans le même sens, la Commission européenne organise un « sommet social pour des emplois et une croissance équitables » à Göteborg, le 17 novembre 2017.

Cette démarche, qui ré-ouvre un champ des réflexions et de propositions qui avait été éludé depuis l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux, voici près de 10 ans, comporte deux dimensions : les deux premières parties sont consacrées à l’accès au marché du travail et aux conditions de travail, et la troisième à la protection et à l’insertion sociale, c’est-à-dire à l’ensemble du « sociétal », c’est-à-dire tout ce qui concerne les conditions de vie dans nos sociétés.

Le 20ème et dernier principe est ainsi consacré à « l’accès aux services essentiels : Toute personne a le droit d’accéder à des services essentiels de qualité, y compris l’eau, l’assainissement, l’énergie, les transports, les services financiers et les communications numériques. Les personnes dans le besoin doivent bénéficier d’un soutien leur permettant d’accéder à ces services ».

On peut d’abord regretter que la Commission propose un nouveau concept, celui de « services essentiels », au lieu de reprendre celui de SIG qui est décliné dans les traités.

On peut penser que par l’utilisation d’un terme qui renvoie au langage de certaines organisations internationales, la Commission souhaite inscrire son action dans un cadre plus global, dépassant celui de l’Union européenne et de ses Etats membres ? Dans ce cas, il faudrait mieux préciser le cadre dans lequel l’action de la Commission entend s’inscrire et rendre plus clairs et transparents pour les citoyens européens les objectifs et garanties possibles, ainsi que les niveaux auxquels ils peuvent attendre leur opérationnalisation.

Mais le document de travail de la Commission sur le socle de droits sociaux (que nous reproduisons en Annexe) souligne les principaux aspects de l’« acquis européen » dans le droit primaire et le droit dérivé, pour la première fois depuis sa Communication de 2011.

Ainsi, on peut rappeler les dispositions de l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux qui laisse un rôle essentiel aux Etats membres en ce qui concerne « l'accès aux services d'intérêt économique général » que « l’Union reconnaît et respecte (…) tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union. » D’autant plus qu’il n’y a pas de service universel défini au plan européen dans les secteurs des « services essentiels » auquel fait référence le document de la Commission (hors l’électricité) et que ce sont les États membres qui définissent et organisent les services d’intérêt général dans la plupart de ces secteurs (même en matière d’électricité, qui est le secteur où le droit de l’UE laisse un champ de définition d’obligations de service public assez large aux États membres, il ne l’impose pas, étant donné que ses moyens d’intervention sont limités, essentiellement aux moyens d'intervention politique et réglementaire). Par ailleurs, dans le secteur de l’eau, on a vu de nombreux États membres de l’Union européenne s’abstenir sur la Résolution des Nations Unies de 28 juillet 2010 proclamant le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental pour la vie et l’exercice d’autres droits fondamentaux (Résolution n◦ A/RES/64/292), certains d’entre eux exprimant la responsabilité première des États en la matière (dans le même sens, la déclaration de Catherine M. Ashton, Haute Représentante pour la PESC, à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Eau / World Water Day du 22 mars 2010).

6. Annexe

L’accès aux services essentiels

Document de travail des services de la Commission SWD(2017) 201

Toute personne a le droit d’accéder à des services essentiels de qualité, y compris l’eau, l’assainissement, l’énergie, les transports, les services financiers et les communications numériques. Les personnes dans le besoin doivent bénéficier d’un soutien leur permettant d’accéder à ces services.

6.1. L’acquis de l’Union

a) La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

L’article 36 de la charte énonce que l’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

b) Les pouvoirs législatifs et leurs limites

Conformément à l’article 151 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’un des principaux objectifs de l’Union et de ses États membres est de garantir une protection sociale adéquate et de lutter contre l’exclusion. L’article 14 du TFUE prévoit que l’Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application du traité, veillent à ce que les services d’intérêt économique général accomplissent leur mission. Le protocole nº 26 reconnaît le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser ces services et leur diversité au sein de l’Union. Ledit protocole souligne aussi que la qualité, la sécurité et le caractère abordable, l’égalité de traitement, l’accès universel et les droits des utilisateurs constituent des valeurs communes de l’Union concernant les services d’intérêt économique général. La déclaration 22 annexée au traité d’Amsterdam prévoit que, lors de l’élaboration de mesures en vertu de l’article 114 du TFUE, les institutions de l’Union doivent tenir compte des besoins des personnes handicapées. L’article 106 du TFUE dispose que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.

c) Mesures existantes

Dans son cadre de qualité1 , la Commission a déjà reconnu, d’une manière générale, l’importance des services d’intérêt économique général en tant que pierre angulaire du modèle social européen et s’est engagée à garantir à l’ensemble des citoyens l’accès aux services essentiels. Aux fins de la clarification du cadre juridique applicable à la prestation de ces services, la législation en matière d’aides d’État et de marchés publics (concession) a été simplifiée et clarifiée dans l’intérêt des pouvoirs publics et des utilisateurs finaux. Les nouvelles séries de règles ont apporté aux pouvoirs publics et aux entreprises davantage de sécurité juridique et de simplification (https://ec.europa.eu/info/topics/single-market/services-general-interest_fr).

La législation sectorielle adoptée au niveau de l’Union a toujours dûment pris en considération la nécessité d’accroître la concurrence et le recours aux mécanismes du marché ainsi que la nécessité de garantir que tout citoyen continue d’avoir accès à des services essentiels de qualité à des prix abordables. Cela a par exemple été le cas pour les industries de réseau, depuis les télécommunications jusqu’au secteur des transports. Dans le domaine des communications électroniques, par exemple, la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil2 (directive « service universel ») garantit que la libéralisation des services et l’accroissement de la concurrence s’accompagnent d’un cadre réglementaire assurant que tous les utilisateurs finaux bénéficient, à un prix abordable, d’un ensemble de services minimal déterminé.

Dans le domaine du transport ferroviaire, le règlement (CE) nº 1370/2007 de la Commission3 définit comment les autorités compétentes peuvent intervenir pour garantir la fourniture de services d’intérêt général qui soient notamment plus nombreux, plus sûrs, de meilleure qualité ou meilleur marché que ceux que le simple jeu du marché aurait permis de fournir. Le règlement (UE) 2016/2338 du Parlement européen et du Conseil4 , qui porte sur l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer [obligations de service public (OSP)], modifie le règlement précédent en ce qui concerne l’attribution des contrats de service public dans le domaine du transport en établissant des règles plus claires sur la spécification des obligations de service public et leur champ d’application, ainsi qu’un nouveau cadre garantissant aux opérateurs ferroviaires des conditions d’accès non discriminatoires au matériel ferroviaire roulant, ce qui les incitera à participer à des procédures d’appel d’offres portant sur un contrat de service public ferroviaire.

Dans le secteur de l’énergie, une obligation de service universel figure dans la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil5 (la directive «électricité»), qui indique clairement que les citoyens de l’Union et, lorsque les États membres le jugent opportun, les petites entreprises, devraient bénéficier d’obligations de service public, en particulier en ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement, et de prix transparents, non discriminatoires et raisonnables.

La politique de l’Union dans le domaine de l’eau s’appuie sur le principe fondamental qu’est le caractère abordable des services liés à l’eau. Les autorités nationales sont habilitées à adopter/mettre en œuvre des mesures de soutien concrètes pour protéger les populations défavorisées et remédier au problème de la pauvreté liée à l’eau (par exemple, en prenant des mesures qui aident les ménages à faibles revenus ou en instaurant des obligations de service public6) .

Dans le secteur financier, la directive 2014/92 du Parlement européen et du Conseil7 permet aux consommateurs d’ouvrir un compte de paiement auprès de tout prestataire de services de paiement dans l’Union, indépendamment de leur État membre de résidence. En outre, les consommateurs bénéficient d’un droit d’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (dont les retraits, les virements et une carte de débit), indépendamment de leur État membre de résidence ou de leur situation financière personnelle.

6.2. Socle européen des droits sociaux: champ d’application et changements introduits

Le socle établit le droit aux services essentiels et présente une liste non exhaustive de ceux qui revêtent la plus haute importance dans la vie quotidienne des citoyens. Les États membres restent compétents pour définir, organiser, fournir et financer de tels services à l’échelon national, régional ou local. Toutefois, le fait d’énoncer que les services essentiels – y compris au niveau transfrontière – devraient être mis à la disposition de tous illustre une fois de plus l’importance que l’Union attribue aux services qui sont au cœur de son modèle social. En particulier, le droit à l’eau et à l’assainissement est particulièrement important pour les citoyens de l’Union, qui ont présenté tout récemment une initiative citoyenne dans ce domaine.

Certains de ces services font l’objet d’obligations de service universel, établies par la législation sectorielle de l’Union de manière à ce que tous les consommateurs et utilisateurs d’un État membre et dans l’ensemble des États membres, indépendamment de leur situation géographique, puissent bénéficier de services d’intérêt économique général d’une qualité déterminée et – compte tenu des circonstances nationales spécifiques – à un prix abordable. Le socle reconnaît la nécessité de soutenir l’accès aux services essentiels pour les personnes dans le besoin. L’accessibilité, la disponibilité et le caractère abordable des services essentiels sont cruciaux pour assurer l’égalité d’accès pour tous et revêtent une importance vitale pour les personnes handicapées et les personnes âgées.

6.3. Mise en œuvre

a) Rôle des États membres et des partenaires sociaux

Les États membres restent compétents pour définir, organiser, fournir et financer les services essentiels à l’échelon national, régional ou local. Étant donné que les mesures prises par l’Union entérinent le principe selon lequel les services essentiels devraient être mis à la disposition de tous, en tant qu’élément central du modèle social européen, les États membres sont invités à aller au-delà de ces règles afin de donner effet au principe.

Les partenaires sociaux peuvent recueillir et échanger des bonnes pratiques dans l’ensemble de l’Union. À l’échelon national, les partenaires sociaux peuvent soutenir l’application de ce principe en participant à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques concernées.

b) Initiatives récentes et en cours au niveau de l’UE

Dans le domaine des communications électroniques8, la proposition de révision du cadre réglementaire pour les communications électroniques exigerait que les États membres veillent à ce que tous les utilisateurs finaux bénéficient, à un prix abordable, d’un accès fonctionnel à l’internet et de services de communications vocales. Lorsque les États membres constatent que le prix n’est pas abordable, ils peuvent exiger des entreprises qu’elles proposent des options à un tarif abordable ainsi qu’un «droit de conclure un contrat» aux utilisateurs finaux ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux particuliers. Le code proposé comprend également une disposition imposant aux États membres de veiller, au vu des circonstances nationales, à ce que des mesures appropriées soient prises pour les utilisateurs finaux handicapés, pour garantir le caractère abordable de leurs équipements terminaux, de leurs équipements spécifiques et des services spécifiques favorisant un accès équivalent.

Le paquet «énergie propre», adopté le 30 novembre 2016, comprenait également des propositions sur une nouvelle organisation du marché de l’électricité. La proposition relative à une refonte de la directive «électricité» (directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil) n’a pas modifié les dispositions relatives aux obligations de service public dans le secteur de l’électricité, mais a renforcé certaines dispositions relatives à l’autonomisation et à la protection des consommateurs. Elle a précisé plus en détail les droits des consommateurs en ce qui concerne les contrats, les possibilités pour les communautés énergétiques et les consommateurs actifs, ainsi que le droit à des compteurs intelligents. De plus, la proposition comporte des dispositions plus détaillées sur la protection des consommateurs vulnérables et l’obligation pour les États membres de définir des critères permettant de mesurer la précarité énergétique, dont ils devront rendre compte dans le cadre de leurs rapports d’avancement intégrés sur les plans nationaux en matière d’énergie et de climat. En outre, le train de mesures définit une nouvelle approche en ce qui concerne la protection des consommateurs vulnérables, qui prévoit également d’aider les États membres à réduire les coûts de l’énergie pour les consommateurs en soutenant les investissements en faveur de l’efficacité énergétique. De surcroît, conformément à ses efforts visant à responsabiliser et à protéger les consommateurs, la Commission propose de mettre en place certaines garanties procédurales avant que la fourniture d’énergie à un consommateur ne puisse être coupée. Elle est aussi en train de constituer un observatoire de la précarité énergétique afin de fournir des données plus complètes sur le problème et les solutions envisageables, ainsi que d’aider les États membres dans leur lutte contre cette précarité (http://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:fa6ea15b-b7b0-11e6-9e3c-01aa75ed71a1.0002.02/DOC_1&format=PDF) .

Par ailleurs, la proposition «WiFi4EU»9 reconnaît qu’il faut veiller à ce que le nécessaire soit fait pour encourager le grand public à saisir les occasions qu’offre la transformation numérique. La proposition mettra en place des incitations financières en faveur des pouvoirs publics locaux qui souhaitent fournir gratuitement une connectivité locale sans fil à grande capacité par l’intermédiaire de points d’accès dans les centres de la vie publique locale, que ce soit dans leurs locaux ou dans des espaces extérieurs accessibles au grand public.

Dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, la Commission prévoit de réviser en 2017 la directive sur l’eau potable10 , donnant ainsi suite à l’initiative citoyenne européenne «Right2Water» (http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/welcome?lg=fr).

La Commission continue à soutenir les négociations en vue de l’adoption, par le législateur de l’Union, de la proposition d’acte législatif européen sur l’accessibilité. Cet acte vise à garantir l’accessibilité11 de certains produits et services au sein du marché intérieur, y compris certains services essentiels tels que les communications électroniques et les services médiatiques audiovisuels.

  1. ^ Un cadre de qualité pour les services d’intérêt général en Europe [COM(2011) 900 final].
  2. ^  Directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108 du 24.4.2002, p. 51).
  3. ^ Règlement (CE) nº 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) nº 1191/69 et (CEE) nº 1107/70 du Conseil (JO L 315 du 3.12.2007, p. 1).
  4. ^ Règlement (UE) 2016/2338 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 modifiant le règlement (CE) nº 1370/2007 en ce qui concerne l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer (JO L 354 du 23.12.2016, p. 22).
  5. ^ Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO L 211 du 14.8.2009, p. 55).
  6. ^ La directive sur l’eau potable (directive 98/83/CE) porte sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Elle a pour objectif de protéger la santé des personnes des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine en garantissant la salubrité et la propreté de celles-ci.
  7. ^ Directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (JO L 257 du 28.8.2014, p. 214).
  8. ^ Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant le code des communications électroniques européen (refonte) [COM(2016) 590].  
  9. ^ Proposition de modification des règlements (UE) nº 1316/2013 et (UE) nº 283/2014 en ce qui concerne la promotion de la connectivité internet dans les communautés locales [COM(2016) 589].
  10. ^ Directive 98/83/CE du Conseil du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (JO L 330 du 5.12.1998, p. 32). 
  11. ^ Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en ce qui concerne les exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services – COM/2015/0615 final – 2015/0278 (COD).

 

Auteur(s) :

BAUBY Pierre

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