Par Denis Fraysse
Dernière mise à jour : octobre 2019

Les liens entre l’eau et la vi(ll)e ont toujours été forts au cours de l’histoire. A partir de l’ère industrielle, l’eau sous toutes ses formes en milieu urbain a été polluée, aménagée, canalisée et oubliée de l’aménagement urbain. Un retour de sa prise en compte s’est amorcé à l’émergence du développement durable dans les années 70. A l’heure des villes durables, l’eau redevient un élément incontournable, un atout et non plus une contrainte des projets d’aménagements urbains.

1. L'eau en milieu urbain

1.1.  Le cycle anthropique ou urbain de l’eau

En parallèle du perpétuel cycle de l’eau sur notre planète, l’eau est détournée vers un autre cycle, plus court et restreint aux activités humaines.

Il passe par plusieurs étapes :

  • Le prélèvement en milieu naturel : nappes et/ou rivières
  • La production d’eau potable par traitement des eaux prélevées
  • Le stockage et la distribution de l’eau potable produite
  • La collecte des eaux usées et des eaux pluviales
  • La dépollution/l’assainissement des eaux usées et pluviales - variable suivant les débits
  • Le retour au milieu naturel des eaux dépolluées

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Exemple du cycle urbain de l’eau du Grand Lyon

1.2. Les différentes formes de l’eau et leur rôle

Les milieux humides et aquatiques en bon état apportent des biens et des services essentiels : énergie, autoépuration, approvisionnement en eau, bien-être et loisirs, régulation des crues, transports et communication.

Les eaux superficielles : les cours d’eaux

Les cours d’eau, de leur source à l’estuaire, sont un élément indispensable du cycle naturel de l’eau et de la formation des paysages à l’échelle des temps géologiques - vallées, gorges - et des temps perceptibles par l’homme - creusement des berges, glissements de terrain. La plupart des villes se sont construites à proximité et à partir d’un cours d’eau. La présence de ces eaux permettait de répondre aux besoins alimentaires mais aussi commerciaux et de communication (moyens de transport de biens et de personnes). Les cours d’eau sont des systèmes dynamiques, mobiles dans l’espace et le temps et nécessitent un espace pour exprimer leurs fonctionnalités : dissipation de l’énergie des crues, autoépuration, continuité écologique et hydraulique - échanges avec les nappes.

Les nappes d’eau souterraine ne sont ni des lacs ni des cours d’eau souterrains : c’est de l’eau contenue dans les roches poreuses saturées par les eaux de pluie qui se sont infiltrées.

Suivant la nature des roches du sous-sol - sédimentaires ou cristallines -, les nappes peuvent être à faible profondeur et sur sol perméable, les nappes libres et alluviales, ou sur sol imperméable et à grande profondeur : les nappes captives. Les nappes d’eau souterraine constituent une source importante d’alimentation en eau potable. Grâce à leur facilité d’accès et leur bon débit, les nappes alluviales, situés dans les alluvions des cours d’eaux, fournissent 60% des eaux souterraines captées en France.

Les nappes libres et alluviales permettent de réguler le débit des cours d’eaux en les alimentant de manière régulière même en période de sécheresse. Ces nappes sont plus vulnérables à la pollution que les nappes captives.

Les zones humides sont des masses d’eau stagnantes et de plusieurs types :

  • les zones humides alluviales situées en fond de vallée, dans le lit majeur des cours d’eau
  • les tourbières et les bas-marais sont des écosystèmes constamment saturés d’eau où s’accumulent les matières organiques non décomposées, formant la tourbe
  • les zones humides côtières, entièrement soumises à l’influence de l’eau de mer et à l’immersion périodique, telles que les lagunes, les mangroves, les récifs coralliens, les vasières et les prés salés immergés
  • les zones humides palustres correspondent aux plans d’eau dont la profondeur n’excède pas 6 mètres, c’est-à-dire les étangs et les mares.

Les zones humides ont un rôle primordial dans la régulation des crues - zone de stockage et frein au ruissellement de la végétation -, la recharge des nappes et le soutien d’étiage, la protection contre l’érosion des sols, l’épuration naturelle de l’eau et comme refuges d’espèces - oiseaux, amphibiens et poissons.

1.3. L’influence de l’urbanisation sur les milieux aquatiques

L’urbanisation de l’espace entraîne de profonds bouleversements des équilibres naturels et modifie le cycle naturel de l’eau en altérant les potentiels de l’eau.

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Impacts de l’urbanisation sur les milieux aquatiques – Eurydice 1991

Les cours d’eaux en zones urbaines sont et ont été pollués par les eaux de ruissellement de chaussée, aménagés par les travaux de recalibrage, de curage, d’extraction de granulats et d’endiguement, voire canalisés et recouverts. Ils ont été oubliés de l’aménagement urbain. Les zones d’expansion des crues correspondant au lit majeur du cours d’eau ont été remblayées et imperméabilisées, exposant les activités et les populations au risque d’inondations.

L'imperméabilisation des sols réduit l'alimentation des nappes d’eau souterraine. Cela peut donner lieu à un abaissement des débits d'étiage des ruisseaux et rivières urbaines et accroître la fragilité de ces milieux. Ces incidences peuvent être tempérées par les fuites des réseaux de distribution d'eau et d'assainissement. D'une manière générale, les constructions en sous-sol et les travaux pour leur stabilité et leur mise hors d'eau modifient souvent profondément les circulations d'eau souterraine. Par ailleurs, l’augmentation de la population urbaine a induit une sollicitation plus importante des nappes pour la potabilisation.

La plupart des zones humides, remblayées et drainées pour les besoins de construction de routes, voies ferrées ou bâtiments, ont disparu.

L’imperméabilisation des sols est également responsable de la création d’ilots de chaleur.

2. Eau et aménagements urbains

Pour les collectivités locales, la prise en compte des problématiques d’imperméabilisation des sols, du risque d’inondation, du risque de pollutions lié aux eaux pluviales et la réintégration des milieux aquatiques dans les projets d’aménagement représentent des défis majeurs contribuant à la qualité de vie des habitants et, in fine, à l’attractivité des territoires.

2.1. Outils réglementaires

Le code de l’urbanisme établit que les documents d’urbanisme (PLU, SCOT et cartes communales) doivent être compatibles avec le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE). Etabli par les comités de bassin et chacune des 6 agences de l’eau, le SDAGE est un document de planification qui fixe pour 6 années des objectifs qualitatifs et quantitatifs en rapport avec la préservation des milieux aquatiques. Par exemple, le SDAGE 2016-2021 du bassin Seine Normandie par la disposition D6.67 fixe les objectifs de protection des forêts alluviales en précisant que les documents d’urbanisme locaux peuvent se traduire par un zonage et des règles adéquats.

La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 et l’article L. 2224-10 du Code Général des Collectivités Territoriales demande aux collectivités qui en ont la compétence de produire un zonage permettant de maîtriser l’écoulement des eaux pluviales et de ruissellement et de pallier tout risque de pollution liée à ces écoulements.

Le 3e plan national d'action en faveur des milieux humides (2014-2018) consiste en la poursuite d’une action spécifique sur les milieux humides, sur lesquels s’exercent différentes politiques (eau, biodiversité, urbanisme, risques naturels et paysages). Il vise à obtenir rapidement une vision d’ensemble de leur situation et à mettre en œuvre une stratégie de préservation et de reconquête, en associant l’ensemble des acteurs concernés.

Certaines dispositions du 3e Plan national d’action en faveur des milieux humides ainsi que de la loi pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages n° 2016-1087 du 8 août 2016 et de nouvelles compétences des collectivités locales (GEMAPI : GEstion des Milieux Aquatiques et Prévention des Inondations) incitent les maîtres d’ouvrage et les concepteurs à valoriser et intégrer ces milieux dans l’aménagement urbain, par les services écologiques ou culturels qu’ils peuvent rendre (prévention des inondations, tourisme...).

La loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement implique que dans la conception et la mise en œuvre de leurs projets, les maitres d’ouvrage doivent définir les mesures adaptées pour éviter, réduire et compenser lorsqu’il y a des impacts négatifs sur les milieux aquatiques et l’environnement.

La stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020 prévoit notamment la mise en œuvre des trames vertes et bleues, l’un des engagements phares du Grenelle Environnement. C’est une démarche qui vise à reconstituer un réseau d’échanges sur le territoire national - la continuité écologique - pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, communiquer, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer. Elle contribue ainsi au maintien des services que nous rend la biodiversité : qualité des eaux, pollinisation, prévention des inondations, amélioration du cadre de vie. Elle a pour objectif d’enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en état des milieux. La trame verte et bleue contribue ainsi à retrouver un bon état écologique des milieux et masses d’eau.

2.2. Outils techniques

Intégration de l’eau dans les projets d’aménagement

Les retours d’expérience sur les projets d’aménagement montrent la nécessité de conduire des approches transversales associant à la dimension technique d’aménagement, les dimensions paysagère, écologique et sociétale. Il s’agit de prendre en compte, voire de s’adapter au fonctionnement naturel du site, tout en intégrant le projet dans une stratégie plus globale de trame verte et bleue. De plus, dès le projet, les questions d’usages et de gestion doivent être étudiés et anticipés. Par exemple, il est pertinent d’adapter l’accessibilité d’un site à la fragilité des milieux humides en prévoyant des espaces fréquentés par le public et d’autres préservés et d’anticiper une gestion différenciée de ces espaces, voire de recourir à des techniques alternatives tel que l’éco-pâturage.

Gestion à la source des eaux pluviales 

Les techniques dites alternatives - au tout tuyau - ont pour objectif de participer à la réduction des eaux de ruissellement par stockage et infiltration à la source. Le principe est simple, il s’agit d’infiltrer dès que c’est possible - ou lorsque le zonage pluvial le recommande - les eaux de pluie à l’endroit où elles tombent.

Dans les espaces publics, les concepteurs envisagent de plus en plus la création de noues qui sont à la fois des ouvrages hydrauliques de stockage permettant l’infiltration des eaux de ruissèlement, des zones humides temporaires et des espaces plantés, pourvus à minima d’une strate herbacée.

Afin d’optimiser l’emprise foncière de ces ouvrages de stockage des eaux pluviales, ils ont de plus en plus conçu à ciel ouvert avec une superposition d’usages. Par exemple, il est possible d’aménager des parkings, terrains de sport ou parcs urbains en partie inondable.

Parmi les autres techniques, on peut citer également les toitures végétalisées, les toitures terrasses réservoirs qui permettent le stockage à la source des eaux pluviales ou la réutilisation d’eaux pour l’arrosage d’espaces verts ou pour les sanitaires.

Restauration et renaturation des milieux aquatiques 

Pour mener la restauration de milieux détériorés et dégradés, les maitres d’ouvrages publics font appel aux techniques du génie végétal et écologique. Par exemple, la restauration de la continuité écologique d’un cours d’eau se réalise notamment par le reméandrage, l’effacement d’ouvrages hydrauliques - digues - et la végétalisation, voire la renaturation des berges.

Plus ambitieuse, la renaturation a pour objectif de retrouver toutes les potentialités initiales du milieu et de recréer de manière globale un fonctionnement écologique en tentant de réhabiliter notamment toutes les caractéristiques physiques du milieu.

L’ensemble de ces interventions nécessite des études préalables pour apprécier les effets attendus allant du diagnostic écologique préliminaire à l’étude d’impact.

Exemple de renaturation : la réouverture de la Bièvre

La Bièvre est une rivière qui prend sa source dans les Yvelines et se jette dans la Seine à Paris, après une course de 36 km. De nombreuses industries, notamment des blanchisseries et des tanneries, se sont installées le long de la rivière au XIXème siècle entre Paris et l’actuel Val de Marne. Devenue insalubre à cause de ces rejets industriels, la Bièvre est devenue un tel égout à ciel ouvert qu’elle a été totalement recouverte et enfermée dans un ouvrage en béton entre 1870 et 1960. Avec le développement de l’urbanisation et de l’assainissement de la vallée, la Bièvre fut finalement intégrée au système d’assainissement de l’agglomération parisienne et gérée en tant que collecteur des eaux pluviales. Invisible en surface, les habitants ne soupçonnaient pas son existence. Mais depuis 2016, elle coule à nouveau à ciel ouvert sur 650 mètres de linéaire sur la commune de l’Haÿ-les-Roses. Le département du Val de Marne a été le pilote de ce projet. Pour transformer l’égout en rivière et mettre fin aux rejets d’eaux usées dans la Bièvre, le service public de l'assainissement francilien (SIAAP) a construit un collecteur à Antony, un chantier souterrain qui a nécessité dix-huit mois de travaux. Pour éviter les risques de débordements de la rivière dans les réseaux, la vitesse d’écoulement a été réduite par l’élargissement du lit du cours d’eau. Malgré une réticence initiale de la population, la Bièvre est redevenue une rivière sinuant en milieu très urbain et a vu le retour des grenouilles qui sont un très efficace marqueur de la qualité des eaux. Une 2ème phase de réouverture est prévue en 2021 en aval sur les communes de Gentilly et d’Arcueil.

Création d’ilot de fraicheur

Pour diminuer l’impact des ilots de chaleur formés par les zones bétonnées et/ou bitumées, les collectivités recourent à la mise en place de points d’eau fonctionnant de manière saisonnière tels que des fontaines, brumisateurs ou des jeux d’eaux. L’effet de fraicheur est renforcé si la fontaine, le plan d’eau, se trouve dans un espace vert tel qu’un parc ou une promenade plantée. Plutôt que d’être rejetées dans un réseau, les eaux de piscine rejetées quotidiennement en période estivale peuvent être valorisées dans un aménagement paysager tel qu’un jardin humide équipé de plusieurs bassins.

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