Par André Lafarie
Dernière mise à jour : décembre 2018

1. Les outils de maitrise foncière

Pour s'assurer la maîtrise du foncier, les acteurs publics peuvent choisir de procéder à des acquisitions et disposent pour cela de différents outils juridiques. Mais acquérir n'est pas forcément indispensable et des outils alternatifs existent.

1.1. Les outils d’acquisitions foncières

1.1.1. Les acquisitions amiables

Par principe, les collectivités doivent être mises en capacité d'acquérir à titre onéreux les biens nécessaires à leur fonctionnement et/ou à la satisfaction des besoins collectifs. Les acquisitions amiables sont ainsi l'outil le plus simple et le moins réglementé dans la mesure où les collectivités ne bénéficient pas de prérogatives spécifiques de puissance publique.

Le formalisme est ainsi très limité, avec simplement une délibération précédée d'un avis préalable des Services Fiscaux (obligatoire mais dont l'estimation ne s'impose pas aux collectivités).

Deux contraintes existent cependant : d'une part, il ne peut être procédé à des acquisitions à but principalement lucratif et les acquisitions effectuées ne doivent pas intervenir dans un domaine qui placerait la collectivité en concurrence avec les initiatives privées.

Pour autant, si cet outil est simple d'usage, il est soumis bien évidemment à l'accord des propriétaires, notamment sur le prix. Il doit sans doute être réservé à des acquisitions très progressives pour des projets non urgents et des réserves foncières à long terme.

1.1.2. Les droits de préemption

Des principes communs

De manière générale, le droit de préemption est une prérogative conférée aux communes (ou leurs délégataires) pour leur permettre de se substituer à un acquéreur éventuel à l'occasion de l'aliénation à titre onéreux d'un bien situé dans un périmètre prédéfini.

Dans ce cadre, on a assisté, depuis plusieurs années, à une extension progressive des objectifs assignés au droit de préemption, avec :

  • des objectifs classiques (actions ou opérations d'aménagement, réserves foncières),
  • des objectifs plus récents et novateurs (préservation de la diversité commerciale et artisanale, maintien des locataires dans les lieux).

Des modalités d'instauration différenciées

Il existe un principe commun, la nécessité d'une délibération de l'assemblée délibérante de la Collectivité ou de l'EPCI titulaire du droit, assortie de procédures de diffusion de l'information :

  • aux propriétaires concernés, avec des formalités d'affichage et de publicité,
  • aux partenaires de l'action publique, avec la notification au Directeur Départemental des Services Fiscaux, à la Chambre départementale des notaires.

Cette délibération fixe ainsi le champ d'intervention de ce droit, au travers de zonages délimitant les territoires soumis au droit de préemption. Selon les cas, il peut s'agir :

  • de tout ou partie des zones U et AU des PLU (pour le droit de préemption urbain),
  • des périmètres de Zones d'Aménagement Différé,
  • des périmètres d'intervention dans les espaces naturels sensibles et dans les espaces naturels et agricoles périurbains,
  • des périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité.

Chaque type de droit peut ensuite avoir des modalités d'instauration spécifiques et possède ses propres modalités de mise en œuvre.

Le Droit de Préemption Urbain

L'instauration du Droit de Préemption Urbain est simple, puisqu'il suffit d'une délibération du Conseil Municipal des communes dotées du PLU opposable, précisant les zones concernées (tout ou partie des zones U et AU) et qui n'est soumise à aucune obligation de motivation.

A l'intérieur des zones concernées, certaines opérations sont cependant exclues, par nature, de l'exercice du droit de préemption urbain, en l'occurrence :

  • les lots de copropriété,
  • les parts ou actions de sociétés immobilières,
  • les immeubles bâtis depuis moins de 4 ans (au lieu de 10 ans avant la loi ALUR),
  • les opérations d'intérêt national (en application de la loi Engagement National pour le Logement du 16 juillet 2006).

Depuis la loi ALUR, la cession d'une proportion majoritaire de parts de SCI n'est plus exclue du champ d'application du droit de préemption urbain.

Si la collectivité le souhaite, elle peut étendre son action aux opérations précitées en instaurant, sur certains secteurs, un Droit de Préemption Urbain Renforcé, ce qui suppose une délibération spécifique et motivée, soumise aux mêmes formalités de publicité, d'affichage et de notification.

L'exercice du DPU, qui appartient, en droit, à l'assemblée délibérante, s'accompagne de possibilités de délégation : au Maire ou au Président de l'EPCI compétent, à l'Etat, à un Etablissement Public d'Aménagement, à un Etablissement Public Foncier Local ou d'Etat, à un Etablissement Public d'Habitat, à un aménageur d'une opération d'aménagement (dans le cadre de cette opération et dans la limite du périmètre considéré), aux Chambres consulaires (au titre de leurs compétences).

La loi « Macron » promulguée le 6 août 2015 permet au titulaire du droit de préemption urbain (DPU) de déléguer ce droit, dans le cadre strict des opérations de logement, à une société d’économie mixte (SEM) de construction et de gestion de logements sociaux ou à un organisme d’HLM.

Chaque acquisition doit obligatoirement donner lieu à une motivation démontrant le respect des objectifs généraux ressortant de l'article L 210-1 du Code de l'Urbanisme en faisant référence à un équipement précis ou en démontrant, pour les réserves foncières, en quoi l’acquisition est nécessaire au regard des enjeux urbains du secteur.

► Le Droit de Préemption en Zone d'Aménagement Différé

Depuis la loi du 3 juin 2010 relative au grand Paris qui en a modifié le régime, la zone d'aménagement différé (ZAD) est un secteur où une collectivité locale, un établissement public y ayant vocation ou une Société d'économie mixte (SEM) titulaire d'une concession d'aménagement dispose, pour une durée de 6 ans renouvelable, d'un droit de préemption sur toutes les ventes et cessions à titre onéreux de biens immobiliers ou de droits sociaux. Le prix d'acquisition prend pour référence la date de création de la ZAD ou de son renouvellement (ce qui devrait permettre de limiter, au moins partiellement, la hausse des prix).

Son champ d'action est plus large que celui du DPU (instauration possible en milieux urbain, rural, naturel ou agricole, que la commune soit ou non dotée d'un document d'urbanisme ; les immeubles bâtis depuis moins de 4 ans sont soumis au droit de préemption en ZAD).

Par contre, sa création doit être effectuée par arrêté motivé du Préfet (qui doit démontrer un but d'intérêt général).

La loi ALUR permet aux EPCI à fiscalité propre compétents en matière de PLU de créer une ZAD par délibération motivée prise après avis des communes membres, l'avis défavorable d'une commune impliquant cependant le retour à la compétence du Préfet.

► Le Droit de Préemption dans les espaces naturels et agricoles périurbains

Depuis la réforme opérée par la loi relative au développement des territoires ruraux, le département a compétence pour mettre en œuvre une politique de protection et de mise en valeur de ces espaces.

Les périmètres d'intervention sont délimités par décret en Conseil d'Etat, ce qui permet ensuite de faire des réserves foncières à l'intérieur de ces périmètres par utilisation :

  • du droit de préemption déjà dévolu aux Départements dans les espaces naturels sensibles,
  • du droit de préemption des SAFER pour le maintien des activités agricoles.

Le Droit de Préemption pour la préservation de la diversité du commerce et de l'artisanat

Afin de permettre d'assurer la préservation de la diversité du commerce et de l'artisanat, en particulier le commerce de proximité, la loi du 2 août 2005 en faveur des PME a créé un nouveau droit de préemption qui a vocation à s'exercer sur des périmètres de sauvegarde délimités par délibération motivée.

Le fonds ainsi acquis peut ensuite être conservé pendant un délai d'un an avant rétrocession à un nouveau commerçant répondant à l'objectif de diversité recherché, ce qui ne va pas sans poser la question de la gestion du commerce par la collectivité pendant cette année, de la recherche d'un repreneur et des conséquences éventuelles d'absence d'un acheteur dans le délai d'un an.

En tout état de cause, cet outil doit être considéré comme une solution ultime et la réussite du dispositif est subordonnée à la mise en œuvre d'une stratégie globale de revitalisation commerciale propre à créer les conditions économiques de maintien des commerces de proximité.

​​​​​​​1.1.3. Les expropriations

Le droit d'expropriation permet aux collectivités de réaliser des acquisitions de manière autoritaire.

Définition et principes généraux

L'expropriation est une procédure qui permet à une collectivité (Etat, collectivité territoriale ou organisme assumant une mission de service public) de contraindre une personne privée, particulier ou société, à lui céder ses droits immobiliers sous réserve d'une « juste et préalable indemnité ».

Compte tenu de ce caractère contraignant et de l'atteinte au droit de propriété, sa mise en œuvre n'est possible que sous réserve de l'existence d'un projet ou d'un objectif d'utilité publique (cette qualification étant soumise au contrôle strict du Juge).

Afin de garantir les droits des propriétaires, elle s'inscrit dans le cadre d'une procédure lourde, longue et complexe. Elle débouche souvent sur des coûts d'acquisitions plus élevés que pour les autres outils, la « juste indemnisation » incluant la compensation du caractère autoritaire de l'acquisition et s'accompagnant de différentes indemnités accessoires.

La notion d'utilité publique

Dans les domaines d'intervention des collectivités publiques, la notion d'utilité publique s'appuie sur une présomption, qu'il s'agisse de la construction d'ouvrages publics et des acquisitions liées au fonctionnement des services publics, ou encore d'expropriations réalisées à des fins d'aménagement ou de protection de l'environnement.

La rétrocession à des tiers, même privés, des immeubles expropriés est possible dès lors que l'intérêt public est maintenu (cas classique de la rétrocession à des aménageurs privés intervenant dans le cadre de concessions d’aménagement par exemple).

Par contre, la qualification d'utilité publique fait l'objet d'un contrôle juridictionnel dans sa forme la plus aboutie (contrôle maximum), au travers du bilan Coût/avantages amenant le Juge à confronter l'intérêt public du projet d'une part, son coût en termes d'expropriations d'autre part.

Une procédure très stricte

L'expropriation ne peut être mise en œuvre qu'au terme d'une double procédure comportant une phase administrative permettant de constater l'utilité publique et de définir l'emprise foncière nécessaire puis une phase judiciaire liée au transfert de propriété et à l'indemnisation du préjudice.

La phase administrative s'appuie sur deux enquêtes publiques spécifiques (mais pouvant être conduites concomitamment) : une enquête préalable à la DUP (permettant au Préfet de recueillir l'avis sur l'utilité publique du projet) et une enquête parcellaire (permettant de déterminer les emprises strictement nécessaires, qui feront l'objet des expropriations, et d'estimer les coûts correspondants).

L'Enquête est diligentée par le Préfet et, à son issue, le Commissaire enquêteur rédige un rapport et des conclusions et avis dont la portée a été réduite de manière importante par la Loi Démocratie de Proximité du 27 Février 2002. En effet, « L'Utilité Publique est déclarée par arrêté ministériel ou par arrêté préfectoral » (Article L 11-2 du Code de l'expropriation). Cette nouvelle rédaction issue de la loi du 27 Février 2002 restreint la portée des conclusions et avis du Commissaire Enquêteur dans la mesure où, auparavant, un avis défavorable emportait nécessité d'un décret en Conseil d'Etat.

1.2. Les alternatives aux acquisitions publiques

1.2.1. Les outils de préservation foncière

Les périmètres de gel ou d'attente de projet

Ceux-ci peuvent être instaurés dans le cadre du PLU et aboutissent à une interdiction des constructions pour une durée maximale de 5 ans. Leur usage est strictement encadré par l'article L 151-41 du Code de l'Urbanisme.

► Les périmètres de prise en considération

Ceux-ci sont instaurés, à un stade pré-opérationnel, dans le cadre d'une délibération spécifique qui doit prendre en considération un projet (ce qui suppose des études suffisantes pour permettre d'en poser les objectifs) et aboutissent à surseoir à statuer sur les demandes d'autorisations d'occupation du sol dans l'attente de la mise au point définitive et l'approbation dudit projet. Leur usage est strictement encadré par l'article L 102-13 du Code de l'Urbanisme.

​​​​​​​1.2.2. Les stratégies partenariales

L'encadrement réglementaire des projets privés peut permettre l'atteinte des objectifs publics sans contraindre les collectivités à acquérir le foncier.

A ce titre, au-delà du règlement du PLU, la loi Engagement National pour le Logement du 16 Juillet 2006 a introduit un outil innovant avec les servitudes de mixité sociale, qui permettent aux collectivités de délimiter des secteurs dans lesquels, en cas de réalisation d'un programme de logements, un pourcentage de ce programme doit être affecté à des catégories de logements locatifs qu'il définit dans le respect des objectifs de mixité sociale.

2. La stratégie foncière

La stratégie foncière doit être envisagée dans une approche globale et anticipatrice. Sa mise en œuvre peut, là encore, s'appuyer sur des partenariats.

2.1. La nécessité d’une stratégie globale

Une politique foncière anticipatrice est pertinente pour limiter les effets spéculatifs, répartir les charges sur la durée et privilégier des outils de maîtrise foncière progressifs (donc moins traumatisants et moins coûteux).

La mise en œuvre d'acquisitions foncières ciblées peut être également un vecteur majeur de maîtrise de l'urbanisation. Acquérir, à titre de réserves foncières (c'est-à-dire dans une action anticipatrice à moyen/long terme), les parcelles présentant des enjeux importants sur des secteurs prioritaires permet, en effet, de disposer, à des coûts a priori plus raisonnables, d'un levier d'action pour la réalisation d'opérations publiques ou pour la concrétisation de futurs partenariats avec les opérateurs privés.

Les principes généraux

La mise en place d'une stratégie foncière adaptée et efficace suppose ainsi :

  • la détermination préalable d'une stratégie de développement et d'aménagement,
  • la mise en évidence de périmètres de veille foncière avec la déclinaison des différents outils aux étapes successives,
  • une politique volontariste assortie de moyens financiers et régulés dans le temps,
  • la mise en jeu, chaque fois que cela est possible, de partenariats public/privé,
  • une négociation prioritaire avec les grands propriétaires institutionnels,
  • une gestion des réserves foncières « en bon père de famille ».

Cette stratégie doit traduire le passage d'approches sectorielles et thématiques à une approche globale et à une mise en cohérence des stratégies des partenaires (développement durable et usage économe du foncier, développement commercial). Les nouveaux documents de planification (SCOT et PLU/PLH/PDU) constituent logiquement une base de référence pour l'action.

Le rôle des outils de planification

Les outils de planification peuvent avoir un impact direct sur le foncier :

  • en définissant  des principes ou des vocations qui influencent la valeur du foncier à la baisse (servitudes) ou à la hausse (ouverture à l'urbanisation),
  • en orientant, notamment de manière réglementaire, les évolutions possibles de ce foncier (règles de constructibilité) ou en la limitant, voire en l'interdisant (outils de préservation foncière).

Ils ont également un impact indirect en mettant en évidence des secteurs de projets susceptibles de donner lieu à une action foncière volontariste, constituant ainsi les bases d'un programme d'action foncière.

2.2. Les partenaires de la mise en œuvre de la stratégie

  • Dans la logique des stratégies partenariales déjà évoquées, les collectivités peuvent négocier avec le privé qui pourra ainsi, dans certains secteurs, assumer une partie de la charge des acquisitions foncières, comme c'est le cas notamment pour les projets urbains partenariaux (PUP).
  • Par ailleurs, afin de favoriser l'engagement d'opérations portées par le privé, la loi ALUR a créé les associations foncières urbaines de projets (AFUP). A l'origine, une association foncière urbaine (AFU) repose sur un accord entre différents propriétaires en vue de mettre en œuvre un projet reposant sur un remembrement ou un regroupement de parcelles. A ce titre, les coûts de l’aménagement sont pris en charge par les propriétaires, qui en retirent une valorisation financière de leurs terrains. La loi ALUR permet aux collectivités d'instaurer un périmètre de projet qui peut être assorti de mesures incitatives au montage de l'AFUP (avance de l'étude pré-opérationnelle, propositions de signature de convention de PUP...).
  • Dans le même esprit, la loi ALUR a créé les organismes de foncier solidaire (OFS), avec comme objectif d’offrir une alternative à la propriété privée du sol et de réguler l'inflation des prix de l'immobilier et les inégalités dans l'accès aux logements et aux territoires. L’OFS, dont la création doit être validée par le préfet de région, achète et conserve la propriété des terrains sur lesquels d’autres opérateurs construisent des logements qui seront ensuite vendus à des accédants à la propriété. Ce montage repose donc sur la dissociation entre le bâti et le foncier.
  • Parallèlement, pour réaliser les acquisitions publiques, les collectivités peuvent faire appel à un Etablissement Public Foncier (local ou d'Etat).

Ce type d'établissement a été créé par la LOV du 13 Juillet 1991 pour contribuer aux politiques de développement équilibré et de renouvellement urbain.

Ses principes de fonctionnement ont été clarifiés par la loi du 18 Janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale :

  • une intervention uniquement en matière foncière,
  • des activités inscrites dans le cadre d'un Programme Pluriannuel d'Intervention (PPI) complété par des conventions opérationnelles,
  • une contractualisation avec les collectivités membres au travers de conventions de portage foncier.

Le financement d'un EPFL est assuré par :

  • le produit de la Taxe Spéciale d'Equipement (taxe additionnelle aux impôts directs) qui peut être instaurée par son Conseil d'Administration dans la limite d'un plafond de 20€/habitant,
  • la contribution de l'article 55 de la loi SRU pour les communes n'appartenant pas à un EPCI,
  • des contributions de l'Etat, des Collectivités,
  • des concours de la Caisse des Dépôts et Consignations,
  • des dons et legs.

La loi ALUR encourage le développement des EPF locaux à l'échelle intercommunale, en allégeant les conditions d'adhésion des EPCI aux EPF locaux, seule la compétence PLH étant désormais obligatoire. Elle leur confère également de nouveaux moyens d'action avec la possibilité de délégation d'exercice du droit de priorité.

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