Les droits fondamentaux et les libertés publiques : Les mécanismes de protection

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Hervé Guérin : docteur en droit public
Dernière mise à jour : octobre 2016

L'idée de droits et libertés fondamentaux est déjà en germe dans la philosophie des Lumières, mais la notion de droits fondamentaux ne prend forme qu'au XXe siècle. Elle traduit le souci de l'homme, entendu comme individu unique auquel est reconnu un ensemble cohérent de droits subjectifs, indépendamment du contexte géographique ou temporel. L'expression de « droits fondamentaux », souvent assimilée à celle de « droits de l'homme », désigne donc à proprement parler un noyau de droits essentiels et inaliénables de la personne humaine, valables en toute circonstance, sans possibilité de dérogation ; il peut s'agir de droits économiques, civils ou politiques. Le contrôle de leur respect implique pour sa part des pouvoirs de coercition le plus souvent liés à une structure étatique, ou supra-étatique. Dès lors, les droits et libertés ne peuvent être protégés efficacement que s’il existe des mécanismes efficaces et effectifs à la disposition des justiciables. Ces procédures sont la garantie de la protection réelle des droits. Elles sont à la fois internationales et nationales.

1. La protection constitutionnelle des droits fondamentaux

Créé en 1958, le Conseil constitutionnel avait à l’origine comme mission principale de veiller à ce que le Parlement respecte les limites du domaine de la loi instaurée par l’article 34 de la Constitution. Au fil de ses décisions, le contrôle de constitutionnalité se révélera comme un instrument de protection des droits fondamentaux. En France, la protection des libertés fondamentales est d'origine prétorienne. C'est le juge administratif qui s'est le premier imposé en tant que garant de la protection des droits de l'homme. Par la suite, le juge constitutionnel a amplifié ce mouvement en lui apportant une garantie plus forte : le statut constitutionnel.

1.1 Les mécanismes de protection offerts par le Conseil constitutionnel

La théorie distingue deux modèles de justice constitutionnelle, l’un développé aux Etats Unis au XIX siècle, l’autre né en Europe au XXème siècle. Aujourd’hui la plupart des pays européens mélangent les deux modèles, c’est le cas de la France.

1.1.1 Le contrôle de constitutionnalité par voie d’action

Le contrôle relève d’une juridiction spécialisée qui a le monopole du contrôle de constitutionnalité. Il se fait a priori mais de façon abstraite. Le contrôle par voie d’action présente l’avantage de la sécurité juridique puisque la loi est contrôlée avant son entrée en vigueur.

A. La nature du contrôle

Le contrôle de constitutionnalité par voie d'action découle de l’article 61 de la Constitution. Il s’agit d’un contrôle opéré avant la promulgation de la loi (a priori). Par exception, le Conseil peut examiner une loi déjà promulguée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine. Le contrôle ainsi effectué abstrait de la loi en dehors de tout contentieux, contrairement aux instances devant les juridictions judiciaires ou administratives qui se livrent à un contrôle concret.

B. Le mode de saisine

Dès l’origine, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République, le Premier ministre ou le président de l'Assemblée Nationale ou du Sénat. Depuis 1974, il peut aussi être saisi par 60 sénateurs ou 60 députés (cf. art. 61 de la Constitution de 1958). Ainsi, depuis 1974, le nombre de saisines a considérablement augmenté. Cela permet également à la minorité parlementaire de regagner sur le terrain juridique ce qu’elle a perdu sur le terrain politique. On relèvera encore que les lois référendaires ne peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. La loi adoptée par le peuple par référendum de l'article 11 de la Constitution, constituant « l'expression directe de la souveraineté nationale » n'est pas examinée par le juge constitutionnel (Cons. const., 6 nov. 1962, DC, Élection du Président de la République).

C. L’autorité des décisions

Les décisions de non-conformité conduisent à la censure totale ou partielle de la loi mais non à son annulation puisqu'elles sont prononcées avant la promulgation, acte juridique qui en assure l'application. Une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil peut soit être promulguée si les dispositions inconstitutionnelles ont été déclarées divisibles du reste de la loi, soit être abandonnée. Le Président de la République peut enfin demander une nouvelle délibération sur la loi (art 10c).

Les décisions s'imposent (ou doivent s'imposer) erga omnes aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Elles sont insusceptibles de recours (article 62c). « L'autorité absolue de la chose jugée » implique que le Conseil ne puisse statuer deux fois sur un même texte, ni (au moins en théorie) que les « pouvoirs publics et les autorités administratives et juridictionnelles » puissent contredire les décisions. Cette autorité ne s'attache pas seulement au dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire (décision 1962-18 L du 16 janvier 1962), et s'applique également dans le cadre du contrôle des traités (décision du 2 septembre 1992, 312 DC).

1.1.2 Le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception

Le contrôle par voie d’exception correspond au modèle nord américain. Il est effectué par les tribunaux ordinaires (contrôle diffus). Le contrôle est exercé concrètement à partir d’un contentieux et a posteriori Ce type d’action est né aux États-Unis. La Cour suprême exerce un contrôle constitutionnel élaboré par la jurisprudence Marbury v. Madison en 1803. Elle s'est octroyé le droit (qui n'était pas prévu dans la Constitution) d'apprécier la loi fédérale par rapport à la constitution. En 1810, elle s'est également attribué le droit d'apprécier la conformité des lois des Etats fédérés par rapport à la constitution. C'est, selon elle, une extension de sa mission de "dire le droit" et de trancher les litiges. Aux USA, le contrôle constitutionnel se fait par voie d'exception, c'est-à-dire qu'il ne se fait pas de droit mais c'est la Cour Suprême qui décide de se saisir d'une affaire qui l'intéresse. Lorsqu'une loi est déclarée inconstitutionnelle, elle n'est pas directement "annulée" mais plutôt "suspendue" dans son exécution. C'est ainsi un contrôle a posteriori de la loi, puisqu'elle doit être entrée en vigueur pour pouvoir subir ce contrôle.

Le contrôle par voie d’exception prend, en France, la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité. La question prioritaire de constitutionnalité a été introduite par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, mise en œuvre par la loi organique du 10 décembre 2009. La saisine par le simple citoyen du Conseil constitutionnel avait été évoquée le 14 juillet 1989 par le président de la République François Mitterrand. Toutefois, le Projet de loi constitutionnelle n° 1203 portant révision des articles 61, 62 et 63 de la Constitution et instituant un contrôle de constitutionnalité des lois par voie d'exception déposé à l'Assemblée nationale le 30 mars 1990 n'avait pas été adopté au Sénat. Ce n’est donc qu’à partir de 2008 que le contrôle a priori des lois a été complété par un contrôle a posteriori.

La question prioritaire de constitutionnalité permet à toute personne qui est partie à un procès de soutenir qu'une disposition législative déjà entrée en vigueur porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution lui garantit. La question est posée devant une juridiction de première instance, une cour d'appel ou encore en cassation. Cette question est alors examinée prioritairement. Si la juridiction est saisie de moyens qui contestent à la fois la constitutionnalité de la loi (question de constitutionnalité) et le défaut de conformité de cette loi aux traités et accords internationaux (exception d'inconventionnalité) la juridiction doit d'abord examiner la question de constitutionnalité.

Si la juridiction saisie estime que les moyens relatifs à la question prioritaire de constitutionalité sont sérieux et que la question n’a jamais fait l’objet d’un examen par le conseil constitutionnel, elle saisit et transmet la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Le Conseil d'État ou la Cour de cassation procède à un examen plus approfondi de la question prioritaire de constitutionnalité et décide de saisir ou non le Conseil constitutionnel.

Pour que le Conseil constitutionnel soit saisi, il faut réunir trois critères :

- la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites

- la disposition législative critiquée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel

- la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Une fois saisi, le Conseil constitutionnel doit juger la question prioritaire de constitutionnalité dans un délai de trois mois. Si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est conforme à la Constitution, cette disposition conserve sa place dans l'ordre juridique interne. La juridiction doit l'appliquer, à moins qu'elle ne la juge incompatible avec une disposition d'un traité international ou du droit de l'Union européenne.

En revanche, si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est contraire à la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel a pour effet d'abroger cette disposition. Elle disparaît de l'ordre juridique français.

Les juridictions ordinaires ne participent pas directement au contrôle de constitutionnalité des lois. En revanche, elles effectuent le contrôle de constitutionnalité des traités et des normes infra législatives selon des modalités que nous examinerons dans une autre partie.

1.2 L’œuvre du Conseil constitutionnel en matière de protection des droits fondamentaux

A l’origine, il n’existait aucune référence explicite aux droits fondamentaux dans le corpus constitutionnel. La première référence remonte à 1946 avec l’intégration dans la Constitution des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) ainsi que des principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNNT). Lorsque né le Conseil constitutionnel en 1958, l’idée de garantie des droits fondamentaux n’est toujours pas présente et le Conseil n’a vocation qu’à surveiller les égarements du pouvoir législatif

L’affranchissement du Conseil constitutionnel se fera par étapes. Le contentieux des droits fondamentaux ne prendra son essor qu'à partir de la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association qui élargit le bloc de constitutionnalité au Préambule. Le Conseil fait entrer dans la constitution la DDHC de 1789, et le Préambule de 1946. Il se dote ainsi d’une base nécessaire pour assurer la protection des droits et libertés dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. Par la suite, la réforme du mode de saisine du Conseil, opérée en 1974, a permis un accroissement considérable du nombre des lois soumises au juge constitutionnel avant leur promulgation ainsi qu'une extension corrélative du champ de du contrôle qui a pris des formes diverses. Ce mouvement est prolongé par l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité. Le juge constitutionnel français a été ainsi en mesure de dégager des normes de valeur constitutionnelle protectrices des droits fondamentaux des individus. L’action du Conseil s’avère nécessaire bien que contestée.

1.2.1 Une action nécessaire

La Constitution du 4 octobre 1958 ne comporte pas de catalogue ordonné des droits fondamentaux, le juge constitutionnel fait œuvre de création. Même si la Constitution renvoie directement aux droits et libertés, les droits fondamentaux ne sont pas figés. Par ailleurs le Conseil par ses arbitrages est amené à faire prévaloir des droits sur d’autres et parfois il en consacre certains comme plus importants que les autres qu’il qualifie de droits fondamentaux comme par exemple le principe d’égalité qualifié de fondamental dans une décision du 27 décembre 1973. Nous ne ferons pas ici le catalogue des droits protégés par la jurisprudence du Conseil mais nous soulignerons l’importance de son contrôle qui contraint le législateur dans l’élaboration de la loi. Par exemple, dans une décision du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel a annulé la loi de nationalisation des banques et de l'industrie en estimant que les modalités d'indemnisation des actionnaires qui avaient été retenues ne respectaient pas le principe du caractère juste de l'indemnisation posé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il a ainsi obligé le gouvernement à élaborer une nouvelle loi prévoyant une juste indemnisation des actionnaires.

Parmi les techniques de contrôle utilisées par le Conseil constitutionnel, la technique dite de « l'effet cliquet » tient une place à part. C'est à la fois une technique contentieuse mais aux effets tellement généraux qu'elle en devient aussi un type de décisions rendues par le Conseil, décisions de « refus d'abrogation » par lesquelles le Conseil refuse l'abrogation par le législateur de dispositions législatives. « L'effet cliquet » consiste, pour le Conseil constitutionnel, à déclarer une disposition législative nouvelle inconstitutionnelle au motif qu'elle ne maintient pas les garanties issues de règles constitutionnelles, qui existaient dans le texte ancien que la loi nouvelle est censée modifier ou remplacer. On parle « d’effet cliquet » parce que le Conseil n'admet des modifications à ces garanties constitutionnelles que dans le sens d'une plus grande protection. Le législateur ne peut donc les modifier que pour accroître les droits et libertés constitutionnellement protégés et non pour les restreindre. « L’effet cliquet » permet d'assurer une continuité de la protection constitutionnelle des droits et libertés et leur inscription dans les lois successives sans rupture ou amoindrissement.

1.2.2 Une action contestée

L’action du Conseil constitutionnel en matière de droits fondamentaux n’est pas exempte de critiques. En effet, le Conseil connaît des limites sur la procédure, sur la compétence et l’impartialité. On pourrait avoir des doutes sur la compétence des conseillers à cause des mécanismes de nomination. Les présidents de la République sont par exemple membres de droit. De plus, aucune compétence juridique n’est exigée et il existe un lien fort avec la politique d’où la crainte d’une impartialité.

2. La protection internationale de droits fondamentaux

La protection internationale des droits fondamentaux est principalement l’œuvre de la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne a également été amenée à participer à cette protection.

2.1 La protection offerte par la Cour européenne des droits de l’homme

La Cour Européenne des Droits de l’Homme, juridiction internationale indépendante créée à Strasbourg le 21 janvier 1959 par le Conseil de l’Europe pour faire appliquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Nous examinerons dans une autre fiche les droits contenus dans la convention. Elle a pour mission d'assurer le respect des engagements souscrits par les États signataires de Convention européenne des droits de l'homme (adoptée à Rome le 4 novembre 1950). Sa compétence s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses multiples protocoles additionnels.

2.1.1 Les attributions et la composition de la Cour

A. Les attributions

La Cour a une fonction contentieuse et une fonction consultative. Sa fonction contentieuse est la plus importante. Ses décisions déterminent si les Etats partis aux litiges dont elle est saisie ont ou n’ont pas commis de violations des droits garantis par la CEDH. Ses décisions sont toutefois, dépourvues de force exécutoire mais sont obligatoires.

Dans le cadre de sa fonction consultative, la Cour peut, à la demande du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, rendre des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et des 13 Protocoles qui l’ont complétée à partir de 1952.

B. La composition

La Cour se compose d'un nombre de juges égal à celui des États membres à la Convention soit 47 qui sont nommés pour 9 ans. Elle siège à Strasbourg.

Il existe 4 formations au sein de la Cour :

- Le juge unique qui statut sur la recevabilité de la requête

- Les Comités, composés de trois juges. Ils peuvent déclarer la requête recevable et statuer sur le fond de l’affaire si la demande est manifestement bien fondée.

- Les Chambres composés de 7 juges. Il s’agit de la formation de droit commun, auxquelles participe le juge de l’Etat partie au procès

- La Grande chambre qui est composée de 17 juges. C’est la formation la plus haute qui se réunit pour trancher les questions les plus importantes.

2.1.2 La procédure en vigueur devant la Cour

A. La recevabilité de la requête :

Pour qu’une requête soit recevable elle doit réunir 4 conditions :

- Concerner un droit garanti par la Convention

- que les voies de recours internes soient épuisées. Le requérant n’a plus de possibilité de recours dans son pays d’origine.

- Le recours doit être formé dans le délai de 6 mois suivant la date de la décision interne définitive

B. La solution de l’instance

Après un premier filtrage des requêtes par un comité de 3 juges pouvant décider l’irrecevabilité manifeste à l’unanimité, la Chambre effectue un examen plus poussé. Si la requête est jugée recevable, la Chambre tente une conciliation entre les parties. En l’absence de conciliation, la Chambre rend un avis sur le fond et si la Cour constate une violation de la Convention, elle peut accorder un « dédommagement équitable » à la partie lésée mis à la charge de l’Etat ayant méconnu les dispositions de la Convention. En cas de condamnation d’un Etat, ce dernier doit également tout entreprendre pour faire cesser la violation de la Convention. Cela peut passer par l’édiction d’une mesure individuelle au profit du requérant mais également la modification de la législation incriminée.

En théorie, l’arrêt de la Cour n’entraîne pas l’annulation ni la modification des décisions prises par les juridictions nationales. Les arrêts de la Cour sont revêtus de l’autorité de la chose interprétée.

Par ailleurs, de nombreux pays ont instauré une procédure de révision au niveau national. C’est le cas de la France par la loi du 15 juin 2000, sur demande d’un délai d’un an suivant l’arrêt de la Cour, toute personne reconnue coupable d’une infraction peut demander à une commission le réexamen de la décision pénale définitive à la condition que le préjudice constaté par le juge européen ne soit pas totalement réparé par le « dédommagement équitable ». Ainsi à de nombreuse occasion la loi française à du s’adapter aux exigences de la jurisprudence de la Cour.

2.2 La protection offerte pour la Cour de justice de l’Union européenne

Les autorités communautaires n'ont envisagé que tardivement la question des droits fondamentaux et de leur protection. Lentement, l'idée de protéger des droits fondamentaux définis a fait son chemin.

2.2.1 L’introduction de la notion de droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire

L’Europe communautaire avait vocation à s'épanouir économiquement et aucun des textes originels ne mentionne ce sujet. Mais les autorités communautaires ne pouvaient voir leurs pouvoirs s'accroître sans, en retour, reconnaître des pouvoirs aux sujets du droit communautaire. On ne pouvait exiger le respect de normes qui s'adressaient directement aux individus, les règlements communautaires, sans leur permettre de contrôler l'édiction de ces normes. La question de la protection des droits fondamentaux ne pouvait manquer de se poser dès lors que les institutions communautaires faisaient usage des pouvoirs qui leur avaient été attribués et prenaient des mesures susceptibles de léser les intérêts des particuliers. Les juridictions nationales tentaient de leur coté d’imposer les droits fondamentaux dans l’ordre communautaire. La Cour constitutionnelle allemande provoqua un coup de tonnerre en affirmant, dans son arrêt Solange I en 1974, que le droit communautaire n'aurait pas primauté sur le droit national allemand tant que la Communauté européenne n'aurait pas développé un système de protection des droits fondamentaux adéquat à celui prévu par la Loi fondamentale allemande. Si le Tribunal de Karlsruhe est, depuis, revenu sur cette position par un arrêt Solange II en 1986, la Cour constitutionnelle italienne se réserve toujours le droit de vérifier si les institutions communautaires respectent les principes fondamentaux de l'ordre constitutionnel italien (arrêt Granital, 8 juin 1984).

Dans un arrêt Rutili du 28 octobre 1975, La Cour fait même explicitement référence à la Convention européenne des droits de l’homme. Rédiger et faire adopter un texte impliquait nécessairement, tout au moins dans un cadre communautaire encore lié par la règle du vote à l'unanimité, de rechercher un consensus complet. La même difficulté se posé dès lors qu’il s’agissait pour l’Union d’adhérer à la CEDH. A défaut, donc, de pouvoir directement adhérer à la CEDH, rien n'empêchait la Cour de justice des Communautés de s'inspirer du contenu de cette Convention.

2.2.2 La pérennisation des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire

La Cour de justice des Communautés européennes, convaincue de protéger les droits fondamentaux, a en premier lieu tenté d'énoncer par voie prétorienne ces droits pour les intégrer de ce fait à l'ordre juridique communautaire. La Cour de Justice des Communautés européennes a énoncé, et consacre régulièrement, au gré des affaires qui lui sont soumises, des droits fondamentaux, soit issus de la CEDH, soit communs aux traditions constitutionnelles des Etats membres. Ainsi, la Cour a reconnu les principe de liberté d'association (8 octobre 1974, Union syndicale), de liberté d'association et les droits syndicaux (28 octobre 1975, Rutili), de liberté de religion (27 octobre 1976 Vivien Prais), le principe de non discrimination sexuelle (15 juin 1978, Defrenne), le principe de non rétroactivité des dispositions pénales (11 juin 1987 Pretore de Salo), l'inviolabilité du domicile (21 septembre 1989, Hoechst), la liberté d'expression et d'information (18 juin 1991, Elliniki), et d'autres. La liste n'est pas exhaustive et reste ouverte à de nouvelles formulations à venir par la Cour.

La consécration des droits fondamentaux dans l’ordre communautaire n’est pas exclusivement prétorienne. Le Traité sur l'Union européenne du 7 février 1992 réaffirme dans son préambule l'attachement des Etats membres aux principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales; et l’article 6 UE que : « l'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres en tant que principes généraux du droit communautaire ». Par ailleurs, le respect des droits fondamentaux est devenu une condition de fond de l'adhésion aux Communautés.

3. La protection des droits fondamentaux par le juge ordinaire

Le juge national est en première ligne pour assurer la protection des droits et libertés. Toutefois, le juge judiciaire est présenté comme le gardien naturel de libertés individuelles en raison des suspicions qui ont longtemps pesées sur le juge administratif. Aujourd’hui la suspicion à l’égard des juridictions administratives n’a plus lieu d’être.

3.1. Le juge judiciaire gardien naturel des libertés individuelles

L’article 66 de la Constitution prévoit que nul ne peut être détenu arbitrairement et que, l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, assure le respect de ce principe. Il résulte de ce principe que c’est à un magistrat d’autoriser les atteintes substantielles à la liberté individuelle, telle que la prolongation d’une garde à vue, une mesure de détention provisoire ….

De la même façon l’article 136 du Code de procédure pénale dispose que les atteintes portées à la liberté individuelle et au domicile doivent être sanctionnées par le juge judiciaire. Ainsi, lorsque l’administration porte une atteinte injustifiée à la propriété privée elle perd le privilège de juridiction dont elle jouit au profit de la juridiction administrative (théorie de l’emprise).

En outre, le Conseil constitutionnel associe la liberté individuelle aux autres libertés familiales ou du mariage, ce qui rejoint la compétence « par nature » attribuée au juge judiciaire en matière d’état des personnes par la loi ainsi compétence au juge judiciaire en matière de mariage, filiation, nationalité ou capacité.

3.2 Le rôle du juge administratif dans la protection des libertés

Le juge administratif peut statuer en matière de liberté à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir, permettant d’annuler un acte administratif. La technique des principe généraux du droit a ainsi permis au juge de développer un catalogue de normes propres à assurer la promotion des droits et libertés (cf les sources des libertés).

Par ailleurs il existe devant le juge administratif un recours spécifique et efficace en matière de protection des libertés, le référé-liberté. C’est une procédure récente puisqu’il n’existe que depuis la loi du 30 juin 2000. Cette procédure permet au juge des référés de prononcer, à l’encontre de l’administration, une injonction en vue de mettre fin à une atteinte portée à une liberté fondamentale. Il nous faudra examiner les conditions d’octroi d’une telle mesure avant d’envisager ses effets.

3.2.1 Les conditions d’octroi du référé-liberté

Le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour que le juge des référés il faut donc qu’un agissement de l’administration (et non un acte) :

- porte une atteinte grave à une liberté fondamentale (liberté de la presse, liberté d’aller et venir….). Il faut encore noter que le Conseil d’État a récemment érigé au rang de liberté fondamentale le principe de libre administration des collectivités territoriales (CE. Sect, 18 janvier 2001);

- et que cet agissement soit manifestement illégal.

3.2.2 Les effets de la mesure prononcée en référé

L’objet des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative est de confier au juge administratif un pouvoir d’injonction extrêmement vaste lorsqu’est en cause la sauvegarde d’une liberté fondamentale. La protection juridictionnelle immédiate des libertés est donc assurée par le juge, dans les quarante-huit heures, sans devoir se limiter à la suspension des effets d’un acte administratif : toute obligation, de faire ou de ne pas faire, peut être imposée par le juge des référés à l’autorité administrative, en vue de faire cesser l’atteinte à une liberté. Le juge peut ordonner à l’administration de mettre fin à une rétention administrative arbitraire ou encore d’assurer à deux candidats à une élection politique un temps d’antenne équivalent afin de respecter le pluralisme des opinions politiques…

3.3 Les droits applicables à la garantie juridictionnelle

Le juge est le garant des libertés mais ne peut l'être que si certaines obligations procédurales sont respectées. Le droit au recours et le droit au procès équitable sont les deux garanties formelles de la protection juridictionnelles des libertés.

3.3.1 Le droit au recours

Le droit au recours permet de faire valoir ses droits devant un juge. En cela, il s’agit d’une garantie essentielle pour les libertés. L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme proclame que « toute personne dont les droits et libertés reconnus, dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant les instances nationales ». S’il n’existe pas de recours effectif en droit interne le justiciable peut directement saisir la juridiction des droits de l’homme.

3.3.2 Le droit au procès équitable

Le droit à un procès équitable est principalement consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. En droit national on parle plus volontiers de droit de la défense ou de principe du contradictoire. Mais l’article 6 s’applique à toutes les procédures juridictionnelles civiles ou pénales. S’agissant des procédures civiles, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’il s’agit d’obligations de droit privé, qui ont un caractère patrimonial peu importe que le litige relève du droit civil ou du droit administratif.

L’article 6 de la Convention implique donc le respect de nombreuses garanties au profit du justiciable. Ces garanties sont encore renforcées en matière pénale.

a. Garanties générales

Les principales garanties découlant de l’article 6 de la Convention sont :

- Le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. Ce principe implique l’égalité des armes qui suppose que chacune des parties à l’instance ait une possibilité raisonnable de présenter sa cause. Cela implique également le respect du principe du contradictoire qui implique le droit de se voir communiquer et de pouvoir discuter toute les pièces présentées au juge.

- Le respect des règles de publicité. Les débats doivent être publics même si ce principe supporte des exceptions.

- La notion de délai raisonnable. Le juge doit se prononcer dans un délai raisonnable. Celui-ci varie en fonction de la nature et de la difficulté de l’affaire mais également en fonction du comportement des parties (en cas d’appel par exemple).

- Le droit à un juge impartial se défini comme l’absence d’idée préconçue sur l’affaire. Ce principe trouve de très nombreuses applications. Il implique par exemple que lorsque l’un juge a connu de l’affaire à un stade de la procédure, il ne peut en connaitre à nouveau au cour de la suite de l’instance.

- L’indépendance suppose que le juge ne supporte aucune pression de l’Etat, et qu’il n’ait aucun conflit d’intérêt entre lui et les parties à l’instance.

b. Garanties en matière pénale

En matière pénale un certain nombre de garanties supplémentaires peuvent être rajoutées. Le droit européen confère à la personne accusée un certain nombre de garanties spécifiques. Aux termes de l’article 6 de la Convention : toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

En outre, tout accusé a droit notamment à:

a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e. se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience.

En outre, l’article 7 de la Convention prévoit le principe de la légalité des délits et des peines : (ce principe est également inclus à l’article 7 de la Déclaration de 1789)

1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.

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