Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa), chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

Depuis le traité de Rome de 1957, la CEE puis l’UE ont une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune (PCC) pour « contribuer conformément à l’intérêt commun au développement harmonieux du commerce mondial » (art. 110 du traité de Rome). Décidant en effet d’éliminer progressivement les obstacles aux échanges entre les Etats membres, la politique commerciale a été « communautarisée » pour concerner les échanges avec le reste du monde. Ainsi, l’abolition progressive des droits de douane entre les pays européens a débouché sur un « tarif extérieur commun », calculé sur la moyenne des tarifs douaniers nationaux, et les droits de douane encaissés sur les importations européennes en provenance du reste du monde ont été affectés directement au budget communautaire (Règlement 950/68).

Progressivement cette démarche de nature plutôt défensive a laissé place à des négociations commerciales multilatérales (5ème cycle GATT/Dillon Round 1960-1962 ; 6ème cycle GATT/Kennedy Round 1964-1967 ; 7ème cycle GATT/Tokyo ou Nixon Round 1973-1979 ; 8ème cycle GATT/Uruguay Round 1986-1994), qui ont visé la suppression des entraves aux échanges et la diminution des droits de douane (d’une moyenne globale d’environ 40% après la Seconde Guerre mondiale à une moyenne de 3% en début du XXIe siècle, avec même une suppression dans plusieurs secteurs).

Après l’institution de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en particulier depuis le cycle de Doha (ouvert en 2001, suspendu en 2006) l’Union a connu, d’une part, une augmentation des contentieux (dénonciation des préférences régionales, des mécanismes externes de protection par la PAC et des mécanismes de protection non tarifaires, etc.) et, d’autre part, une augmentation du nombre de négociations bilatérales et régionales visant à instaurer une union douanière (avec la Turquie, Andorre et Saint Marin) ou à organiser une zone de libre-échange (avec les Etats de l’EEE, avec certains pays candidats ou des pays voisins ou avec d’autres pays). Les enjeux sont importants puisque l’UE, par ses Etats membres, assure presque 20% du commerce mondial des marchandises et détient la première place dans les exportations mondiales de services et de marchandises, avant les Etats-Unis et la Chine. Cependant, le niveau des importations vers l’Union est supérieur à celui des exportations, avec des fortes disparités entre les Etats membres.

Le traité ne précise pas de manière exhaustive les domaines couverts par la politique commerciale commune ce qui a pu alimenter des débats et contentieux entre la Commission et le Conseil. Selon la Cour de justice, la Communauté européenne peut agir sur le plan externe chaque fois qu’elle est compétente, explicitement ou implicitement, sur le plan interne en vue de réaliser un objectif communautaire (principe du parallélisme des compétences ; CJCE aff. 22-70 et avis 1/76 du 26 avril 1977).

Le traité d’Amsterdam a autorisé le Conseil à l’unanimité à étendre la compétence communautaire aux services et aux droits de propriété intellectuelle. Cette possibilité n’a pas été utilisée par le Conseil et le traité de Nice (2000) a introduit des dispositions incluant les accords relatifs aux services et aux aspects commerciaux de la propriété intellectuelle dans le champ de la politique commerciale commune, avec vote à l’unanimité au Conseil. Le traité de Nice a prévu également que les accords qui affectent les services culturels, audiovisuels, de l’éducation, sociaux et de santé fassent l’objet d’une compétence partagée entre la Communauté et les Etats membres, nécessitant donc une ratification par chaque Etat membre.

Le traité de Lisbonne a fait entrer ces domaines de services, ainsi que les investissements étrangers directs, dans le champ de la politique commerciale commune et de la compétence exclusive de l’Union (art. 3§1e TFUE ; voir aussi CJCE, avis 1/75 du 11 novembre 1975). Toutefois, ce traité prévoit que l’exercice des compétences de l’Union dans le domaine de la PCC « n’affecte pas la délimitation des compétences entre l’Union et ses Etats membres ». En outre, les Etats gardent des responsabilités importantes pour la définition de la politique (en tant que membres du Conseil qui doit dans plusieurs domaines décider à l’unanimité), sa mise en œuvre, ainsi que pour la promotion économique internationale des opérateurs nationaux et les aides afférentes. En même temps, la PCC est l’une des politiques les plus intégrées de l’Union.

Le traité de Lisbonne a non seulement élargi le champ de la PCC mais il renforce les pouvoirs du Parlement européen qui, sans disposer d’un pouvoir général d’approbation des accords commerciaux, participe, sous réserve des dispositions spécifiques de l’art. 207 TFUE, à la procédure législative ordinaire d’adoption des mesures de mise en œuvre de cette politique. En outre, dans un arrêt du 3 juillet 2014, la CJUE (T-529/09, confirmé par C-350/12P) a reconnu le droit du Parlement et des citoyens européens d’accès, dans les conditions prévues par la législation européenne, aux documents de négociations commerciales internationales.

2. Les objectifs

Les objectifs de la politique commerciale commune sont aujourd’hui définis et complétés par le traité de Lisbonne. Selon les dispositions de l’art. 21 TUE, la PCC vise à « encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce mondial » et à « promouvoir un système commercial international fondé sur une coopération multilatérale renforcée et une bonne gouvernance mondiale ». Ces objectifs recouvrent non seulement le commerce des marchandises, des services, mais aussi les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle et les investissements directs étrangers. Ils reposent sur des démarches de libéralisation progressive et régulée des échanges (par voie réglementaire et/ou conventionnelle), considérée comme facteur de croissance pour tous les partenaires.

TITRE II TFUE - LA POLITIQUE COMMERCIALE COMMUNE

Article 206 TFUE

Par l'établissement d'une union douanière conformément aux articles 28 à 32 TUE [Politique étrangère et de sécurité commune], l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres.

Article 207 TFUE

1. La politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, l'uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d'exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions. La politique commerciale commune est menée dans le cadre des principes et objectifs de l'action extérieure de l'Union.

3. La situation actuelle et les principaux moyens d’action (art. 206-207 TFUE)

Les traités définissent la feuille de route de l’UE dans les négociations commerciales internationales et la procédure à suivre.

L’article 3§5 du traité de l’Union européenne (TUE) prévoit que « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies ».

L’orientation donnée par les traités vise à promouvoir les valeurs de l’UE, protéger ses citoyens, en mettant le primat sur les politiques et règles internes de l’Union. C’est une démarche offensive qui est ainsi promue, visant à porter les acquis européens dans les négociations commerciales internationales et pas seulement à promouvoir la libéralisation des échanges.

L’article 207§3 TFUE précise que la procédure à suivre pour conclure les accords commerciaux est celle fixée par l’art. 218 TFUE, sous réserve des dispositions particulières. Même si le Conseil donne à la Commission des mandats de négociation qui peuvent être assez précis et contraignants, celle-ci prépare des recommandations (projet de mandat) et, sur la base de la décision du Conseil et avec l’assistance d’un comité spécial que celui-ci désigne, représente l’Union dans les négociations.

Pour la négociation et la conclusion des accords commerciaux, le Conseil statue en principe à la majorité qualifiée. Toutefois, dans certains domaines pour lesquels l’unanimité est requise par le traité, ainsi que pour les accords mixtes ou horizontaux (couvrant des domaines de compétence exclusive et partagée, commerciaux et non commerciaux), le Conseil statue à l’unanimité, ce qui donne à chaque Etat membre un droit de veto.

Article 207 TFUE

Pour la négociation et la conclusion d'un accord dans les domaines du commerce de services et des aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, ainsi que des investissements étrangers directs, le Conseil statue à l'unanimité lorsque cet accord comprend des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l'adoption de règles internes.

Le Conseil statue également à l'unanimité pour la négociation et la conclusion d'accords:

a) dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union;

b) dans le domaine du commerce des services sociaux, d'éducation et de santé, lorsque ces accords risquent de perturber gravement l'organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services.

De manière plus générale, en matière de services publics, des inquiétudes et oppositions se cristallisent quant aux conséquences des négociations commerciales en cours. Le traité de Lisbonne précise quelles sont en la matière les « valeurs communes » de l’UE et des Etats membres, qu’il est demandé de promouvoir dans les négociations internationales, en particulier « un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des utilisateurs ». Et cela ne sera pas le fruit spontané de la libéralisation des échanges.

Le tarif douanier (extérieur) commun est le premier mais pas le seul instrument de protection des produits et services communautaires par rapport aux produits importés. Les droits du tarif douanier commun sont fixés par le Conseil. Les engagements internationaux successifs ont conduit à ce que leur niveau moyen soit progressivement réduit (avec un niveau trois ou quatre plus élevé pour les produits agricoles que pour les produits industriels), en même temps que les produits communautaires ont vu leur accès sur certains marchés tiers facilité (toutefois, des fortes asymétries subsistent, comme par exemple pour l’accès aux marchés publics des pays tiers).

Le Conseil peut également prendre des mesures de défense commerciale pour lutter contre les pratiques commerciale déloyales des pays tiers et rétablir l’équité dans les échanges commerciaux : mesures anti-dumping, mesures anti-subventions, fixation de mesures de sauvegarde ou de contingents communautaires (en cas de préjudices graves aux producteurs communautaires dus à une forte augmentation des importations).

En cas d’obstacles à l’exportation de produits et services communautaires vers des marchés extérieurs, la Commission peut être saisie ; le Règlement 2015/1843 du 6 octobre 2015 régit les procédures en vue d’assurer l’exercice par l’Union des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international, en particulier celles instituées sous l’égide de l’OMC. Dans ces cas, la Commission peut engager des négociations bilatérales avec les autorités concernées pour trouver une solution amiable. En cas d’échec des négociations elle peut prendre des mesures de rétorsion ou utiliser les voies de recours auprès de l’Organe de règlements des différents (ORD) de l’OMC. Dans la pratique, les mesures de défense commerciale sont peu mobilisées. Au niveau contentieux, l’Union a porté devant ORD plus de 70 affaires, dont presque un tiers contre les Etats-Unis, et comparaît dans presque tout autant d’affaires en position défensive.

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