Les caractéristiques du système juridique de l’UE. L’introduction du droit communautaire en droit interne. Les rapports entre les ordres juridiques.

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

La création et la dynamique de l’Union européenne reposent sur des traités entre les Etats membres, donc sur des normes et règles juridiques définies dans les traités ou dans le droit dérivé élaboré et adopté par les institutions européennes ; l’UE est une création du droit agissant par le droit. La principale compétence des institutions européennes tient à l’élaboration, l’adoption et la garantie du respect du droit européen. Mais l’UE n’est pas un Etat, ses pouvoirs de coercition et d’exécution sont limités, reposant en grande partie sur l’action des Etats membres. Il a été donc essentiel que son droit soit doté des caractéristiques lui permettant de s’imposer sur les ordres juridiques nationaux et d’institutions juridictionnelles propres pour assurer son respect.

1. Les caractéristiques du système juridique de l’Union européenne

Le système juridique de l’Union européenne apparaît comme un « ordre juridique », un « ensemble organisé et structuré de normes juridiques possédant ses propres sources, doté d’organes et procédures aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu’à en faire constater et sanctionner, le cas échéant, les violations » (Cf. G. Isaac, Droit communautaire général, Paris, Masson, 1983, p. 111).

« (…) le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’impose à leurs juridictions » (Arrêt CJCE du 15 juillet 1964, affaire 6/64, Costa/ENEL).

L’ordre juridique de l’UE fait partie intégrante du droit des Etats membres, qui participent à son élaboration et à sa mise en oeuvre. A ce titre, il concerne également les collectivités territoriales et l’exercice de leurs compétences.

La jurisprudence européenne a dégagé les grands principes destinés à garantir l’application effective du droit communautaire : l’autonomie, la primauté, l’effet direct.

1.1. L’autonomie du droit de l’UE

Le droit de l’UE est un droit commun, de nature supranationale et autonome des ordres juridiques des Etats membres, ce qui permet une application et une interprétation uniformes. Il s’intègre dans le droit des Etats membres.

L’intégration européenne repose sur le pouvoir normatif donné aux institutions pour exercer leurs compétences. En créant les Communautés, puis l’Union européenne, les Etats membres ont limité leurs pouvoirs souverains et ont crée un ensemble juridique autonome qui les lie, tout comme leurs ressortissants, et doit être appliqué par leurs tribunaux. L’intégration du droit communautaire dans les ordres juridiques internes s’opère immédiatement, sans nécessaire « réception » par le droit de chaque Etat membre (système « moniste »).

L’autonomie de l’ordre juridique de l’Union permet son application uniforme dans tous les Etats membres. Ainsi, il possède des notions juridiques spécifiques (« le droit communautaire utilise une terminologie qui lui est propre (…) les notions juridiques n’ont pas nécessairement le même contenu en droit communautaire et dans les différents droits nationaux. (…) Chaque disposition de droit communautaire doit être replacée dans son contexte et interprété à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités, et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite » ; arrêt CJCE du 6 octobre 1982, affaire 283/81, CILFIT&Lanificio di Gavardo/Ministère de la santé), qui, comme les actes de l’Union, sont interprétés à l’aune du droit et des objectifs de l’Union et non du droit national.

1.2. La primauté du droit de l’UE

Ce principe signifie que le droit de l’UE a une force juridique supérieure au droit national. En cas de conflit juridique entre le droit de l’Union et le droit national, dans les domaines relevant de la compétence de l’UE, le droit européen prime sur toute norme nationale contraire, quelle qu’elle soit, antérieure ou ultérieure. Ainsi, en cas de conflit juridique, la disposition nationale contraire à la disposition de l’Union cesse d’être applicable (Dans l’arrêt du 21 février 1991 dans les affaires 143/88 et 92/89, Zückerfabrik Süderdithmarschen, la Cour a reconnu aux juridictions nationales le pouvoir d’accorder un sursis à l’exécution d’un acte administratif pris sur la base d’un règlement communautaire. Voir aussi CJCE 9 novembre 1995, aff. C-465/93, Alanta Fruchthandelsgesellschaft). La primauté du droit de l’UE exclut aussi toute modification ou révocation du droit européen par le droit national et l’introduction de dispositions nationales non conformes au droit de l’Union. C’est une règle inconditionnelle et absolue, applicable à toute norme interne pour éviter que les dispositions du droit de l’Union puissent être rendues caduques par une loi nationale et que la réalisation de ses missions par l’UE devienne impossible.

Son origine se trouve dans la jurisprudence communautaire à laquelle renvoie une déclaration annexée aux traités, mais le principe n’a pas fait l’objet d’une disposition contraignante des traités. C’est un principe dégagé et appliqué par le juge (Arrêt CJCE du 15 juillet 1964, affaire 6/64, Costa/ENEL), un principe fondamental à l’existence de l’ordre juridique de l’Union.

Dans une jurisprudence récente, la Cour rappelle que « (…) en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, les dispositions du traité FUE (traité de fonctionnement de l’UE - TFUE) et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale » (Arrêt CJUE du 14 juin 2012, affaire C-606/10, ANAFE, point 73 et la jurisprudence citée : arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, point 17; du 19 juin 1990, Factortame e.a., C 213/89, point 18, ainsi que du 8 septembre 2010, Winner Wetten, C 409/06, point 53).

En cas de violation du droit européen par le droit national, le juge national est compétent pour rendre inapplicable ce droit national contraire ; des conflits juridiques sont apparus en ce qui concerne la primauté du droit européen sur le droit constitutionnel national, toutes les constitutions des Etats membres n’ayant pas expressément prévu ce principe. Ainsi, la Cour constitutionnelle allemande a exprimé des réserves quant à la primauté du droit de l’Union sur les garanties constitutionnelles nationales en matière de droits fondamentaux lorsque la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union n’a pas atteint un niveau correspondant, pour l’essentiel, à celui de la Constitution nationale.

Selon la Cour, « les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, (...) de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale » (arrêt CJUE du 18 juillet 2007, dans l’affaire C 119/05, Lucchini, point 61) ; « tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire » (arrêt du 9 mars 1978, affaire 106/77, Simmenthal).

L'article 4§3 TUE (« Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union ») oblige les Etats membres à prendre toutes les dispositions nécessaires pour donner effet utile au droit communautaire. Ils doivent désigner les autorités, les procédures et juridictions compétentes pour appliquer le droit communautaire et sanctionner les violations, fixer les sanctions appropriées, réserver aux obligations du droit communautaire un traitement au moins aussi favorable que celui des obligations comparables du droit interne, supprimer les règles qui peuvent être à l'origine de distorsions ou de discrimination illicite au regard du droit communautaire, etc.

« La Cour a également précisé que, d’une part, sont soumis à cette obligation de primauté tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, à l’encontre desquels les particuliers sont, dès lors, fondés à se prévaloir de telles normes du droit de l’Union et, d’autre part, parmi les dispositions du droit interne contraires auxdites normes, sont susceptibles de figurer des dispositions soit législatives, soit administratives » (arrêt CJUE du 14 juin 2012, affaire C-606/10, ANAFE, et la jurisprudence citée : arrêt du 29 avril 1999, C 224/97, Ciola, points 30 ainsi que 31).

En France, l’article 55 de la Constitution de 1958 reconnaît la primauté du droit communautaire sur la loi nationale et implicitement la supériorité de la Constitution sur le traité, y compris sur le droit communautaire : « Les traités (…) ont (…) une autorité supérieure à celle des lois ». Dans le même sens, l’article 54 de la Constitution de 1958 prévoit que si un engament international est contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution. Le Conseil constitutionnel français refuse de contrôler les lois de transposition des directives communautaires au regard de principes constitutionnels qui ne sont pas propres à la Constitution française si le principe en cause est également un principe général du droit communautaire. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne s’estime pas compétent pour examiner la compatibilité de la loi de transposition avec ce principe. En revanche, si le principe est propre, spécifique, à la Constitution française, le Conseil constitutionnel exerce son contrôle (Conseil constit. 29 juillet 2004, décision n° 2004-98 DC; 30 novembre 2006, décision n° 2006-543 DC).

La Cour de cassation a reconnu dès 1975 la primauté du droit communautaire sur le droit français (arrêt DGDDI c/ SARL Weigel et société des cafés Vabre).

Le Conseil d’Etat a reconnu pour la première fois la primauté du droit communautaire sur le droit français dans l’arrêt Nicolo de 1989. Puis, dans l’arrêt Boidet de 1990 il a confirmé la primauté des règlements, dans l’arrêt Philip Morris de 1992 la primauté des directives et dans l’arrêt Syndicat national de l’industrie pharmaceutique de 2001 la primauté des principes généraux du droit communautaire.

1.3. L’applicabilité directe du droit de l’UE

L’applicabilité directe signifie que l’acte ou la norme européenne s’applique automatiquement, simultanément et de manière uniforme dans l’ensemble de l’Union européenne, qu’elle confère directement des droits et impose directement des obligations non seulement aux institutions de l’Union et aux Etats membres, mais aussi aux citoyens de l’Union sans l’interposition du pouvoir normatif national.

Dans les termes de l’arrêt Simmenthal de la CJCE : « l’applicabilité directe (...) signifie que les règles du droit communautaire doivent déployer la plénitude de leurs effets, d'une manière uniforme dans tous les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant toute la durée de leur validité ».

Une conséquence de ce principe est l’invocabilité du droit de l’UE en justice. Ainsi, tout particulier peut invoquer le droit européen à l’occasion d’un litige afin d’obtenir son application directe. Dans ce cas, on parle de l’effet direct « vertical » d’une disposition. Quand l’effet direct s’étend aussi aux relations entre particuliers, on parle alors d’un effet direct « horizontal », par exemple, les règles de concurrence applicables aux entreprises prévues par le traité (arrêt CJCE du 6 avril 1962, affaire 13/61, Boch) et les règles relatives à la libre circulation des personnes (arrêt CJCE du 4 avril 1974, affaire 167/73, Commission/France).

C’est dans l’affaire Van Gend & Loos que la CJCE a pu prononcer une première décision indiquant les principes d’interprétation quant au droit pour les particuliers d’invoquer le droit européen devant leurs juridictions nationales.

Dans cet arrêt la Cour a interprété que le traité CEE « constitue plus qu'un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre États contractants »; « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants » ; « partant, le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique, que ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie tant aux particuliers qu'aux États membres et aux institutions communautaires ». Il est relevé aussi que la disposition en espèce « énonce une interdiction claire et inconditionnelle » et que « cette obligation n'est d'ailleurs assortie d'aucune réserve des Etats de subordonner sa mise en œuvre à un acte positif de droit interne » ; elle « se prête parfaitement, par sa nature même, à produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables » et « produit des effets immédiats et engendre des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder ».

Toutes les dispositions du droit européen n’ont pas d’effet direct. La jurisprudence de la Cour a permis d’en distinguer leurs effets respectifs et les critères de l’effet direct : le caractère inconditionnel, suffisamment précis et clair de la norme.

Les traités contiennent des dispositions fondamentales applicables par elles-mêmes, certaines d’effet direct, d’autres appelant l’intervention des institutions publiques auxquelles les traités ont conféré des compétences en ce sens et un ensemble d’instruments juridiques. La Cour a identifié trois conditions pour des dispositions des traités directement applicables aux ressortissants des Etats membres : lorsqu’elles sont formulées sans réserves, lorsqu’elles sont complètes en elles-mêmes et lorsqu’elles ne nécessitent pas, pour leur exécution ou leur efficacité, d’autres actes des Etats membres ou des institutions de l’Union. Par exemple, la Cour a considéré que les dispositions des traités imposant une obligation d’abstention aux Etats membres ont un effet direct. En ce qui concerne les garanties de la liberté de circulation (actuel article 45 TFUE) la Cour s’est prononcée en faveur de l’applicabilité directe dans l’affaire Van Duyn. Dans l’arrêt du 21 juillet 1974 dans l’affaire Reyners, la Cour de justice a jugé d’applicabilité directe la liberté d’établissement (actuel article 49 TFUE) depuis l’expiration de la période de transition, conférant aux citoyens de l’Union le droit d’accéder à une profession et de l’exercer dans un autre Etat membre au même titre que les nationaux. Dans l’affaire Van Binsbergen la Cour a constaté l’applicabilité directe du droit à la libre prestation des services montrant que toutes les restrictions auxquelles un ressortissant de l’Union est soumis en raison de sa nationalité ou de sa résidence sont contraires a l’article 59 du traite CEE (article 56 TFUE) et, donc, nulles et non avenues. La Cour a également reconnu l’applicabilité directe de la libre circulation des marchandises (article 41 TFUE), de l’interdiction de toute discrimination (article 25 TFUE), du principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes (article 157 TFUE), de la des règles de concurrence (article 101 TFUE).

Les règlements sont d’application directe en vertu des dispositions de l’article 288§2 TFUE.

Selon la Cour, le règlement, « en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sources du droit communautaire, produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de protéger » (arrêt du 14 décembre 1971, affaire 43/71, Politi ). L’applicabilité directe d’un règlement « exige que son entrée en vigueur et son application en faveur ou à la charge des sujets de droit se réalisent sans aucune mesure portant réception dans le droit national (Voir, notamment, arrêts du 10 octobre 1973, Variola, 34/73, point 10, ainsi que du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac, C 4/10 et C 27/10, point 66), sauf si le règlement en cause laisse le soin aux États membres de prendre eux-mêmes les mesures législatives, réglementaires, administratives et financières nécessaires pour que les dispositions dudit règlement puissent être appliquées » (arrêts Bussone, 31/78, point 32, ainsi que ANAFE, C 606/10, point 72 et jurisprudence citée) et « s’ils n’entravent pas son applicabilité directe, s’ils ne dissimulent pas sa nature d’acte de droit de l’Union et s’ils précisent l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est conférée par ce règlement tout en restant dans les limites de ses dispositions. » (arrêt du 7 juillet 2016 dans l’affaire C 111/15, arrêts du 25 octobre 2012, Ketelä, C 592/11, point 36, et du 15 mai 2014, Szatmári Malom, C 135/13, point 55 ; arrêt du 21 décembre 2011, Danske Svineproducenter, C 316/10, point 41 et jurisprudence citée ; arrêt du 10 octobre 1973, Variola, 34/73, point 11; arrêt du 31 janvier 1978, Zerbone, 94/77, point 26; arrêt du 14 octobre 2004, Commission/Pays-Bas, C 113/02, point 16, et du 21 décembre 2011). Les dispositions prises par les États membres ne peuvent pas affecter la portée du règlement lui-même (voir, en ce sens, arrêts du 18 février 1970, Bollmann, 40/69, point 4, ainsi que du 18 juin 1970, Waren-Import-Gesellschaft Krohn, 74/69, points 4 et 6).

Par contre, la question de l’applicabilité directe se pose pour les directives et les décisions adressées aux Etats membres, qui, selon la jurisprudence européenne, ont un effet direct limité (« vertical »). Les décisions adressées à des personnes sont d’applicabilité directe en vertu de l’article 288§4 TFUE.

Ainsi, dans un arrêt du 6 octobre 2015 dans l’affaire C-508/14, la Cour a rappelé sa jurisprudence constante (arrêts Wells, C 201/02, point 56, 57 et jurisprudence citée, ainsi que Arcor e.a., C 152/07 à C 154/07, point 35, 36) selon laquelle « une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations pour les particuliers, mais peut seulement créer des droits. Par conséquent, un particulier ne peut invoquer une directive à l’encontre d’un État membre lorsqu’il s’agit d’une obligation étatique qui est directement liée à l’exécution d’une autre obligation incombant, en vertu de cette directive, à un tiers. » En même temps, « dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État membre lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte » (arrêts Pfeiffer e.a., C 397/01 à C 403/01, point 103 et jurisprudence citée, ainsi que Arcor e.a., C 152/07 à C 154/07, point 40).

2. Les sources du droit de l’Union européenne

L’ordre juridique européen s’appuie sur un système multiple et ordonné de sources de droit. La hiérarchie des sources est construite sur la base des dispositions des traités, de la jurisprudence européenne et de la pratique des institutions européennes et des Etats membres, avec une distinction notamment entre les normes primaires et dérivées.

2.1. Les traités (le droit primaire ou originaire)

Le droit primaire de l’Union européenne est constitué des traités fondateurs de Paris du 18 avril 1951 instituant la CECA (entré en vigueur le 23 juillet 1952 et expiré au bout de cinquante ans) et de Rome du 25 mars 1957 instituant la CEE et la CEEA ou EURATOM, tels que modifiés par le traité de fusion des exécutifs (Bruxelles, 8 avril 1965), les traités en matière budgétaire (Luxembourg, 22 avril 1970 ; Bruxelles, 22 juillet 1975), le traité modifiant les statuts de la Banque européenne d’investissement (Bruxelles, 22 juillet 1975), le traité concernant le Groenland (13 mars 1984), l’Acte unique européen (Luxembourg et La Haye, 17 et 28 février 1986, entré en vigueur le 1er juillet 1987), les traités de Maastricht (7 février 1992, entré en vigueur le 1 novembre 1992), de Amsterdam (2 octobre 1997, entré en vigueur le 2 octobre 1997), de Nice (26 février 2001, entré en vigueur le 1 février 2003) et de Lisbonne (13 décembre 2007, entré en vigueur le 1 décembre 2009).

Les protocoles annexés aux traités ont la même force juridique que ceux-ci. Par contre, les déclarations à l’acte final des conférences intergouvernementales sont, en principe, dépourvues de force contraignante mais consacrent un engagement politique parfois d’une autorité presque équivalente à celle des protocoles. Le préambule des traités est également dépourvu de valeur juridique obligatoire mais il a un rôle important dans l’interprétation des missions de l’UE.

Les traités relatifs à l’adhésion et aux conditions d’adhésion de nouveaux Etats membres font également partie du droit primaire de l’UE.

Les traités s’appliquent aux Etats membres dans leur ensemble (art. 349 TFUE). Toutefois, du point de vue territorial un régime particulier d’association est prévu pour les pays et territoires d’outre-mer (art. 198 TFUE). Pour leur part, les îles anglo-normandes et l’île de Man ne sont soumises au droit communautaire que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles par le traité d’adhésion de 1972.

2.2. Les principes généraux du droit

Dans le droit de l’UE, les principes généraux du droit constituent, avec les traités fondateurs, modificatifs et d’adhésion, la première source juridique, le droit originaire ou primaire. Les principes généraux se trouvent à la base des traités.

Ce sont de normes qui expriment les conceptions de base du droit et de la justice, qui trouvent leur source dans les traditions constitutionnelles communes des Etats membres compatibles avec le droit de l’UE, dans le droit international ou qui sont propres à l’Union européenne (par exemple, la solidarité entre les Etats membres).

Non seulement les principes généraux inspirent la définition du droit écrit, mais permettent, le plus souvent dans l’interprétation jurisprudentielle du droit, de combler les lacunes inhérentes aux normes, de dégager la règle de droit pour résoudre un problème juridique. Les principes reconnus par les différents ordres juridiques auxquels est accordée la valeur de principe général de droit de l’UE s’imposent aux juridictions européennes et aux juridictions nationales lorsqu’elles mettent en œuvre le droit communautaire.

L’article 6§2 TUE se réfère expressément aux droits fondamentaux « en tant que principes généraux du droit communautaire » (« Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ») et l’article 340§2 TFUE aux « principes généraux communs aux droits des Etats membres » en matière de responsabilité extracontractuelle. En outre, le traité de Lisbonne a reconnu la valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux et a posé les bases de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme.

Parmi les principes généraux figurent des principes de droit international (pacta sunt servanda, bona fide dans l’exécution des traités), des principes communs aux droits des Etats membres et des principes généraux de droit dont l’égalité et la non discrimination, le principe de liberté de circulation avec des interprétations jurisprudentielles strictes des dérogations (par exemple, pour ce qui concerne les emplois dans l’administration publique), la sécurité juridique, la protection des droits fondamentaux de la personne (dans l’arrêt du 12 novembre 1969 dans l’affaire 29/69 Stauder/Ulm, la Cour s’est référée pour la première fois aux droits fondamentaux de la personne comme principes généraux du droit communautaire dont elle assure le respect ; voir aussi l’arrêt du 15 juin 1978, affaire 149/77, Defrenne, arrêt du 18 juin 1991, affaire C-260/89, Elleniki Radiophonia), la solidarité, l’unité du marché commun/marché intérieur, les principes de proportionnalité et de subsidiarité, le principe de la protection de la confiance légitime, le droit d’être entendu, la transparence, la bonne administration.

2.3. Le droit international

L’Union européenne est dotée de personnalité juridique internationale et s’exprime comme partenaire dans des accords et alliances avec des pays tiers ou des organisations internationales. Ainsi, l’action européenne est régie par les normes internationales par lesquelles l’UE est directement ou indirectement liée.

En ce qui concerne les accords conclus par la Communauté ou l’Union européenne, ce sont des instruments de réalisation des objectifs prévus par les traités et de ce fait leur force juridique est subordonnée au droit primaire. Cependant, conformément à la jurisprudence de l’UE (Arrêt International Fruit ), ces accords priment sur le droit dérivé. En tant qu’actes de droit européen, ils lient l’Union, ses institutions et les Etats membres (art. 218 TFUE) et font partie de l’ordre juridique communautaire.

Les traités ont prévu aussi la catégorie des conventions internationales conclues entre Etats membres pour l’exécution des traités (dans les domaines prévus - la reconnaissance et l’exécution réciproques des décisions judiciaires, la reconnaissance mutuelle des sociétés, l’élimination de la double imposition et la protection des personnes - ou non par les traités), ou des accords intergouvernementaux des représentants des gouvernements réunis au sein du Conseil pour réaliser un objectif du traité lorsque les institutions ne disposent pas d’un pouvoir de décision.

En ce qui concerne les conventions (accords, traités, etc.) conclues par les Etats membres avec les Etats tiers antérieurement à l’entrée en vigueur du traité CEE, le traité de Rome a prévu qu’un traité postérieur auquel toutes les parties à un traité antérieur ne participent pas, ne peut nuire aux droits que ces Etats retirent de ce traité. Ces conventions sont opposables à la Communauté et à l’Union sans que ceux-ci soient en eux-mêmes liés à l’égard de l’Etat tiers concerné. Mais le traité énonce aussi l’obligation des Etat membres d’éliminer les incompatibilités existant entre les traités antérieurs et le droit communautaire (actuel art. 351§2 TFUE). Dans certains cas, l’UE peut succéder aux droits et obligations des États membres avec le consentement des États tiers en devenant elle-même partie de l’accord.

Les accords conclus par les Etats membres postérieurement à l’entrée en vigueur des traités constitutifs ou à leur adhésion aux Communautés et à l’Union sont en principe opposables à l’Union, dès lors qu’ils sont compatibles avec les traités.

2.4. Les actes des institutions de l’UE (le droit dérivé)

Même si les traités contiennent des règles précises applicables sans l’intermédiaire d’autres dispositions, la plupart de normes européennes sont le fait de l’action normative des institutions (le « droit dérivé »), qui poursuivent les objectifs, principes et la procédure de leur mise en œuvre dans le cadre des compétences attribuées.

Plusieurs types d’actes de droit dérivé existent, les principaux étant prévus expressément par les traités. Lorsque les traités ne prévoient pas le type d’acte à adopter, les institutions le choisissent au cas par cas, dans le respect des procédures applicables et du principe de proportionnalité.

L’attribut « dérivé » désigne la subordination de ces actes aux traités. Souvent, ces actes contiennent des normes primaires, comparables aux normes d’ordre législatif édictées dans les Etats (la CJUE a parfois employé les termes de pouvoir législatif ou système législatif ou législation pour désigner les normes adoptées par les institutions). Toutefois, contrairement au législateur national, les institutions ne disposent pas d’un pouvoir normatif général mais agissent dans les limites des compétences qui leurs ont été attribuées. Ce principe est exprimé par l’article 5§2 TUE, aux termes duquel « en vertu du principe d'attribution, l'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres ».

La jurisprudence européenne a montré que les compétences peuvent être attribuées expressivement ou implicitement, en vertu de la règle de l’effet utile.

Le traité de Lisbonne a introduit une distinction explicite entre les actes législatifs, les actes délégués et les actes l‘exécution. Ces actes peuvent prendre la forme de règlements, directives, décisions. L’attribut « délégué » est inséré dans l’intitulé des actes délégués et le terme d’« exécution » est inséré dans l’intitulé des actes d’exécution. Auparavant, la jurisprudence avait établi la priorité des actes de base sur les actes d’exécution (arrêt du 17 décembre 1970 dans l’affaire 25/70, Köster).

Le règlement est l’acte normatif de droit dérivé le plus complet et le plus efficace. Le traité prévoit expressément qu’il est directement applicable dans tout Etat membre (art. 288§2 TFUE). Pour produire des effets juridiques il n’a pas besoin d’actes nationaux intermédiaires (la Cour a jugé dans un arrêt du 14 décembre 1962 (aff. jointes 16 et 17/62) que « le règlement, de caractère essentiellement normatif, est applicable non à des destinataires limités mais à des catégories envisagées abstraitement et dans leur ensemble »). Il est obligatoire dans tous ses éléments. Il est établi dans toutes les langues officielles et entre en vigueur après sa publication au Journal officiel de l’UE (partie L – Législation, rubrique « Actes dont la publication est une condition de leur applicabilité »), à la date qu’il fixe ou vingt jours après sa publication au Journal officiel (cf. art. 297 TFUE).

La directive « lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens » (art. 288§3 TFUE).

Selon la Cour, « la liberté laissée (…) aux Etats membres quant au choix de formes et moyens, en matière d’exécution des directives, laisse entière leur obligation de choisir les formes et moyens les plus appropriés en vue d’assurer l’effet utile des directives » (arrêt du 8 avril 1976, aff. 48/75, Royer).

Par leur nature, les directives appellent des compléments normatifs de la part des États membres.

Les directives adressées à tous les Etats membres sont publiées au JOUE et entrent en vigueur comme les règlements, à la date fixé par l’acte ou le 20ème jour suivant leur publication. Les Etats membres disposent d’un délai pour transposer les directives et communiquent à la Commission les mesures nationales d’exécution, ce qui permet à la Commission de contrôler la mise en œuvre de la directive et agir le cas échéant en constat de manquement.

Les directives qui ne sont pas adressées à tous les Etats membres prennent effet par notification à l’Etat membre ou aux Etats membres destinataires (art. 297§2 TFUE). Dans ce cas, la publication au Journal officiel de l’UE se fait « pour information ».

La décision sui generis est un acte individuel, obligatoire dans tous ses éléments, qui lie le destinataire auquel elle est notifiée (art. 288§4 TFUE). Cependant, le traité prévoît la possibilité d’adoption de décisions à caractère normatif. Les décisions qui n’indiquent pas de destinataire sont publiées dans le JOUE et entrent en vigueur selon les mêmes règles applicables aux règlements et directives. Les décisions qui désignent un destinataire entrent en vigueur par notification à leur destinataire.

On distingue les actes normatifs adoptés par une procédure législative et les actes normatifs adoptés par la Commission sur la base d’une délégation de pouvoir normatif, qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. La délégation de pouvoir se fait par un acte adopté selon la procédure législative, qui délimite explicitement les objectifs, le contenu, la portée et la durée de la délégation. Cette délégation peut être révoquée. L’acte délégué entre en vigueur à condition que dans le délai fixé par l’acte législatif le Parlement européen et le Conseil n’expriment pas d’objections.

Les recommandations et les avis n’ont pas en général de force juridique contraignante. Toutefois, le traité leur donne parfois un certain effet juridique. Par exemple, le non-respect d’un avis motivé de la Commission l’habilite à agir devant la Cour en constat du manquement. A la différence de l’avis, qui apparaît comme l’expression d’une opinion sur une certaine question, la recommandation apparaît comme un instrument invitant à l’action, notamment au rapprochement des législations.

Dans la pratique européenne apparaissent aussi les actes « atypiques » et les actes « innomés », qui échappent aux actes énoncés ci-dessus. Certains actes ont une portée purement interne et concernent l’organisation et le fonctionnement des institutions, tels que les règlements intérieurs. Leur caractère atypique consiste dans la procédure d’édiction, alors que leur dénomination est classique. D’autres actes tiennent à l’exercice des fonctions institutionnelles, tels que les programmes généraux ou les propositions de la Commission. Leurs effets juridiques concernent principalement l’(les)institution(s) européennes mais la jurisprudence a admis que les personnes physiques et morales puissent invoquer la violation du règlement intérieur d’une institution européenne à l’appui de leurs conclusions dirigées contre un acte de cette institution. Les actes interinstitutionnels peuvent également être évoqués ici, tels que les accords avec ou sans caractère contraignant conclus entre le Parlement, le Conseil et la Commission pour organiser les modalités de leur coopération (art. 295 TFUE).

2.5. La jurisprudence européenne

La jurisprudence de la CJUE est considérée comme une source non écrite du droit européen. Son développement continu a contribué à combler les lacunes du droit positif européen et à assurer une interprétation et une application du droit adaptées aux évolutions des objectifs.

La Cour privilégie les méthodes fonctionnelles d’interprétation (méthode systématique et interprétation téléologique, principe de l’effet utile) privilégiées pour tenir compte de la finalité générale des traités, de l’esprit du droit européen.

3. L’introduction du droit communautaire en droit interne et les rapports entre les ordres juridiques

Les traités ont confié à la Commission la tâche de veiller « à l'application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci » et de surveiller « l'application du droit de l'Union sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne » (art. 17§1 TUE). Il est prévu également que « lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés et dans les cas prévus aux articles 24 et 26 du traité sur l'Union européenne, au Conseil » (art. 291§2 TFUE).

Mais l’Union européenne n’a pas une infrastructure administrative lui permettant d’organiser une application centralisée du droit européen dans les Etats membres et ses pouvoirs de coercition sont limités.

L’introduction et la mise en œuvre du droit européen en droit interne repose notamment sur la coopération avec les Etats membres, qui assurent les institutions (autonomie institutionnelle), procédures, moyens et instruments de mise en œuvre de la réglementation arrêtée au niveau de l’UE. C’est eux qui sont chargés de l’application des règles. Cette obligation découle des traités, de manière générale : « Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union » (art. 4§3 TUE) et « prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en oeuvre des actes juridiquement contraignants de l'Union » (art. 291§1 TFUE). Dans certains domaines, les traités spécifient les obligations d’exécution par les Etats membres, par exemple dans le domaine de l’environnement où ils disposent : « Sans préjudice de certaines mesures adoptées par l'Union, les États membres assurent le financement et l'exécution de la politique en matière d'environnement » (art. 192§4 TFUE).

En fait, les ordres juridiques de l’Union et des Etats membres sont interdépendants et imbriqués les uns dans les autres, ils se complètent mutuellement. La mise en œuvre du droit européen par les Etats membres suppose souvent une action normative, législative ou réglementaire, par l’adoption de nouvelles règles et/ou la modification de celles existantes.

C’est notamment le cas en matière de transposition de directives, qui constitue une compétence liée des Etats membres. Mais, comme l’a précisé la Cour, « chaque État membre est libre de répartir comme il le juge opportun les compétences sur le plan interne et de mettre en oeuvre une directive au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales » (arrêt du 25 mai 1982, affaire 97/81, Commission/Pays-Bas, point 12). Le Parlement a invité la Commission, par une résolution adoptée le 9 février 1983, à la suite du rapport Sieglerschmidt, à présenter chaque année un rapport écrit recensant l'ensemble des violations des traités commises par les États membres. La Commission a présenté son premier rapport en 1984 (Premier rapport annuel au Parlement européen sur le contrôle de l'application du droit communautaire en 1983, COM(84) 181). Souvent, les directives invitent les États membres à communiquer à la Commission les dispositions qu'ils adoptent dans le domaine qu'elles régissent. En vue de permettre à la Commission d'exercer un meilleur contrôle sur la « transposition » correcte des directives par les États membres et d’assurer une meilleure transparence législative pour les citoyens, le Conseil a décidé, le 8 novembre 1991, d’insérer dans chaque directive une disposition obligeant les États membres à se référer explicitement à la directive lors de l'adoption des mesures nécessaires pour s'y conformer.

Le principe de responsabilité générale des Etats membres en cas de non respect de leurs obligations a été reconnu par la jurisprudence européenne, y compris pour les dommages causés aux particuliers. Selon la Cour, le droit à réparation constitue le « corollaire nécessaire de l’effet direct reconnu aux dispositions communautaires dont la violation est à l’origine du dommage causé ».

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