Par Nicolas Thill.
Dernière mise à jour : janvier 2020

La délégation constitue un mode d’organisation indispensable dans la boîte à outils du cadre.

Elle consiste pour un responsable à confier à un subordonné la réalisation d’objectifs élaborés en commun, en lui laissant une autonomie réelle quant aux moyens et aux méthodes, à l’intérieur d’un cadre défini, en l’assistant dans les difficultés rencontrées et en faisant le point sur les résultats dans le cadre de procédures de contrôle dont les modalités et la fréquence sont définies à l’avance.

A ce titre, la délégation est aussi un état d’esprit : elle participe d’une démarche de décentralisation et de confiance dans les relations de travail.

Remarques préalables :

  • Le délégant demeure co-responsable, avec le délégataire, de l’exécution de la tâche ou de l’exercice du pouvoir, mais s’interdit d’intervenir en dehors du processus de contrôle préalablement fixé.
  • La délégation est un contrat entre 2 personnes. A ce titre, elle peut prendre des formes relativement variées en fonction des contractants. L’important est que ce contrat soit clair et que le délégataire ait les moyens de s’acquitter de ses responsabilités.
  • En milieu administratif, il importe de distinguer :

- La délégation de signature qui ne modifie  pas  l’ordre  normal  des compétences (les actes signés par délégation sont réputés pris par le délégant)

- La délégation de responsabilités qui est le pouvoir d’instruire des dossiers

Dans une approche globale, déléguer c’est à la fois un état d’esprit et un moyen au service du management.

Il y a délégation lorsqu’on confie à un collaborateur des tâches qui sont de son niveau et que celui-ci accepte cette délégation.

La délégation constitue une nécessité pour le manager qui souhaite mettre en place une organisation de travail efficace et réactive, et ce pour au moins 3 raisons :

  • parce que le cadre ne peut plus tout faire et que cet aménagement de la prise de décision lui permet de dégager du temps, de prendre du recul ;
  • parce que les subordonnés demandent davantage d’initiative et de responsabilités et ne souhaitent pas être réduits à de simples exécutants passifs, mais des collaborateurs impliqués, plus créatifs, plus critiques ;
  • parce qu’il est indispensable de rapprocher la prise de décision du « terrain », autrement dit de l’échelon qui possède l’information et l’expérience nécessaire pour déterminer l’action à engager.

1 Obstacles, résistances et alibis qui freinent ou empêchent la pratique de la délégation

Sont listées ci-dessous des arguments souvent avancés par les cadres pour justifier de ne pas mettre en place une délégation.

  • parce qu’on craint de perdre son pouvoir
  • parce qu’on ne dispose pas des gens compétents et de confiance
  • parce qu’on a peur du risque ou du changement
  • parce qu’on veut imposer sa façon de travailler … ou qu’on ne souhaite pas changer ses habitudes de travail
  • parce qu’on a l’habitude de tout faire et de tout contrôler
  • parce qu’on a peur de ne plus rien avoir à faire
  • parce qu’on craint de voir les autres faire autrement, voire mieux, ce qu’on faisait soi-même auparavant
  • parce que les collaborateurs risquent d’avoir de nouvelles exigences
  • parce qu’on ne reconnaît aucun droit à l’erreur
  • parce qu’on ne sait pas, ne veut pas ou ne peut pas établir des contrôles effectifs sur les actions déléguées

2 Les avantages de la délégation pour les trois types d’acteurs

2.1 Pour le manager (le délégant)

  • il peut diminuer sa charge de travail et être plus disponible pour les tâches spécifiques liées à sa fonction
  • il établit entre lui-même et ses collaborateurs des liens de confiance
  • il utilise mieux les ressources de son équipe et produit une meilleure synergie
  • il associe ses délégataires lors du contrôle des résultats obtenus
  • il assume plus efficacement son rôle d’animateur d’équipe

2.2 Pour le collaborateur (le délégataire)

  • la délégation lui donne la possibilité d’acquérir des qualifications supérieures et de se former par une expérience professionnelle
  • elle constitue pour lui un élargissement et un enrichissement de ses tâches
  • bien faite, la délégation se vit comme une promotion personnelle et professionnelle
  • en utilisant plus pleinement les compétences du délégataire, la délégation accroît son engagement dans l’action et donc sa satisfaction personnelle.

2.3 Pour l'organisation

  • la  répartition  des  tâches  ne  découle  plus  uniquement  d’une  liste  de  postes, inscrite dans un organigramme immuable et impersonnel
  • la  délégation  contribue  à  la  souplesse  et  au  dynamisme  des  structures  de l’organisation (notamment par l’abaissement des points de décision)
  • les projets des individus et les objectifs de l’organisation sont plus intimement associés.

3 La préparation d’une délégation

3.1 Quoi déléguer ?

Bien distinguer les activités qui peuvent se déléguer de celles que le responsable doit conserver. En effet, un certain nombre de missions ne se délèguent pas sous réserve d’un abandon de responsabilité de la part du cadre : la définition des orientations fondamentales du service, la gestion des organisations et des hommes, l’arbitrage en cas de tensions majeures…

3.2 A qui déléguer ?

La plupart des cadres ne pensent qu’à déléguer vers un de leurs collaborateurs alors qu’il y a en fait 4 façons de déléguer :

  • déléguer vers le haut (à son supérieur).

Cela semble paradoxal de vouloir assigner une tâche à son supérieur hiérarchique, au risque de donner l’impression qu’on n’est pas compétent pour la traiter. Et pourtant il est conseillé de déléguer vers le haut dans un certain nombre de cas :

- quand une erreur pourrait être extrêmement coûteuse

- quand il s’agit de donner plus de poids à une action ou quand le problème que vous avez à résoudre est d’une importance ou d’une difficulté telle que votre autorité peut être mise en échec

  • déléguer vers le bas (à un collaborateur). C’est le cas le plus fréquent.
  • déléguer horizontalement vers l’extérieur de la collectivité.

Cela revient en fait à sous-traiter un problème à des spécialistes extérieurs à la collectivité, parce que la compétence ou le matériel ne sont pas présents au sein des services.

  • déléguer horizontalement vers un autre service de la collectivité, chaque fois qu’une compétence spécialisée ou pointue présente au sein de la structure est nécessaire.

Le délégataire doit avoir les qualités suivantes :

  • une personne compétente ou susceptible de la devenir par la formation
  • une personne à qui on fait confiance
  • une personne motivée qui demande des initiatives
  • une personne qui dispose du temps pour intégrer les nouvelles missions confiées.

4 Les phases clés de la délégation

Une délégation comporte généralement 5 phases :

4.1 Proposer la délégation

Une délégation ne s’impose pas.

C’est pourquoi il importe, à ce stade de l’entretien, de vérifier l’intérêt, la motivation que porte le délégataire à cette mission.

4.1.1 Définir le champ de la délégation

C’est à dire préciser au délégataire les limites de la délégation. Quelles sont les responsabilités qui lui sont confiées ? Jusqu’où peut-il aller ? Que peut-il faire ? A partir d’où doit-il en référer ?

Ces “ règles du jeu ” sont importantes car elles sont protectrices pour le délégataire et participent donc, d’une certaine façon, à le mettre en confiance. Cette phase permet également de préciser le niveau d’autonomie du délégataire pour mener à bien sa mission.

4.1.2 Définir l'objectif

Un objectif clair doit s’exprimer par un verbe d’action et comporter les qualités suivantes :

  • il est spécifique : c'est-à-dire adapté au mieux aux exigences et attentes de chacun. L’objectif doit répondre à un besoin de l’organisation, à un besoin ou un intérêt pour le responsable et doit être une occasion de progrès pour le collaborateur concerné.
  • il est mesurable en terme quantitatif ou qualitatif. Il faut pouvoir clarifier les indicateurs pertinents qui seront le signe que l’objectif est atteint. Mesurable peut donc se comprendre comme vérifiable ou observable.
  • il est échéancé dans le temps, c'est-à-dire assorti de délai et de procédures négociées de contrôle. Quelles sont les échéances ? Comment serons-nous certain d’être sur la bonne voie ?
  • il est réaliste c'est-à-dire atteignable. Le collaborateur doit avoir 80% de chances de réaliser son objectif. Il sent que l’objectif est à sa portée et, en même temps, cela lui demande un effort supplémentaire. Il s’agit bien de motivation et de négociation sur les moyens et les ressources nécessaires.

Ce dernier critère est important. En effet, un objectif trop facile ou, au contraire, trop ambitieux est par nature démotivant. En matière de délégation, il est souhaitable de définir ensemble l’objectif, plutôt que de l’imposer du haut de son statut de chef.

4.2 Négocier les moyens

Une fois l’adhésion du délégataire obtenue sur l’objectif à atteindre, il convient de négocier avec lui les moyens dont il a besoin pour mener à bien sa mission.

Ces besoins peuvent être de natures différentes :

  • besoins financiers,
  • besoins en équipement,
  • besoins personnels,
  • besoins d’informations,
  • besoins d’une formation dans un domaine précis.

Trop souvent encore, les délégataires négligent cette phase pourtant essentielle. Comment réussir une mission si l’on ne dispose pas des moyens nécessaires et suffisants pour être efficace ?

4.3 Définir le rôle de chacun

Il est essentiel que, au cours de l’entretien de délégation, le rôle du délégateur comme celui du délégataire soient bien définis.

Le responsable exprime clairement que la délégation suppose l’application du principe de coresponsabilité. Le délégataire sait ainsi qu’il n’est pas seul dans cette mission.

4.3.1 Le responsable s'engage à…

  • aider le délégataire en cas de difficultés, c’est-à-dire qu’il s’engage à s’organiser pour être disponible en termes de temps (porte ouverte en cas de difficultés)
  • appliquer concrètement le “ droit à l’erreur ”. Il importe que le hiérarchique exprime très clairement au délégataire qu’aucune sanction matérielle ou affective ne sera prise à son encontre en cas d’échec ;
  • laisser toute l’autonomie nécessaire au délégataire en termes de démarche à suivre, méthode à mettre en œuvre, initiative à prendre.

4.3.2 Le délégataire s'engage à…

  • mener à bien cette mission dans le temps imparti (négocier précédemment)
  • faire remonter en temps et en heure les difficultés importantes,
  • accepter les formes du suivi (qui seront négociées dans la phase suivante de l’entretien).

Cette clarification du rôle respectif des protagonistes représente un gage majeur de la réussite d’une délégation.

Le responsable peut vaquer l’esprit libre à ses autres activités.

Le subordonné se sent “ protégé ” et vit le suivi comme une occasion motivante d’aide et d’échange d’expérience plutôt que comme un contrôle rigoureux et tatillon.

4.4 Contrôler

4.4.1 Négocier les formes du suivi

Déléguer, c’est rester responsable. Le supérieur va donc devoir négocier les formes du suivi.

Pour ce faire, il doit, au préalable, s’être posé la question suivante : de quelles informations ai-je besoin pour suivre le déroulement de l’action, sans intervenir sur le processus ?

Une réponse claire à cette question lui permettra de négocier une forme de suivi adaptée à l’importance de la mission ainsi qu’au besoin du collaborateur.

Il convient de fixer des échéances régulièrement afin de créer un temps d’échange entre le manager et le collaborateur pour faire le point sur la mise en œuvre de la mission déléguée.

Exemple : débriefing tous les lundis de 9h à10h

Le suivi permet au responsable de faire le point par rapport à l’objectif, de constater, le cas échéant, les écarts par rapport à l’objectif et de remettre le collaborateur sur la bonne “ trajectoire ” en proposant des actions correctrices.

Bien entendu, en cas d’urgence ou d’imprévu, le subordonné doit déclencher lui- même la procédure de contrôle en informant au plus tôt son supérieur.

4.4.2 Définir des critères d'appréciation

Répondre ensemble à cette question : “ qu’est ce qui permettra de dire que nous avons réussi dans cette mission ? ” permettra aux deux interlocuteurs de trouver un accord sur les critères d’appréciation de la réussite.

Le délégataire connaît ainsi dès le début de la délégation les critères à partir desquels sa performance sera évaluée.

4.5 Evaluer

Quand la mission du délégataire est terminée, le responsable et son collaborateur établissent le bilan de l’expérience de délégation. Cette tâche est facilitée par l’existence des critères d’appréciation, définis au préalable. Chacun sait déjà ce qu’il en est.

L’objectif de cette étape est d’aboutir à un accord sur les points suivants :

  • quelles sanctions positives sont possibles ?
  • quelle suite donner à cette expérience positive ?
  • faut-il passer d’une délégation temporaire à une délégation permanente ?

Il est impératif que le responsable sache, à cette phase de l’entretien, reconnaître la “ paternité ” de la réussite de la délégation à son collaborateur.

Mettre en œuvre cette démarche c ‘est :

  • se donner les moyens de l’efficacité et de la réussite,
  • établir entre le hiérarchique et son collaborateur une relation de confiance irremplaçable, gage d’une collaboration future, simple, ouverte et fructueuse pour les deux interlocuteurs.

A travers cette présentation de la méthodologie de la délégation, nous pouvons constater que ce système d’aménagement de la prise de décision est peu compatible avec des organisations tayloriennes lesquelles valorisent exclusivement la responsabilité du chef, seul à même de pouvoir prendre les bonnes décisions pour l’organisation.

La délégation nécessite donc que l’organisation dans son ensemble soit suffisamment « adulte » pour entretenir des relations de confiance en lien avec les compétences de chacun de ses membres.

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