Les grandes étapes et logiques de l’européanisation des services publics

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

L’Acte unique de 1986, qui amende et complète le traité de Rome, donne mandat aux institutions européennes de mettre en œuvre les quatre grandes libertés de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux) et la réalisation d’un « marché unique ». Il engage un processus d’européanisation des services d’intérêt économique général cités dans le traité de Rome de 1957, mais sans définir des dispositions spécifiques qui auraient permis de garantir leurs finalités.

La réalisation de la libre circulation butait dans tous les pays européens sur l’existence en matière de services publics de monopoles nationaux ou locaux, qui étaient apparus nécessaires aussi bien pour la reconstruction après la guerre que pour développer un accès universel aux services répondants aux demandes croissantes des populations.

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3. L’Acte unique et la libéralisation : européanisation 1.0

3.1. Les 4 grandes libertés de circulation versus monopoles nationaux ou locaux

L’Acte unique de 1986, qui amende et complète le traité de Rome, donne mandat aux institutions européennes de mettre en œuvre les quatre grandes libertés de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux) et la réalisation d’un « marché unique ». Il engage un processus d’européanisation des services d’intérêt économique général cités dans le traité de Rome de 1957, mais sans définir des dispositions spécifiques qui auraient permis de garantir leurs finalités.

La réalisation de la libre circulation butait dans tous les pays européens sur l’existence en matière de services publics de monopoles nationaux ou locaux, qui étaient apparus nécessaires aussi bien pour la reconstruction après la guerre que pour développer un accès universel aux services répondants aux demandes croissantes des populations.

L’objectif de libre circulation des services est entré en résonance avec des transformations essentielles des années 1980 et 1990 : des mutations technologiques rapides dans la plupart des secteurs, l’internationalisation des économies et des sociétés, la diversification et la territorialisation des besoins, la mise en cause des lourdeurs et inefficacités de nombreux services publics, des stratégies de certains grands groupes industriels et financiers de services, le développement de l’influence des thèses néo-libérales et des vertus du marché et de la concurrence, etc.

La conjonction de ces facteurs a conduit à un décalage croissant entre les modes nationaux de définition et d’organisation des services publics par rapport aux logiques dominantes d’intégration européenne et de création de marchés intérieurs dans les secteurs en réseau. Les services publics ne pouvaient rester à l’écart de la construction européenne ; un processus d’européanisation apparaissait nécessaire.

3.2. Quelle européanisation ? Les SIEG pris en compte comme grands réseaux. Pas de construction de services publics européens. L’introduction progressive de la concurrence

Mais quels secteurs des SIEG européaniser et comment procéder ? Le traité avait mentionné les SIEG, sans les définir. Rapidement, il est apparu qu’il fallait commencer ou développer le processus par les grands réseaux d’infrastructures de communications, de transports et d’énergie, qualifiés d’« économiques » et qui s’avéraient clés pour les quatre libertés fondamentales de circulation et la construction du marché intérieur.

A la fin des années 1980, trois orientations sont apparues possibles pour européaniser les SIEG :

  • rejeter l’européanisation au nom des spécificités des services publics ou de chaque Etat national. Cela a conduit à des stratégies défensives, qui ont pu retarder les processus et les échéances, mais pas les entraver, car elles ne se situaient pas à l’intérieur du processus d’intégration européenne ;
  • construire des services publics européens, mais aucun acteur ne l’a proposé, tant cela ne correspondait pas au stade d’intégration et de construction d’une autorité publique européenne, et tant aurait mis en cause les habitudes, traditions et modes d’organisation traditionnels ;
  • utiliser les armes du traité mises au point depuis 1957 (concurrence, libre-échange), afin de casser les frontières et d’améliorer l’efficacité de services souvent peu performants. C’est cette stratégie qui va s’imposer dans le contexte qui vient d’être rappelé.

L’européanisation a visé à la fois à casser les frontières nationales pour mettre en œuvre l’intégration européenne et à introduire davantage d’efficacité dans des domaines qui avaient été souvent « protégés » par des droits exclusifs, locaux, régionaux et/ou nationaux.

L’Union européenne a mis progressivement en cause les formes nationales d’organisation, de financement et de régulation des services publics qu’avaient défini dans l’histoire chacun des Etats membres de l’Union européenne, en développant des stratégies de libéralisation fondées sur l’introduction de la concurrence et les logiques du marché, mais sans définir en même temps des objectifs et normes communautaires, qui auraient pu déboucher sur de nouvelles solidarités européennes.

3.3. Concurrence et polarisations

Pour autant, dans ces secteurs de réseaux, il est vite apparu qu’il ne peut pas y avoir une libéralisation totale, ne les faisant plus relever que du droit communautaire de la concurrence. La logique de libéralisation est porteuse en effet dans les secteurs de réseaux d’une série de polarisations mettant potentiellement en cause certains objectifs de service public :

  • polarisation économique du fait de concentrations rapides, débouchant souvent sur une concurrence oligopolistique entre quelques grands groupes qui structurent les marchés ;
  • polarisation sociale, les gros consommateurs, qui disposent d’un « pouvoir de marché », et la clientèle solvable étant favorisés par rapport aux les petits consommateurs, ce qui met en cause l’accès universel, l'égalité de traitement, les possibilités de péréquation des tarifs et de solidarités ;
  • polarisation territoriale en faveur des zones denses au détriment des zones isolées ou marquées par des caractéristiques de géographie physique ou humaine particulières ;
  • polarisation temporelle, survalorisant le court terme, pour lequel le marché donne de précieuses indications, au détriment du long terme, pour lequel le marché est myope, ce qui favorise les investissements les moins coûteux en capital au détriment d’une politique d’avenir et finalement de la recherche du moindre coût pour l’utilisateur ;
  • polarisation générationnelle, au détriment des générations futures ;
  • polarisation financière, amenant le développement de phénomènes de marchandisation et/ou de dumping environnemental et social.

Dans ces conditions, à part quelques groupes de pression proposant une dérégulation complète des services publics, ne les faisant plus relever que du droit commun de la concurrence, les règles européennes, résultantes de débats contradictoires, d’initiatives d’acteurs, de mouvements sociaux, consisteront à mettre en œuvre une libéralisation maîtrisée, organisée, régulée.

4. Fécondation progressive et approfondissements : européanisation 2.0

L’Union européenne a été amenée à compléter les projets sectoriels de libéralisation par la construction de nouveaux concepts et normes. On verra apparaître le concept de « service universel » dans les télécommunications et à la poste, puis pour l’électricité, garantissant certains services essentiels à tous les citoyens et résidents ; le champ des obligations de service public sera défini et progressivement élargi dans les secteurs de l’électricité et du gaz et des transports. La Commission européenne organisera une série de débats publics et proposera des principes pouvant être à la base d’une conception communautaire.

Parallèlement, la jurisprudence de la Cour de justice a clairement confirmé avec les arrêts Corbeau (du 19 mai 1993 dans l’affaire C-320/91) et Commune d'Almelo (du 27 avril 1994 dans l’affaire C-393/92) que l'article 86§2 (106§2 TFUE) peut justifier une limitation de la concurrence pour des services d'intérêt économique général, ce qui a été réaffirmé avec les arrêts de février 1997 sur le financement de la Poste en France, d’octobre 1997 sur les monopoles d’importation d’électricité et de gaz et le monopole d’Etat de vente de l’alcool en Suède, etc. Ainsi, la Cour de Justice a défini progressivement une jurisprudence qui reconnaît que les services d’intérêt économique général peuvent relever d’autres objectifs, missions et formes d’organisation que les règles générales de concurrence.

4.1. Les modifications des traités

Le traité de Maastricht de 1992 (traité sur l’Union européenne) a essayé de conjuguer l’achèvement de la logique économique d’intégration européenne - l’Union économique et monétaire, la monnaie unique et la création de la Banque centrale européenne -, avec le développement d’autres objectifs plus politiques : affirmation du principe de subsidiarité, deuxième et troisième piliers (politique extérieure, justice et affaires intérieures), citoyenneté de l’UE, affermissement de la cohésion économique et sociale et de la protection de l’environnement, nouvelles politiques communes en matière de réseaux transeuropéens, de politique industrielle, de santé publique, de protection des consommateurs, d’éducation, de formation professionnelle, de culture, de jeunesse. Il crée ainsi des potentialités pour une meilleure prise en compte des services d’intérêt général.

Le traité d’Amsterdam de juin 1997 a adopté le nouvel article 7D (16) du traité CE, qui reconnaît les SIEG comme composantes de « valeurs communes » de l’Union européenne, souligne leur rôle dans la promotion de la « cohésion sociale et territoriale » et demande à l’Union et aux Etats de veiller à ce qu’ils puissent « accomplir leurs missions » (cf. encadré). Même si cet article ne peut être la base d’un droit dérivé positif, il conforte le régime particulier réservé par le traité aux SIEG, d’autant plus qu’il a été inséré dans la partie du traité consacrée aux « principes » de l’action communautaire et qu’il vise les valeurs dont ils sont porteurs, leur rôle dans la cohésion sociale et territoriale et la nécessité d’assurer des principes et conditions leur permettant d’accomplir leurs missions.

L’article 7D (16) du traité d’Amsterdam (1997)

Sans préjudice des articles 73, 86 et 88, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses Etats membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions.

Par ailleurs, la déclaration suivante [n° 13 relative à l’article 7 D (16) du traité] fut annexée à l'Acte final : « Les dispositions de l'article 7 D du traité instituant la Communauté européenne relatives aux services publics sont mises en œuvre dans le plein respect de la jurisprudence de la Cour de justice en ce qui concerne, entre autres, les principes d'égalité de traitement, ainsi que de qualité et de continuité de ces services »1.

Le Conseil européen de Nice de décembre 2000 a proclamé la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 36 demande à l’Union européenne de reconnaître et respecter l’accès aux services d’intérêt économique général. La Charte n’ayant pas à l’époque de caractère contraignant, cet article n’ouvrait pas un réel droit d’accès aux services d’intérêt économique général, mais c’est la première fois qu’une déclaration des droits à un niveau supranational range les services publics parmi les droits fondamentaux.

L’article 36 de la Charte des droits fondamentauxAccès aux services d’intérêt économique général. L'Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union.

Ces deux avancées sont à mettre en relation avec une série d’autres débats et prises de positions, qui sont venus progressivement ouvrir un débat communautaire sur l’avenir des services publics.

La Commission européenne a ainsi engagé à partir de 1996 une réflexion transverse, avec deux Communications (1996 et 2000), un rapport (2001), un Livre vert (2003) et un Livre blanc (2004), tous intitulés Les services d’intérêt général en Europe.

4.2. D’autres bases juridiques et logiques d’européanisation des SIEG : protection de l’environnement et de la santé publique, protection des consommateurs, politique de cohésion de l’UE.

Les bases juridiques du processus d’européanisation des SIEG développé pour l’essentiel à partir de 1986 ont été, on l’a vu, celles des quatre libertés fondamentales de circulation et de la réalisation de marchés intérieurs. Mais dans d’autres secteurs, des processus d’européanisation de certains services publics ont été conduits sur d’autres fondements. C’est ainsi que dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement, puis des déchets, l’européanisation a pris comme fondements et objectifs la protection de l’environnement et de la santé publique ; toute une série de directives sont ainsi venues définir des normes très exigeantes de qualité progressivement applicables dans tous les Etats membres.

Les politiques et règles européennes visant la protection des consommateurs se sont développées en relation étroite avec le développement du marché commun et en particulier à partir de l’inscription dans l’Acte unique européen de l’exigence d’un haut niveau de protection des consommateurs2. La protection des consommateurs est devenue une politique de l’Union avec le traité de Maastricht. Sur ces bases, une série de programmes et stratégies européennes3 pour la protection des consommateurs ont été adoptés, ainsi qu’un cadre juridique évolutif. Aujourd’hui, l’article 12 TFUE reconnaît l’exigence d’un haut niveau de protection des consommateurs comme l’un des objectifs généraux de l’Union et la Charte des droits fondamentaux la garantit (article 38).

La politique de protection des consommateurs est une compétence partagée de l’UE où l’application du principe de subsidiarité fait que l’harmonisation européenne est plus ou moins importante, mais avec une tendance vers plus d’harmonisation.

Le droit des consommateurs4 est d’application générale aux relations marchandes, y compris aux SIEG. Il donne aux consommateurs un ensemble des droits pour assurer leur protection : droits à l’information, droits contractuels, droits concernant la sécurité et la qualité des produits et des services achetés, droits processuels et de recours. En même temps, les utilisateurs des SIEG peuvent également bénéficier de régimes spécifiques de protection, propres à ces services, définis au niveau européen (par exemple, les valeurs reconnues par l’article 1 du Protocole n°26 sur les services d’intérêt général) ou au niveau national. Dans ce cas, le droit des consommateurs complète le régime juridique de protection des utilisateurs de SIEG.

De même, depuis l’adoption de l’Acte unique, avant même que le droit primaire de l’UE consacre en 1997 la relation entre les SIEG et la cohésion sociale et territoriale, certains textes de droit dérivé, en particulier ceux régissant l’introduction du processus de libéralisation dans les secteurs des services en réseau, ont prévu le rôle de ces secteurs pour la cohésion en Europe. Mais dans la plupart des cas ce sont des textes déclaratifs, dans le préambule des actes communautaires, qui ne sont pas toujours clairement reliés à des dispositions concrètes dans les politiques sectorielles5. Le rôle des SIEG pour la cohésion a été également affirmé dans les documents de position et/ou de consultation sur les services d’intérêt général lancés depuis les années 1990 par la Commission européenne6.

Aujourd’hui, la politique de cohésion7, tout comme le domaine des SIEG, est une des compétences partagées entre l’Union et ses Etats membres (article 4 TFUE) et les fonds européens qui lui sont alloués représentent le deuxième poste du budget européen. En vertu des dispositions du traité de Lisbonne, les objectifs de cohésion de l’Union européenne concernent un triple volet : cohésion économique, sociale et territoriale. Le traité d’Amsterdam (article 16, actuel article 14 TFUE) reconnaît le rôle des SIEG par rapport à deux de ces trois volets, la cohésion sociale et territoriale8. Depuis sa création, elle a co-financé nombre d’infrastructures et services d’intérêt général dans les Etats membres, tant économiques que non économiques.

Mais la consécration par les traités du rôle particulier des SIEG pour la cohésion sociale et territoriale n’a pas conduit à la construction d’une approche spécifique pour les SI(E)G au sein de la politique de cohésion de l’UE, tant les domaines sociaux et d’aménagement du territoire font moins l’objet du processus d’européanisation9. Ainsi, dans les rapports sur la cohésion économique, sociale et territoriale, le rôle particulier des SI(E)G n’est pas spécifiquement analysé.

En pratique, selon les périodes de programmation, la politique européenne de cohésion établit un ensemble de domaines d’intervention, plus ou moins nombreux, dont les SI(E)G font partie, et c’est aux Etats membres (selon le cas, aux autorités infranationales) de décider dans le cadre de leurs programmes nationaux des axes dédiés à un ou certains domaines de SIG ou d’intervenir dans ces domaines non pas avec les instruments de la politique européenne de cohésion mais par les instruments de politiques nationales.

Ainsi, au regard des allocations du Fonds européen pour le développement régional (FEDER), l’un des fonds qui finance la politique de cohésion de l’UE, on peut constater qu’en dépit des diversités nationales et sectorielles, les investissements européens dans les domaines des SI(E)G sont restés importants pour la période 1975-2010, notamment pour bâtir des infrastructures d’intérêt général nécessaire à la prestation des SI(E)G10.

Pour la période de programmation 2014-2020, la nouvelle réglementation européenne impose une ample série de conditionnalités générales ou thématiques pour accéder les fonds européens, qui tiennent en particulier à la mise en œuvre par les Etats membres des politiques et du cadre normatif européen, y compris en ce qui concerne les SIG (par exemple, pour la mise en œuvre du paquet marchés publics, mais aussi des conditionnalités concernant le secteur des déchets, l’eau, les transports, l’énergie, la santé, l’éducation, la réduction de la pauvreté, les aides d’Etat, l’efficacité administrative, et/ou autres, selon les pays, conformément aux accords de partenariat11). Le non respect des conditionnalités constitue un motif de sursis de paiements pour les priorités ou programmes opérationnels auxquels ils s’appliquent.

4.3. L’application des règles de concurrence : aides d’Etat

La fourniture des SIEG suppose un financement permettant d’assurer l’accomplissement de leur mission particulière. Selon les secteurs et les pays, le financement des SIEG peut prendre des formes très diverses, qui comportent le plus souvent une participation plus ou moins importante d’aides publiques, financières ou d’autres natures.

Dans le cadre de la construction européenne la compensation des obligations de service public a été de plus en plus encadrée afin de ne pas venir avantager les opérateurs qui les reçoivent au détriment de leurs concurrents.

Dès 1957, le traité CEE a posé le principe général d’interdiction des aides d’Etat, déclarées « incompatibles avec le marché commun » dans la mesure où elles relèvent de plusieurs caractères : « Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » [article 92(1) TCEE]. Le traité a prévu un certain nombre de dérogations (articles 92-93 de l’époque, aujourd’hui 107-109 TFEU), dont celles dans le domaine des transports (cf. supra), pour les aides qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public (Article 77 TCEE, aujourd’hui Article 93 TFEU).

Le traité a conféré à la Commission européenne des pouvoirs décisionnels concernant la compatibilité des aides d’Etat avec le marché commun, sous le contrôle de la Cour de justice de l’UE. Dans la première Communication sur les SIG de 1996, la Commission européenne n’a pas abordé la question des relations entre ces services et les règles de concurrence et du marché intérieur. Elle sera amenée à le faire les années suivantes sous l’impact de l’évolution du processus de libéralisation et de la jurisprudence de la CJUE. En effet, la jurisprudence communautaire avant 2000 a oscillé entre des prises de position faisant relever ou non les « compensations d’obligations de service public » du régime des aides d’Etat12. Puis, l’arrêt Altmark du 24 juillet 2003 (C-280/00) a précisé quatre conditions cumulatives « pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, (…).

Les quatre conditions de l’arrêt Altmark

« premièrement, l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies ;

deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente ;

troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ;

quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise à charger de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations. »

Dans ce contexte, l’établissement d’un droit communautaire dérivé concernant l’application des règles d’aides Etats aux SIEG a été initié par la Commission européenne au début des années 2000. Les communications de la Commission [(COM(2001)598), COM(2004)374] ont débouché sur l’adoption en 2005 du « paquet Monti-Kroes »13 (en vigueur entre 2005 et 2013), puis du « paquet Almunia »14 (en vigueur depuis 2013).

L’objectif a été de fournir un cadre juridique pour les situations dans lesquelles la compensation de service public est considérée comme étant une aide d’Etat : d’un coté, les aides de faible montant, qui sont a priori considérées comme étant compatibles avec le marché intérieur et sont donc exclues de notification à la Commission européenne (exemption en bloc par Décision de la Commission), et, d’autre part, les aides à grande échelle qui doivent être individuellement notifiées à la Commission pour vérifier leur compatibilité avec les règles de marché intérieur (Encadrement adopté par la Commission européenne). La Commission européenne estime que la quasi-totalité des compensations d’obligations de service public doivent être considérées comme des aides d’Etat et qu’elle est dès lors compétente pour apprécier leur compatibilité en conformité avec les exigences établies dans ses actes.

Les dispositions de ces paquets de la Commission s’appliquent principalement dans les secteurs pour lesquels il n’existe pas de règles spécifiques. En particulier, depuis le traité de Rome de 1957, le transport par chemins de fer, route et par voie navigable relève de dispositions spécifiques sur les aides qui représentent le « remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public » ou qui « répondent aux besoins de la coordination des transports », et qui « sont compatibles avec les traités » (cf. infra).

4.4. Directives services, marchés publics et concessions

L’adoption de la directive « Services dans le marché intérieur » a poursuivi l’objectif de développer un marché intérieur des services, tout en veillant, conformément au considérant 4 proposé par le Parlement européen, « à préserver un équilibre entre l’ouverture du marché et la sauvegarde des services publics ».

Elle a été réécrite pour l’essentiel, après des années de débats, par le Parlement européen et adoptée le 12 décembre 2006 ; elle précise plusieurs dispositions clés quant aux Services d’intérêt économique général :

  • Obligation d’un mandatement du prestataire pour exercer la gestion du SIEG ; l’attribution de la mission « devrait se faire au moyen d’un ou de plusieurs actes, dont la forme est déterminée par l’Etat membre concerné, et devrait définir la nature exacte de la mission attribuée » (considérant 70) ;
  • Obligation de remplir les obligations de service public et de satisfaire au contrôle préalable de capacité à les remplir (régimes d’autorisation15) ;
  • Obligation de proportionnalité entre les objectifs d’intérêt général et les obligations de service public (application du droit du pays d’accueil et non du pays d’origine) quel que soit le pays d’établissement du prestataire ;
  • Une série de services d’intérêt général sont exclus de son champ (services de communications électroniques, services dans le domaine des transports, services audiovisuelles - cf. article 2§2), ainsi que les services de soins de santé, les services sociaux relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin et qui sont assurés par l’Etat, par des prestataires mandatés par l’Etat ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’Etat, les activités participant à l’exercice de la puissance publique et les services fournis par les notaires et les huissiers de justice, nommés par les pouvoirs publics.

Son impact – et les menaces qu’elle pouvait comporter - sur les services publics ont souvent été surestimés, tant ceux-ci sont ancrés dans chacun des territoires, liés aux populations et ne sont pas « délocalisables » ; les obligations prévues sont relatives à la transposition faite dans le droit national.

Les nouvelles directives sur les marchés publics (la première dite « secteurs classiques » ; la seconde dite « secteurs spéciaux », à savoir l’eau, l’énergie et les transports) du 26 février 2014 visent à simplifier l’achat public, à favoriser l’accès des PME à la commande publique et à mettre en avant l’achat vert, social et innovant. Elles affermissent le principe de l’attribution à l’« offre économiquement la plus avantageuse » (permettant d’inclure des clauses de protection de l’environnement, de responsabilité sociale, d’innovation, de lutte contre le changement climatique, d’emploi, de santé publique et d’autres considérations sociales et environnementales) ; le rejet des offres anormalement basses si celles-ci s’avèrent effectivement basses après demande d’explications aux candidats ; la reconnaissance de la liberté des pouvoirs publics d’organiser leurs propres services dans le cadre de la coopération public-public ou in house.

La directive sur l’attribution des contrats de concession du 26 février 2014 a elle aussi été profondément amendée par le Parlement européen. Elle vise à combler un vide, les contrats de concession de service n’étant encadrés jusque là, sur le territoire de l’Union Européenne, que par les grands principes des traités (transparence, proportionnalité, non-discrimination). Elle fait référence aux spécificités des Services d’intérêt économique général, à leurs missions et obligations et exclut de son champ d’application le secteur de l’eau compte tenu de ses spécificités.

4.5. Administrations publiques et emplois dans l’administration publique

Les administrations publiques et les fonctions publiques des Etats membres participent directement au processus d’européanisation et en subissent les effets.

Dans un cadre informel, les administrations publiques nationales développement également une « coopération administrative », au sein du réseau EUPAN (European Public Administration Network16), qui réunit les ministres et les directeurs généraux de la fonction publique des États membres, avec la participation de la Commission européenne17. EUPAN est également l’organisation patronale dans le dialogue social européen bipartite pour les administrations centrales.

Les emplois dans l’administration publique sont directement visés par le principe de la libre circulation des travailleurs alors que longtemps l’interprétation donnée aux dispositions de l’article 45§4 TFUE18 les avait exclus. Ainsi, à partir des années 1980, la Cour de Justice des Communautés européennes a été amenée à interpréter ces dispositions, inscrites dans le traité dès 1957, et a estimé que la notion d’administration publique ne peut pas faire échec à l’application des règles communautaires en matière de libre circulation des travailleurs19. Au fil d’une approche au cas par cas, elle a construit une jurisprudence préconisant de réserver l’exception prévue par le traité aux seuls emplois comportant une participation à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’État.

En France, en vertu de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, les ressortissants des États de l’Union européenne ont accès à la fonction publique, sauf aux emplois dont les attributions ne sont pas séparables de l’exercice de la souveraineté ou comportant une participation directe ou indirecte à l’exercice des prérogatives de puissance publique de l’État et des autres collectivités. Ainsi, certaines fonctions (par exemple dans les secteurs de la défense, de la justice et de la police) peuvent être fermées, mais les candidatures doivent être analysées au cas par cas. L’accès peut se faire par concours, détachement ou par voie contractuelle. En pratique, il y a très peu de recrutements de ressortissants de l’UE dans l’administration publique française. D’ailleurs, plus largement, le niveau de libre circulation des travailleurs reste faible au sein de l’UE - il concerne seulement 3% des employées20. Toutefois, comme l’a remarqué le professeur Henri Oberdorff21, en France l’ouverture de la fonction publique aux ressortissants communautaires a eu des conséquences sur les modes de recrutement, la reconnaissance de qualifications d’expériences professionnelles, une approche plus fonctionnelle des emplois.

4.6. Dialogue social

En raison de leurs missions particulières, les services publics peuvent être soumis à des normes spécifiques concernant l’emploi, les relations industrielles et le dialogue social.

Il existe plusieurs dispositions dans le traité (articles 153 - 155 TFUE) et dans le droit du travail européen qui visent à renforcer le dialogue social et le rôle des partenaires sociaux au niveau européen et sectoriel.

43 comités de dialogue social bipartite sectoriel ont été créés progressivement au niveau de l’UE, ainsi qu’un comité de dialogue social interprofessionnel22. Il existe, par exemple, un comité de ce type pour l’électricité, qui concerne notamment les grands opérateurs européens et moins les services locaux, et un comité pour les autorités locales et régionales formellement créé en 2004 (où le Conseil des communes et régions d’Europe - CCRE est l’organisation représentant les employeurs, la Fédération syndicale européenne des services publics – FSESP - représentant des organisations syndicales), mais qui ne recouvre pas tous les secteurs de services publics locaux. Tous les États membres de l’UE participent à ce comité, qui organise au moins quatre rencontres par an et est présidé par les présidents du syndicat et du groupe des employeurs.

5. L’émergence d’une conception commune : européanisation 3.0

5.1. Le traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, tient compte du rejet de la ratification du « Traité constitutionnel » de 2004 lors des référendums en France et aux Pays-Bas et manifeste en particulier un recentrage sur le rôle et les pouvoirs des Etats membres et un frein à toute nouvelle européanisation.

En ce qui concerne les services d’intérêt général, il comporte trois innovations majeures par rapport à la situation antérieure : l’article 14 du TFUE, la valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux, qui a la même valeur juridique que les traités, et le Protocole 26 annexé aux deux traités, dispositions qui se complètent.

L’article 14 est explicitement la base juridique d’un droit dérivé (règlements relevant de la co-décision Conseil-Parlement) ; il fait explicitement référence à deux reprises aux pouvoirs et droits des Etats membres et de leurs collectivités ; il doit s’appliquer dans toutes les politiques de l’UE, y compris de marché intérieur et de concurrence (« dispositions d’application générale »).

Article 14 du traité TFUESans préjudice de l’article 4 du traité de l’Union européenne et des articles 73, 86 et 88 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, l’Union et ses Etats membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, établissent ces principes et fixent ces conditions, sans préjudice de la compétence qu'ont les États membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services.

Le Protocole 26 sur les Services d’intérêt général est annexé aux traités sur l’Union européenne et sur le fonctionnement de l’UE, avec la même valeur juridique que ceux-ci. Il est le fruit d’une exigence du Premier Ministre néerlandais, en réponse à une mise en demeure de la Commission européenne mettant en cause l’organisation du logement social aux Pays-Bas.23

A la différence des traités antérieurs, il ne concerne pas les seuls services économiques d’intérêt général, mais tous les SIG, qu’ils soient qualifiés d’économiques comme de non économiques.

Si un service est qualifié de « non économique », l’article 2 rappelle clairement que les traités « ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser » ce service.

Si un service est qualifié d’« économique », ce qui est le cas dans un nombre croissant de domaines, l’article 1 oblige les institutions communautaires à respecter tout à la fois « le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser » ce service, le respect de « la diversité des services et les disparités qui peuvent exister (…) en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes », ainsi que les principes « de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs ».

Protocole 26 sur les services d’intérêt général (annexé aux traités)Les hautes parties contractantes, souhaitant souligner l'importance des services d'intérêt général, sont convenues des dispositions interprétatives ci-après, qui seront annexées au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union :

Article premier : Les valeurs communes de l'Union concernant les services d'intérêt économique général au sens de l'article 14 du traité sur le fonctionnement de l’UE comprennent notamment :

  • le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d'intérêt économique général d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ;
  • la diversité des services d'intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ;
  • un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs.

Article 2 : Les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser des services non économiques d'intérêt général.

Ces dispositions représentent des points d’appui nouveaux pour garantir les services d’intérêt général, leurs objectifs et la diversité de leurs formes d’organisation.

Il ressort de l’ensemble de ces évolutions, fruits d’interventions des acteurs sociaux dans chaque Etat comme auprès des institutions européennes, un « acquis européen » (cf. infra).

5.2. Valeurs communes

Le Protocole 26 annexé aux traités de Lisbonne, avec même valeur juridique que ceux-ci, essaie de définir quelles sont les « valeurs communes », mentionnées depuis le traité d’Amsterdam de 1997, que représentent les Services d’intérêt économique général au plan de l’Union européenne comme à celui des Etats membres.

La première relève de la compétence partagée qu’ont les Etats membres et l’Union pour les fournir, faire exécuter et organiser, afin de répondre aux besoins des utilisateurs.

La seconde prend en compte la diversité et les disparités qui peuvent tenir aux besoins et aux préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes.

La troisième renvoie à 6 principes communs, qui interagissent et sont inséparables, dont doivent relever tous les SIEG partout dans l’Union européenne24 :

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5.3. L’élargissement du champ des SIEG

Depuis 1957, les compétences de l’UE en ce qui concerne les SIG se sont progressivement élargies. Toutefois, ses compétences varient et comportent :

  • des compétences exclusives de l’Union qui impactent les SIEG aussi (par exemple, dans le domaine du commerce extérieur et de la concurrence) ;
  • des compétences partagées avec les Etats membres pour les SIEG (par exemple, pour la réalisation du marché intérieur dans les secteurs de l’électricité, des transports, des télécommunications, des postes) ;
  • des compétences d’appui de l’action des Etats membres pour certains secteurs de services non économiques d’intérêt général (par exemple, dans le domaine de la santé, de l’éducation et des services de sécurité sociale).

En même temps, l’action de l’UE, tout en étant variable selon les catégories de SIG et les secteurs, combine pour chacun d’entre eux des actions de nature législative et non législative avec des actions de coordination et d’appui de l’action des Etats membres (cf. les chapitres sectoriels qui suivront). En outre, cela a conduit l’Union européenne à compléter ses outils conceptuels. Ainsi, les concepts de « service d’intérêt général », « service non économique d’intérêt général » et « service social d’intérêt général » ont été consacrés par la Commission européenne dans ses différentes Communications sur les SIG avant que les deux premiers soient insérés dans le traité de Lisbonne. Ils permettent de couvrir l’ensemble des services publics tels que construits dans l’histoire de chaque Etat membre et de distinguer le régime juridique de droit européen qui peut s’appliquer, en fonction de la nature économique ou non économique de l’activité de service.

En effet, le champ de services d’intérêt général susceptibles d’être qualifiés d’économiques s’est progressivement étendu au fur et à mesure que le concept d’activité économique a été précisé par la Cour de justice. Ainsi, on considère comme « économique », au sens des règles de concurrence, toute activité consistant à offrir des biens et/ou des services sur un marché donné25. Au sens des règles sur le marché intérieur, toute prestation de service rémunérée doit être considérée comme une activité économique, même si le service n’est pas payé par ceux qui en bénéficient et ce, quel que soit le statut juridique de l’entité prestataire ou la nature du service26.

Pour autant, dans la pratique, la distinction entre services « économiques » et « non économiques » n’apparaît pas aussi essentielle qu’il pourrait paraître : si un service est « non économique », il n’est pas soumis aux règles européennes de concurrence et de marché intérieur ; s’il est « économique », il n’est soumis à ces règles que dans les limites où elles ne font pas obstacle aux missions particulières définies par les autorités publiques. L’enjeu essentiel pour l’avenir des services publics relève bien de la responsabilité de celles-ci dans la claire définition de leurs missions, objectifs et finalités.

5.4. Les concepts : SIG, SIEG, SNEIG et SSIG

Progressivement ont émergé des Communications de la Commission et des débats européens des définitions des concepts européens. Ces définitions ont évolué dans le temps et ne sont pas stabilisées. Nous présentons ci-après les plus récentes élaborations :

  • SIG (Services d’intérêt général) : Les SIG recouvrent les services marchands (économiques) et non marchands (non économiques) que les autorités publiques considèrent (classent) comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public. [COM(2004) 374, COM(2007) 725, COM(2011) 900]
  • SIEG (Services d’intérêt économique général) : services de nature économique que les États membres27 ou la Communauté soumettent à des obligations spécifiques de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. [COM(2004) 374] Les SIEG sont des activités économiques remplissant des missions d’intérêt général qui ne seraient pas exécutées (ou qui seraient exécutées à des conditions différentes en termes de qualité, de sécurité, d’accessibilité, d’égalité de traitement ou d’accès universel) par le marché en l'absence d'une intervention de l'État. [COM(2011)900]
  • SNEIG (Services non économiques d’intérêt général) : comprennent par exemple les services tenant de l’exercice des prérogatives étatiques traditionnelles (défense, police, justice, monnaie), les services de l'éducation nationale et les régimes de base de sécurité sociale obligatoires, et certaines activités exercées par des organismes dont les fonctions sont essentiellement sociales, qui n'ont pas pour objectif de pratiquer une activité industrielle ou commerciale (et de ce fait ne sont pas soumis aux règles du traité relatives au marché intérieur et à la concurrence). Ils ne sont soumis ni à une législation communautaire spécifique, ni aux règles du traité relatives au marché intérieur et à la concurrence. La distinction entre activités économiques et activités non économiques est dynamique et en évolution constante, et un nombre de plus en plus important d’activités ont acquis une nature économique aux cours des dernières décennies [COM(2003)270]
  • SSIG (Services sociaux d’intérêt général) : peuvent être de nature économique ou non économique, en fonction de l'activité ; deux grands types d’activités figurent dans cette catégorie : d'une part, les régimes légaux obligatoires et les régimes complémentaires de protection sociale couvrant les principaux risques de la vie ; d'autre part, les autres services prestés directement à la personne, qui jouent un rôle préventif et de cohésion/d’inclusion sociale. [COM(2006)177]

5.5. L’acquis communautaire avec le traité de Lisbonne

Aujourd’hui existe bien un « acquis communautaire » en matière de services publics ou d’intérêt général, que l’on peut ainsi résumer :

  1. Les Etats membres (les autorités nationales, régionales et locales) ont la compétence générale pour définir, « fournir, faire exécuter et organiser » les SIG, ainsi que de financer les SIEG.
  2. Les institutions européennes ont la même compétence pour des services européens qui s’avèrent nécessaires à l’accomplissement des objectifs de l’UE.
  3. Pour les services non économiques, les règles du marché intérieur et de la concurrence ne s’appliquent pas ; ils ne relèvent que des seuls principes généraux de l’UE (transparence, non-discrimination, égalité de traitement, proportionnalité).
  4. Pour les services d’intérêt économique général, les autorités publiques doivent clairement définir leur « mission particulière » (principe de transparence).
  5. Sur cette base, elles peuvent définir les moyens adaptés au bon accomplissement de la « mission particulière » (principe de proportionnalité), y compris, s’ils s’avèrent nécessaires et proportionnés, des aides et subventions, des droits exclusifs ou spéciaux.
  6. Les Etats membres ont le libre choix des modes de gestion : interne, « in house », délégué, etc.
  7. Ces définitions doivent clairement établir des normes de « qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs ».
  8. Les règles de concurrence et de marché intérieur ne s’appliquent que si elles ne font pas obstacle, en droit ou en fait, à l’accomplissement de leur mission particulière.
  9. Les Etats membres ont la liberté de choix du type de propriété des entreprises (principe de neutralité).
  10. Dans tous les cas, il peut exister des abus relevant d’une « erreur manifeste », que la Commission peut soulever, sous le contrôle de la CJUE.

Cette conception commune à l’Union européenne et à ses Etats membres présente pour les acteurs un certain nombre de contraintes, liées à la mise en œuvre des principes de transparence et de proportionnalité. Mais elle leur offre aussi toute une série d’opportunités pour exercer leurs responsabilités, afin de concevoir, définir, organiser et réguler des services répondant aux besoins évolutifs de chaque habitant et de chaque collectivité.

  1. ^ Selon la doctrine, « Il ne s’agit sûrement pas d’une énumération exhaustive ou limitative puisque ces principes ressortent aussi bien du droit communautaire dérivé et de la jurisprudence de la Cour dans les arrêts relatifs aux services d’intérêt général… », Michel Mangenot (dir.), Administrations publiques et services d’intérêt général : quelle européanisation?, EIPA, 2005, p. 101. 
  2. ^ En dépit d’un manque de base juridique spécifique dans les traités fondateurs, les premières directives en la matière ont été adoptées dans les années 1970 sur la base des résolutions du Conseil concernant la protection des consommateurs.
  3. ^ Stratégies 2000-2006 et 2007-2013 et l’Agenda Consommateurs 2014-2020.
  4. ^ http://ec.europa.eu/consumers/index_en.htm 
  5. ^ Pour plus de détails, voir Mihaela M. Similie, « Quelle contribution des services d’intérêt général à la politique de cohésion de l’Union européenne ? », dans Ph. Bance (dir.), Action publique dans la crise. Vers un renouveau en France et en Europe, PURH, 2012.
  6. ^ COM(96) 443, COM(2000) 280, COM(2007) 725), livre vert( COM(2003) 270) et livre blanc (COM(2004) 374.
  7. ^ Le traité de Rome de 1957 mentionnait dans son préambule l’objectif de développement harmonieux, mais ne prévoyait pas une politique commune de cohésion qui restait alors une compétence des Etats membres. Quelques années plus tard, la Résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres, du 22 mars 1971, concernant la réalisation par étapes de l'union économique et monétaire dans la Communauté dispose que « la répartition des compétences et responsabilités entre les institutions de la Communauté, d'une part, et les Etats membres, d'autre part, s'effectue en fonction de ce qui est nécessaire à la cohésion de l'Union et à l'efficacité de l'action communautaire. »
  8. ^ Dans une première version du projet du traité d’Amsterdam était inscrite la référence à la « cohésion économique et sociale ». Voir Claude Husson, « La cohésion territoriale : genèse d’une revendication », dans La cohésion territoriale et les services publics en Europe. Interprétation et portée de l’article 7D du traité d’Amsterdam, Presses Universitaires de Limoges, 1999.
  9. ^ On peut lire, par exemple, dans le préambule de la Directive services, par rapport aux services sociaux exclus de son champ d’application, que « ces services sont (...) une manifestation des principes de cohésion sociale et de solidarité et ne devraient pas être affectés par la présente directive. (...) La présente directive (...) n'affecte pas non plus les critères ou conditions fixés par les États membres pour assurer que les services sociaux exercent effectivement une fonction au bénéfice de l'intérêt public et de la cohésion sociale ».
  10. ^ Mihaela M. Similie, op. cit. ; CIRIEC International, La Contribution des services d’intérêt général à la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union européenne, Rapport pour la Commission européenne, 2004 ; DEAS, CIRIEC International, CSIL, PPMI, « Relations entre les fonds structurels et la prestation de services d’intérêt (économique) général et le potentiel de prestation transfrontalière de services », Etude pour le Parlement européen, 2010.
  11. ^ http://ec.europa.eu/contracts_grants/agreements/index_fr.htm 
  12. ^ Voir notre article « Les services publics et la réglementation européenne des aides d’Etat » sur wikiterritorial.
  13. ^  Il comporte trois actes : une décision concernant les aides à petit échelle - Décision de la Commission du 28 novembre 2005 concernant l'application des dispositions de l'article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général C(2005) 2673 ; un « encadrement » communautaire des aides d'État sous forme de compensations de service public (2005/C 297/04) ; et une modification de la directive « transparence » des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises. 
  14. ^ Communication de la Commission relative à l'application des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État aux compensations octroyées pour la prestation de SIEG (2012/C 8/02) (en vigueur depuis le 31.01.2012) ; Règlement (UE) n° 360/2012 de la Commission du 25 avril 2012 relatif à l’application des articles 107 et 108 TFUE aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des SIEG (en vigueur pour la période 29.04.2012 au 31.12.2018) ; Décision de la Commission du 20 décembre 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, TFUE aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de SIEG ; Encadrement de l'Union européenne applicable aux aides d'État sous forme de compensations de service public (2012/C 8/03).
  15. ^ Principes (non discrimination, nécessité impérieuse d’intérêt général et proportionnalité), conditions (voir art. 10 de la Directive), durée (en principe non limitée, cf. article 11 de la Directive), procédures de sélection des candidats (article 12), procédures et formalités d’autorisation (article 13) et interdictions (article 14). 
  16. ^ http://www.eupan.eu/en/home/ 
  17. ^ Michel Mangenot (dir.), Administrations publiques et services d’intérêt général : quelle européanisation ?, Maastricht, Institut européen d’administration publique, 2005, p. 8.
  18. ^ « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique ».
  19. ^ Arrêt du 17 décembre 1980, Commission c/ Belgique, Affaire 149 / 79.
  20. ^ Cf. débats du 25 février 2016 au sein du Parlement européen sur le Règlement EURES.
  21. ^ « L’influence du droit communautaire sur la fonction publique » dans J.-B. Auby et J. Dutheil de la Rochère (dir.), roit administratif européen, Bruylant, 2007, p. 1052
  22. ^ http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=480&langId=fr 
  23. ^ Voir notre étude « Fournir de services publics de haute qualité en Europe sur la base des valeurs du Protocole n° 26 du Traité de Lisbonne sur les Services d’Intérêt Général »,
    http://www.wikiterritorial.cnfpt.fr/xwiki/wiki/econnaissances/view/Notions-Cles/FournirdeservicespublicsdehautequaliteenEuropesurlabasedesvaleursduProtocolen26duTraitedeLisbonnesurlesServicesdInteretGeneral 
  24. ^ Voir notre étude « Fournir de services publics de haute qualité en Europe sur la base des valeurs du Protocole n°26 du Traité de Lisbonne sur les Services d’Intérêt Général »,
    http://www.wikiterritorial.cnfpt.fr/xwiki/wiki/econnaissances/view/Notions-Cles/FournirdeservicespublicsdehautequaliteenEuropesurlabasedesvaleursduProtocolen26duTraitedeLisbonnesurlesServicesdInteretGeneral
  25. ^ Arrêt du 16 juin 1987 dans l'affaire 118/85 ; arrêt du 18 juin 1998 dans l'affaire C-35/96. 
  26. ^ Arrêt CJUE du 27 juin 2000 dans l'affaire C-172/98 et arrêt du 12 juillet 2011 dans l'affaire C-157/99. 
  27. ^ La CJUE a établi que « Les États membres ont un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme des SIEG ». Mais ce pouvoir de définition des SIEG « N’est pas illimité et ne peut être exercé de manière arbitraire aux seules fins de faire échapper un secteur particulier (…) à l’application des règles de concurrence » (Arrêts du 15 juin 2005 dans l’affaire T-17/02 Olsen et du 12 février 2008 dans l’affaire T-289/03 BUPA). La définition de ces services par un État membre ne peut être remise en question par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste. Conformément aux dispositions du traité, la non application des règles du traité ou leur application limitée est possible seulement si cela ferait « échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière ». En même temps, le « développement des échanges » ne doit pas être affecté « dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté » (pour une interprétation jurisprudentielle voir CJCE, 19 mars 1991, C-202/88, point 12 ; CJCE, 23 octobre 1997, C-157/94 ; CJCE, 11 juillet 1985, 42/84 , point 22, CJCE, 21 janvier 1999, C-215/96 et C-216/96, point 47). 

Auteur(s) :

Bauby Pierre

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