Par Éric Guérin : docteur en droit public
Dernière mise à jour : Octobre 2016

1. Origine et historique de la juridiction administrative

L’organisation des juridictions en France repose sur le principe de la dualité de juridictions. Il existe deux ordres de juridictions autonomes, l’un est compétent pour connaître des litiges concernant les particuliers, l’autre est compétent pour connaître des contestations portant sur l’action de l’administration. La dualité de juridictions telle qu’elle existe en France implique en outre la dualité des règles applicables aux particuliers et à l’administration. De façon plus générale, la dualité de juridictions traduit la singularité du contrôle juridictionnel de la puissance publique depuis que les révolutionnaires ont fait interdiction au juge ordinaire de connaître des affaires de l’administration. L’existence d’un privilège de juridiction au profit de l’administration a longtemps été contesté. En effet, certains juristes ne voyaient dans le juge administratif qu’un administrateur déguisé en juge. Aujourd’hui encore la dualité de juridictions continue de susciter des controverses. Le droit administratif tend de plus en plus à ressembler au droit privé. Dès lors, l’existence d’un ordre spécifique compétent pour connaître le contentieux généré par l’administration se trouverait menacé. Pourtant, la dualité de juridictions perdure. Celle-ci se trouve même renforcée depuis que le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé la juridiction administrative. La dualité de juridictions se trouve profondément enracinée dans notre organisation juridictionnelle. Cet enracinement résulte de la force des justifications anciennes et actuelles qui fondent l’existence d’une juridiction administrative autonome.

1.1 Les fondements de la dualité de juridiction

Ce sont des justifications politiques et non juridiques qui expliquent l’existence d’une juridiction administrative à coté des juridictions judicaires. La justification donnée à la dualité de juridiction repose toutefois sur la séparation des pouvoirs. Juger l’administration n’est pas un acte de justice ordinaire. Juger l’administration c’est encore administrer. Dès lors, au nom de la séparation des pouvoirs il convient de formuler la séparation des deux ordres de juridiction (administratif et judicaire). Cette justification bien que contestable a le mérite de soustraire l’action de l’administration au contrôle du juge ordinaire pour la placer sous le regard d’une juridiction spéciale. Cette interprétation s’explique en France pour des raisons historiques. Les hommes de la révolution se méfient du pouvoir judiciaire en souvenir de l’obstruction des Parlements d’ancien régime.

Cette idée de l’indépendance de l’administration vis-à vis du pouvoir judiciaire est apparue essentiellement comme la première conséquence de la séparation des pouvoirs. Cette conception française primitive s’est exprimée dans la célèbre loi des 16-24 août 1790 et dans le décret du 16 fructidor an III « les fonctions judicaires sont et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». Le principe de séparation des autorités administratives et judicaire est formulé.

Par la suite à dualité de juridiction va se développer et se combiner à la séparation de la juridiction et de l’action (c'est-à-dire de la fonction d’administrer et de celle de juger). Ainsi ce mouvement va permettre à la juridiction administrative de devenir un véritable ordre de juridictions (cf infra). 

1.2 Les étapes de la formation de la dualité de juridictions

A l’origine, la juridiction administrative n’existe pas. Non seulement il n’existe pas d’organe compétent pour juger l’administration, mais en outre les textes révolutionnaires (Loi du 16-24 août 1790 et Décret du 16 fructidor an III), font interdiction au juge judiciaire de connaître des affaires de l’administration ou de citer à comparaître un fonctionnaire. L’administration bénéficie donc d’une immunité de Juridiction.

Progressivement, va émerger au sein même de l’administration une activité particulière qui consiste à trancher les litiges. Cependant, cette fonction, bien que contentieuse, est toujours considérée comme une tâche administrative et non comme juridictionnelle.

La première étape consistera donc à séparer la juridiction administrative (l’administration qui tranche les litiges), de l’administration active (l’administration qui agit et prend les décisions). La première étape de la construction d’un véritable ordre de juridictions administratives, passait donc par la séparation de la juridiction et de l’action. De ce mouvement devait logiquement en découler un autre, la séparation des deux ordres de juridictions.

1.2.1 La séparation de la juridiction et de l’action

A l’origine « juger l’administration c’est encore administrer ». Un tel système conduit inévitablement à la confusion des fonctions, puisque c’est l’administration qui se juge elle-même (A). Ce système fortement critiquable dans un État de droit ne sera toutefois abandonné qu’en 1872 par une loi du 24 mai qui consacre le principe de séparation de la juridiction et de l’action en permettant le passage de la justice retenue à la justice déléguée (B).

A - La confusion des fonctions

Dans le système de confusion des fonctions administratives et juridictionnelles, c’est l’administration qui est responsable pour se juger elle-même. En dernier lieu c’est le ministre compétent qui tranche le litige. Cette pratique est connue sous le nom de « théorie de l’administrateur juge ». Progressivement la croissance des contentieux nés de l’action de la puissance publique oblige l’administration à se spécialiser. La spécialisation des fonctions commence avec la Constitution du 28 pluviôse an VIII qui crée le Conseil d’État et les Conseils de préfecture, qui deviendront les tribunaux administratifs en 1953. Cependant, le Conseil d’État n’a qu’une fonction consultative. Il ne rend par d’arrêts. Par ailleurs, il n’y a pas entre l’administration et les organes spécialisés dans le contentieux de séparation organique. Les conseils de préfecture sont présidés par les préfets de chaque département. En 1848, avec la seconde République, le Conseil d’État acquiert une fonction contentieuse. Il peut rendre des arrêts mais seulement dans le cadre de la justice retenue. C’est-à-dire que ses décisions sont soumises à l’approbation du chef de l’État, au nom de qui la justice est rendue. Il n’y a donc toujours pas de véritable indépendance de la juridiction administrative.

B - Le passage à la justice déléguée

Le véritable changement viendra de la loi du 24 mai 1872 qui consacre l’abandon de la justice retenue pour confier au Conseil d’État la justice déléguée. Le Conseil d’État devient alors une cour souveraine. Ainsi, à une distinction fonctionnelle (qui consiste à séparer deux tâches : juger et administrer), s’ajoute une distinction organique (il n’y a plus de lien entre l’administration et son juge). Dans le prolongement de la loi du 24 mai 1872, le Conseil d’État abandonnera la théorie de l’administrateur juge, qui faisait obligation au justiciable de saisir de sa requête le ministre compétent avant de s’adresser au juge. Par voie de conséquence, l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889, fait des Conseils de préfecture les juges du premier degré de l’ordre de juridictions administratives.

1.2.2 La séparation des deux ordres de juridictions

L’abandon du système de confusion des fonctions a permis en 1872 l’émergence d’une juridiction administrative indépendante de l’administration (même si certains doutent encore de cette indépendance). A partir de cette date, les juridictions administratives vont se constituer en ordre de juridiction construit sur le modèle de la juridiction judiciaire. Cette construction sera achevée une fois que les conseils de préfecture sont devenus les tribunaux administratifs, et qu'à partir de 1987, le législateur a créé des cours administratives d'appel.

1.3 La justification contemporaine de la dualité de juridiction

Le principe de la séparation des pouvoirs à l’origine de la dualité de juridiction n’est plus aujourd’hui le fondement de l’existence de la juridiction administrative. La méfiance à l’égard du juge judicaire ayant disparu il a fallu trouver d’autre fondement à l’existence d’un ordre de juridiction administrative autonome. La justification actuelle du principe repose davantage sur l’autonomie du droit administratif. Celui-ci constitue un ensemble de règles autonomes qui justifient le maintien d’une juridiction spécialisée. En élaborant un ensemble de règles singulières à la fois dans leur esprit et dans leur contenu, la juridiction administrative s’est rendue indispensable. Toutefois, sous l’influence du droit communautaire et du droit européen les solutions du droit administratif ont tendance à se rapprocher de celles du droit privé. Cela est particulièrement remarquable dans la procédure administrative contentieuse ou dans le droit des contrats. Toutefois, un ensemble de décisions juridictionnelles et une révision de la Constitution semblent consacrer durablement l’existence de la juridiction administrative.

1.3.1 La décision du 23 janvier 1987

Par une décision du 23 janvier 1987, relative à une loi transférant le contentieux du Conseil de la concurrence aux juridictions judiciaires, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il existait un principe constitutionnel consacrant l’existence d’une juridiction administrative et d’une compétence constitutionnelle réservée. Cette constitutionnalisation est d’autant plus importante que les rédacteurs de la Constitution du 4 octobre 1958, avait oublié la juridiction administrative. La seule référence faite au Conseil d’État par l’article 38, ne concernait que les fonctions consultatives de la haute juridiction. Cet oubli était d’autant plus gênant que la Constitution consacre un titre entier à la juridiction judiciaire (titre VIII, articles 64 à 66 intitulés de l’autorité judiciaire). Dans une première décision du 22 juillet 1980 le juge constitutionnel désigne par un terme unique les deux ordres de juridiction, refusant de faire une distinction entre le juge judiciaire et le juge administratif. Par la décision du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel se montre plus explicite.

1.3.2 La révision constitutionnelle de 2008 et la décision du 3 décembre 2009

Par une décision du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel examinant la loi organique qui organise la question prioritaire de constitutionnalité, prévue par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a pris acte du système de filtrage des recours confiés à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel ne se limite pas, comme dans sa décision de 1987, à consacrer la nature d’un contentieux administratif, mais admet l’existence organique des juridictions administratives.

2. L’organisation de la juridiction administrative

L’ordre de la juridiction administrative comprend le Conseil d’État et l’ensemble des tribunaux administratifs et depuis 1987 des cours administratives d’appel. D’autres juridictions administratives ont un caractère spécialisé, tel que la Cour des comptes ou la Cour de discipline budgétaire. En raison du caractère spécialisé de ces juridictions l’étude de leur fonctionnement et de leurs compétences ne sera pas traité dans cet ouvrage. Les juridictions administratives doivent donc s’entendre dans un sens étroit, limité aux seules juridictions qui possèdent une compétence générale pour connaître le contentieux administratif. Par soucis de clarté nous traiterons les trois niveaux de juridiction en partant du premier degré (les tribunaux administratifs), pour finir par la juridiction suprême (le Conseil d’État).

2.1 Le Conseil d’Etat

Le Conseil d’État existe depuis la Constitution de l’an VII. Depuis, sont organisation et son fonctionnement ont été modifiés. La loi du 30 juin 2001, qui a codifié le Code de justice administrative, est la dernière loi régissant son organisation et son mode de fonctionnement. Si en de nombreux points le fonctionnement du Conseil d’État ressemble à celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ce dernier présente la singularité d’avoir deux missions. L’une est contentieuse et consiste à rendre des arrêts en appel des arrêts rendus par les cours administratives d’appel, l’autre est consultative ou administrative et consiste à rendre des avis. De cette dualité fonctionnelle découle une organisation originale, puisque le Conseil d'État est composé d'une section contentieuse, et de sections administratives. Cependant, cette organisation se heurte à la conception que se fait la Cour européenne des droits de l’homme, qui se montre particulièrement exigeante au regard du droit à un tribunal impartial. En particulier, il est fait interdiction à un conseiller d’Etat ayant siégé dans une formation administrative de connaitre d’une même affaire devant la section du contentieux. Il existe donc des règles qui permettent d’éviter au même conseiller de siéger pour une même affaire dans une section administrative et devant la section du contentieux. En outre, le décret du 6 mars 2008 est venu marquer plus nettement la séparation entre les deux formations.

2.1.1 La section du contentieux du Conseil d’État

La section du contentieux du Conseil d’État est celle qui joue le rôle de juridiction administrative suprême. Elle est compétente pour connaître les appels dirigés contre les arrêts des cours administratives d’appel et directement les recours dirigés contre les décisions les plus importantes des ministres. La section du contentieux comprend elle-même plusieurs sous-sections (il y en a actuellement 10). Mais pour les affaires les plus importantes, la juridiction peut choisir de se réunir dans une formation plus solennelle. La formation la plus élevée du Conseil d’État est appelée l’assemblée du contentieux

En outre, la section du contentieux est compétente pour connaitre en premier et dernier ressort de certains contentieux :

1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ;

2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ;

3° Des litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du Président de la République ;

4° Des recours dirigés contre les décisions prises par les organes de certaines autorités, tel que, l'Agence française de lutte contre le dopage, l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers, l'Autorité de sûreté nucléaire ….

5° Des actions en responsabilité dirigées contre l'Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative ;

6° Des recours en interprétation et des recours en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat ;

7° Des recours dirigés contre les décisions ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques

2.1.2 Les sections administratives du Conseil d’État

Les sections administratives sont au nombre de 6 depuis 2008. Cinq d’entre elles ont vocation à émettre des avis à destination du gouvernement en fonction de compétence sectorisées. Il existe ainsi, la section de l’intérieur, la section des finances, la section des travaux publics et la section sociale et la section de l’administration créé par un décret du 6 mars 2008. La dernière des sections du Conseil d’État est appelée la Section du Rapport et des Études. Considérée comme une section administrative, ses missions relèvent à la fois des activités administratives de l’institution et de sa fonction contentieuse. La section occupe une place charnière au sein de la haute juridiction administrative. En effet, la section possède trois catégories de mission :

- Elle est chargée d’élaborer des rapports et de procéder à des études lorsque le

Premier ministre le lui demande.

- Elle est compétente pour s’assurer que l’administration exécute régulièrement les décisions rendues à son encontre par les juridictions administratives.

- Elle élabore un rapport annuel destiné à informer le gouvernement sur l’activité du Conseil d’État. Il faut en dernier lieu remarquer que le Président du Conseil d’État n’est autre que le Premier ministre. Toutefois, dans la réalité ce dernier ne préside la haute juridiction que dans les instances solennelles. Le Vice-président fait fonction de Président effectif.

2.2 Les Cours administratives d’appel

Les cours administratives d’appel ont été créées par la loi du 31 décembre 1987, afin d’alléger la charge du Conseil d’État. Il s’agit d’une innovation particulièrement importante puisque, pour la première fois, l’ordre administratif comporte trois échelons de juridictions. Les cours administratives d’appel sont au nombre de 8 et leurs sièges se trouvent à Bordeaux, Douai, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Paris et Versailles. Leur mode de fonctionnement est en tout point comparable à celui des tribunaux administratifs.

Les cours administratives d'appel sont désormais compétentes pour connaître de la très grande majorité des appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs. Seuls relèvent encore de la compétence du Conseil d'État les appels en matière de recours sur renvoi de l'autorité judiciaire ainsi que sur les litiges relatifs aux élections municipales et cantonales.

2.3 Les tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs sont les anciens Conseils de préfecture. Il existe sous cette appellation depuis une réforme de 1953, date à laquelle ils sont devenus les juridictions de droit commun de l’ordre administratif. Depuis 2001, l’ensemble des règles qui déterminent la composition, le fonctionnement et la compétence des tribunaux administratifs sont contenues dans le Code de justice administrative.

2.3.1 Composition des tribunaux administratifs

Il existe en France métropolitaine 42 tribunaux administratifs à compétence régionale. À l’exception de Paris, chaque juridiction est divisée en chambres (six chambres pour les juridictions les plus importantes). La juridiction compétente pour le ressort de la capitale est, en raison de son importance, divisée en sections, elles-mêmes divisées en chambres. Chaque tribunal est composé de magistrats, qui pour une part importante sont recrutés par la voie de l’École Nationale d’Administration. Les magistrats de l’ordre administratif sont appelés des conseillers.

L’organe normal de jugement est la chambre. Le tribunal siège collégialement (trois magistrats). Cependant, par exception, et en raison de l’urgence de certaines situations, un magistrat peut statuer seul. En outre, dans chaque affaire un conseiller assure la fonction de commissaire du gouvernement. Ce dernier, contrairement à ce que laisse supposer son appellation n’a pas pour fonction de représenter les intérêts de l’administration. Il a pour mission de proposer au tribunal une solution que celui-ci pourra suivre ou pas.

2.3.2 La compétence des tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs, sont juges de droit commun du contentieux administratif. Cela signifie que le contentieux des décisions de l’administration et les actions en responsabilité engagées contre la puissance publique relèvent d’abord de sa compétence. Seuls les actes réglementaires des ministres (acte ayant une portée générale), et les actes réglementaires des organismes à compétence nationale relèvent directement du Conseil d’État.

2.4 Les juridictions spécialisées

A coté des juridictions administratives ordinaires il existe un grand nombre de juridictions qui exercent une compétence d’attribution spéciale. Ces juridictions spéciales relèvent toutes du contrôle de la juridiction administrative. On peut siter à titre d’exemple et de façon non exostive, la Cour de discipline budgétaire, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil supérieur de l’éduction nationale, les juridictions ordinales (conseil de l’ordre des médecins, ….)…..

3. Les compétences de la juridiction administrative

Dès lors qu’il existe deux ordres de juridictions vient se poser la question de la délimitation de leurs compétences respectives. Cette question suppose d’une part qu’il existe des critères et des règles permettant de déterminer les compétences respectives de chaque ordre de juridictions, et qu’il existe un organe et des procédures permettant de trancher les éventuels conflits de compétence. La question de la juridiction compétente est doublement importante, car si elle détermine l’organe chargé de résoudre le litige, elle détermine également le droit applicable à ce litige. Le juge judiciaire appliquera les règles du droit privé, alors que le juge administratif appliquera les règles du droit administratif.

3.1 Les règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions

D’une façon générale, on peut dire que le juge administratif est le juge de droit commun de l’activité de l’administration, alors que le juge judiciaire est le juge naturel de l’activité des particuliers. La règle veut que la compétence suive le fond, en vertu de laquelle les litiges mettant en jeu le droit administratif relèvent du juge administratif, tandis que ceux relevant du droit privé sont de la compétence du juge judiciaire. Normalement donc toute action dirigée contre l’administration relève de la compétence de la juridiction administrative et toute action dirigée contre des particuliers relève du juge judiciaire. Le juge constitutionnel a en outre, instauré un domaine réservé et irréductible au profit des juridictions administratives. Cependant, chaque fois que la ligne de répartition des compétences n’est pas clairement établie par le législateur, il incombe au juge d’établir des critères de répartition des compétences. La liste des compétences établies ici n’est cependant pas limitative.

A. Consécration constitutionnelle d'une "réserve" de compétence au profit du juge administratif

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 23 janvier 1987 "Conseil de la concurrence", a consacré au profit de la juridiction administrative une compétence exclusive et irréductible pour connaître des recours en annulation ou en réformation, d'actes de puissance publique émanant d'autorités et d'organismes publics.

Au contraire la même décision le Conseil constitutionnel précise que certaines matières relèvent "par nature" de la compétence du juge judiciaire. Il en va ainsi pour ce qui a trait à la protection de la propriété privée immobilière contre les atteintes les plus importantes de la puissance publique à la protection de la liberté individuelle (puisque le juge judiciaire en est le gardien naturel).

B- La compétence est déterminée par la loi

Dans un certain nombre de situations la loi attribue la compétence de trancher telle ou telle catégorie de litige, à un ordre de juridiction ou à un autre, sans que l'on puisse dire que cet ordre de juridiction est, par nature plus compétente.

1. La compétence revient au juge administratif

- En matière de travaux publics, la loi du 28 pluviôse an VIII prévoit que le juge administratif est compétent pour recevoir les actions intentées par des particuliers contre les entrepreneurs ou concessionnaires de travaux publics.

2. La compétence revient au juge judiciaire

- Certaines compétences sont réservées au juge judiciaire en vertu de la Constitution. L’article 66 de la Constitution prévoit que l’autorité judiciaire est la gardienne naturelle des atteintes à la liberté individuelle et à la propriété immobilière. En matière d’expropriation par exemple, si le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité d’une déclaration d’utilité publique (il s’agit d’un acte administratif), le juge judiciaire est compétent pour déterminer le montant de l’indemnisation.

- Le juge judiciaire est compétent pour toutes les questions touchant à l’état des personnes.

- Le juge judiciaire est également compétent par application de la loi pour régler les litiges mettant en cause la responsabilité de l’administration lorsqu’est impliqué un véhicule de l’administration (loi du 31 décembre 1957).

- Les juridictions de l'ordre judiciaire sont compétentes pour connaître de toutes les affaires relatives aux droits de douane

- Le juge judiciaire est compétent en matière de propriété privé et de protection des libertés en application de l’article 66 de la Constitution.

- La cour d'appel de Paris - le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, ou encore celui de certaines décisions de l'Autorité des marchés financiers et de certaines décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques et postales.

C - La compétence est déterminée par un critère jurisprudentiel

Nous avons pu constater dans la partie de cet ouvrage consacrée à la notion de service public, combien cette notion était fondamentale dans la construction du droit administratif. Il est donc logique de la retrouver comme critère déterminant dans la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Pendant la période qui va de la fin du XIXème siècle au début du vingtième siècle, le droit administratif était considéré comme le droit des services publics. Toute l’activité de l’administration des services publics se trouvait donc soumise à la compétence du juge administratif.

Toutefois, pendant la période qui va de la Première guerre mondiale jusqu’aux années soixante, la notion de service public va subir une mutation fondamentale qui conduit à repenser la notion de service public comme critère de répartition des compétences. Dans un arrêt du 22 janvier 1921 Société commerciale de l’ouest africain, le Tribunal des conflits a admis la compétence du juge judiciaire, lorsque l’activité de service public peut se rattacher à une activité privée. Il existe d’autres critères permettant de déterminer l’ordre de juridiction compétent, tirés de la gestion publique ou de la notion de puissance publique, mais le critère du service public est sans nul doute le plus fondamental.

1. La compétence revient au juge administratif

- Le juge administratif est naturellement compétent pour trancher les litiges qui touchent au fonctionnement et à l’organisation des services publics administratifs.

- Le juge administratif est compétent pour statuer sur la légalité d’un acte administratif. Le juge judiciaire est incompétent pour interpréter et annuler un acte administratif. Sous certaines conditions, les personnes privées peuvent édicter des actes administratifs, qui sont alors soumis à la compétence du juge administratif (voir la partie sur les actes administratifs unilatéraux).

2. La compétence revient au juge judiciaire

- La compétence pour juger l’administration revient au juge judiciaire lorsque l’administration a commis une voie de fait. Il y a voie de fait lorsque l’administration porte une atteinte particulièrement grave à la propriété privé ou à une liberté fondamentale. Dans ce cas, en raison de la gravité et de la brutalité de son acte, l’administration perd son privilège de juridiction.

- En matière de gestion des services publics industriels et commerciaux.

- Lorsque les activités de l’administration sont étrangères au service public notamment dans la gestion du domaine privé.

- Pour le fonctionnement du service public de la justice judiciaire, le juge administratif ne saurait s’immiscer dans les affaires de l’autre ordre de juridiction. Il semblait donc normal de confier au juge judiciaire les contentieux nés de son propre fonctionnement.

- La jurisprudence "Septfonds" (T. confl., 7 juin 1923) donne compétence au juge judiciaire pour interpréter un acte administratif réglementaire. En revanche, ce même pouvoir lui est refusé s'agissant d'un acte individuel tout comme il lui est impossible d'apprécier la légalité de tout acte administratif, réglementaire ou individuel (T. confl., 2 juin 1910).

- En matière pénale, l'article 111-5 du Code pénal, reprenant et clarifiant la jurisprudence antérieure, donne compétence au juge judiciaire pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité, "quand de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis" .

- D’une manière générale le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles et de la propriété privée.

3.2 Le règlement des conflits de compétence

Les règles de répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et administratives, telles qu’elles ressortent de la présentation du paragraphe précédent, sont assez complexes. Les difficultés de compétences pouvant résulter de ces règles sont en dernier lieu, si les deux ordres de juridictions sont en désaccord, tranchés par une juridiction spécialement créée à cet effet, le Tribunal des conflits. Le tribunal des conflits, créé par la loi du 24 mai 1872, est un organisme paritaire. Il est composé pour moitié de membres de la cour de cassation et pour l’autre moitié de membres du Conseil d’État. Son président est le garde des sceaux, celui-ci toutefois, ne siège que lorsque la juridiction ne parvient pas à se départager.

Le tribunal des conflits peut être saisi lorsque les deux ordres de juridiction se reconnaissent compétents (conflit positif), ou si les deux ordres de juridictions se déclarent incompétents (conflits négatifs). Une troisième procédure dite de prévention des conflits, permet au juge administratif ou au juge judiciaire de saisir directement le tribunal des conflits, lorsque la juridiction saisie de l’affaire a un doute sur sa compétence. Dans tous les cas, le Tribunal des conflits ne tranche pas l’affaire sur le fond. Il se contente de désigner le juge compétent.

Dans le cas d’un conflit positif, le juge judiciaire est saisi à tord. Dans ce cas le préfet adresse à la juridiction un déclinatoire de compétence lui demandant de reconnaitre son incompétence. En cas de refus, le préfet élève le conflit et informe le garde des sceaux qui saisira le Tribunal des conflits en vue de déterminer l’ordre de juridiction compétent.

En cas de conflit négatif c'est-à-dire lorsque les deux ordres de juridictions se sont déclaré incompétent, le justiciable saisi lui-même le tribunal des conflits qui devient compétent pour régler la question sur le fond.

La justice administrative : Les recours en vigueurs devant les juridictions administratives

Il existe, principalement, devant les juridictions administratives deux catégories de recours : le recours pour excès de pouvoir et les recours de plein contentieux. Alors que le recours pour excès de pouvoir a pour objet de sanctionner l’illégalité qui entache un acte administratif, les recours de plein contentieux visent le plus souvent à obtenir la condamnation de l’administration. Ces deux voies juridictionnelles se distinguent à la fois par les questions qui sont posées au juge et par les pouvoirs dont dispose celui-ci pour remplir son office. Les autres recours en vigueur devant les juridictions administratives sont marginales et ne seront évoqués que dans un souci d’exhaustivité. En revanche, les procédures d’urgence dites « de référé » seront succinctement abordées.

1 - Les principaux recours contentieux

La structure du contentieux administratif repose sur une architecture ancienne (et parfois remise en cause) qui consiste à distinguer le recours pour excès de pouvoir (1.1) des recours de plein contentieux (1.2). Nous respecterons cette logique pour présenter la structure du contentieux administratif contemporain.

Il convient, toutefois, de relever que les différends administratifs trouvent parfois leur solution au travers de modes alternatifs de règlement tel que l’arbitrage (qui est un mode juridictionnel mais non étatique de règlement des litiges), les recours administratifs, la conciliation, le recours au Médiateur …

1.1 Le recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est l’un des principaux titres de gloire du juge administratif, puisque c’est à partir de la Monarchie de juillet que le Conseil d’État a imaginé les conditions dans lesquelles il assurerait le contrôle de l’activité de l’administration. Par la suite, la loi du 24 mai 1872 a donné au recours pour excès de pouvoir une assise législative. Celui-ci a pour finalité de protéger l’administré contre l’arbitraire de l’administration en sanctionnant par une annulation les actes administratifs entachés d’une illégalité. Nous définirons le recours pour excès de pouvoir et en dresserons les caractères généraux (1.1.1), avant d’en étudier les différents cas d’ouverture (1.1.2).

1.1.1 Les caractères généraux et les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est un recours juridictionnel qui peut être intenté contre tous les actes administratifs (actes réglementaires et décisions individuelles), dès lors que celui-ci produit des effets juridiques. Le recours pour excès de pouvoir est l’instrument qui permet au juge administratif de s’assurer du respect du principe de légalité par l’administration. Chaque fois qu’un acte administratif sera entaché d’une illégalité (voir les cas d’ouverture) le juge administratif devra en prononcer l’annulation. Toutefois, la mise en œuvre du principe de légalité est soumise à des conditions tenant à la fois à la nature de l’acte attaqué (A), à la personne du requérant (B), et à des conditions de délais et de mise en forme (C).

A- Les conditions tenant à la nature de l’acte attaqué

En préalable, il convient de dire que certains actes de l’administration ne sont susceptibles de faire l’objet d’aucun recours, il s’agit des actes de gouvernement. L'acte de gouvernement peut être défini comme un acte de l'exécutif relatif aux rapports entre pouvoirs publics constitutionnels ou à la conduite des relations internationales et insusceptible de toute contestation juridictionnelle. On peut se reporter utilement à la fiche sur les actes administratifs pour avoir une vision plus détaillé des actes de gouvernement.

Pour que le juge de l’excès de pouvoir puisse être saisi d’un recours en annulation, il faut que l’acte contesté soit un acte administratif faisant grief. Les actes pris par une autorité administrative sont en principe des actes administratifs et sont donc susceptibles de faire l'objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pourtant certaines mesures ne sont pas considérées comme faisant grief. C’est le cas des mesures d’ordre intérieur, des actes préparatoires, des avis, des circulaires … (voir acte administratif).

Certains actes pris par l’administration dans le cadre d’opération de droit privé (gestion du domaine privé) ne sont pas considérés comme des actes administratifs. Les contrats administratifs n’entrent pas non plus dans cette catégorie et ne peuvent donc en principe faire l’objet d’un tel recours.

N’entre pas dans la compétence du juge administratif le contrôle de la loi. Le contrôle de constitutionnalité des lois est réservé au Conseil constitutionnel. Toutefois, le juge administratif peut exercer un contrôle de conventionalité de la loi (voir la partie sur la hiérarchie des normes).

B - Les conditions tenant à la personne du requérant

Pour qu’un requérant puisse agir devant le juge de l’excès de pouvoir il doit disposer de la capacité d’ester en justice (être majeur) et avoir un intérêt pour agir. Avoir un intérêt à agir signifie que le demandeur doit souffrir personnellement de l’illégalité engendré par l’acte dont il demande l’annulation. Le requérant doit être lésé matériellement ou moralement. Toutefois, pour donner au recours pour excès de pouvoir une audience assez large, le juge entend la notion d’intérêt à agir de façon large. On parlera de simple intérêt froissé. Par exemple, l’habitant d’une rue pourra attaquer la délibération par laquelle le maire a réglementé le stationnement dans cette rue. L’intérêt à agir peut être plus personnel, ce sera le cas lorsque le pétitionnaire demandera l’annulation de la décision par laquelle l’autorité municipale lui refusera un permis de construire.

C - Les conditions tenant aux délais et à la mise en forme du recours

Pour faciliter l’accès au juge, les règles de formes sont extrêmement souples. L’introduction du recours pour excès de pouvoir n’est soumis à aucune forme parti- culière. Le requérant pourra se contenter de demander par lettre sur papier libre l’annulation de telle décision administrative en précisant les moyens sur lesquels il appuie son recours et en joignant la décision litigieuse. Le recours pour excès de pouvoir est dispensé du ministère d’avocat. En revanche, les délais appliqués au recours pour excès de pouvoir sont assez stricts. En général le délai court à compter de la date de la publication ou de la notification de l'acte incriminé. Le délai normal est de deux mois. Une fois ce délai expiré le requérant sera forclos et le juge ne pourra plus statuer. La brièveté des délais doit permettre d’assurer une certaine sécurité juridique.

1.1.2 Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir

Une fois le recours pour excès de pouvoir jugé recevable, le juge va examiner le fond de la requête, c’est-à-dire les arguments qui lui sont présentés par le requérant. Ces arguments peuvent tenir aux éléments extérieurs de l’acte : la forme, la procédure… (A), ou au contenu même de l’acte (B).

A - Le contrôle de la légalité externe

Les moyens de légalité externe portent à la fois sur la compétence de l’auteur de l’acte, les formes selon lesquelles l’acte a été édicté et la procédure qui a précédé son édiction.

1. L’incompétence

L’incompétence est « l’inaptitude d’un agent à accomplir un acte qui pouvait être fait, mais qui devait être fait par un autre agent ". Par exemple, seul le maire, dans la commune est compétent pour délivrer ou refuser les permis de construire. Un refus de permis délivré par le secrétaire général de la mairie serait donc entaché d’incompétence. Historiquement, l’incompétence est le premier cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir.

2. Le vice de forme

L’acte administratif est entaché d’un vice de forme, chaque fois que l’administration n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe de dater l’acte, de faire figurer la signature de son auteur, de formuler les motifs de sa décision chaque fois que la loi l’impose. Toutefois, certaines formalités ne sont pas suffisamment graves pour entrainer l’annulation. Seules les formalités les plus importantes (formalité substantielle) entraînent la sanction de l’annulation.

3. Le vice de procédure

La prise des décisions administratives est parfois soumise à des règles de procédure. Ces règles forment la procédure administrative non contentieuse. Par exemple, avant de prendre une décision, l’administration est soumise à une consultation obligatoire (décret pris en Conseil d’État), ou à l’obligation de procéder à une enquête publique préalable (en matière d’expropriation), ou encore de respecter une procédure contradictoire (en matière de sanction).

B - Le contrôle de la légalité interne

Comme les moyens de légalité externe, les moyens de légalité interne sont au nombre de trois : l’erreur de droit, l’erreur de fait et le détournement de pouvoir.

1. L’erreur de droit

L’erreur de droit consiste pour l’administration a mal interpréter ou a appliquer de façon erronée une règle de droit. La décision litigieuse ne pouvait pas être prise en application de la loi.

2. L’erreur de fait

Il y a erreur de fait, chaque fois que l’acte administratif aura été pris sur le fonde- ment de fait matériellement inexact. Par exemple un maire sanctionne un agent communal au motif que ce dernier a manqué à son obligation de réserve en critiquant la politique du maire dans un quotidien local, alors que l’intéressé n’a pas commis les faits qui lui sont reprochés.

3. Le détournement de pouvoir

Le détournement de pouvoir renvoie au but recherché par l’acte administratif, au résultat auquel l’administration a voulu parvenir. L’illégalité concerne les mobiles de l’acte. Il existe plusieurs catégories de détournements de pouvoir, mais celui-ci est avéré chaque fois que l’administration a agi pour satisfaire un intérêt différent de l’intérêt général. L’administration peut agir pour satisfaire un intérêt particulier (le maire interdit l’ouverture d’un établissement de nuit pour ne pas causer de tort à l’établissement dont il est lui-même propriétaire).

1.1.3 Les effets de l’annulation

Le jugement pour excès de pouvoir a pour effet de provoquer la disparition rétroactive de l’acte. L’annulation a pour effet de faire disparaitre les effets déjà produit par la décision puisque par principe le recours n’est pas suspensif (CE 1925 Rodière). Toutefois, Le Conseil d'État accepte parfois de moduler à titre exceptionnel les effets dans le temps d'une annulation (CE, ass, 11 mai 2004, Assoc. AC).

1.2 Les recours de plein contentieux

Les recours de plein contentieux, encore appelés recours de pleine juridiction, sont plus difficiles à intenter que le recours pour excès de pouvoir. Ces recours se rapprochent de ceux en vigueur devant les juridictions judiciaires. Alors que le recours pour excès de pouvoir sanctionne le respect, par l’administration, du principe de légalité, cette seconde catégorie de recours assure le respect, par l’administration, des droits des administrés. Nous définirons et délimiterons le contour des actions en plein contentieux (1.2.1) et évoquerons les principaux recours en vigueur devant le juge administratif (1.2.2).

1.2.1 Définition et délimitation du recours de plein contentieux

Les recours de plein contentieux sont ceux qui ont pour objet d’aboutir directement à la reconnaissance d’un droit au profit du requérant. Alors que le juge de l’excès de pouvoir se contente d’annuler la décision de l’administration lorsque celle-ci est entachée d’un vice, le juge du plein contentieux peut reconnaître un droit.

Les recours de plein contentieux sont ceux qui ont pour objet d’aboutir directement à la reconnaissance d’un droit au profit du requérant. Alors que le juge de l’excès de pouvoir se contente d’annuler la décision de l’administration lorsque celle-ci est entachée d’un vice, le juge du plein contentieux peut reconnaître un droit. Sur le plan des pouvoirs, le juge de plein contentieux dépasse celui de l’excès de pouvoir qui ne dispose que du pouvoir d’annuler l’acte et dans certains cas du pouvoir d’injonction (donner des ordres). En revanche, le juge du plein contentieux peut condamner l’administration à payer au requérant des dommages intérêts, ce que le juge de l’excès de pouvoir ne peut faire. En outre, dans certaines situations, le juge du plein contentieux dispose d’un pouvoir de réformation (il peut refaire l’acte administratif) et même d’un pouvoir de substitution (il peut remplacer la décision de l’administration par sa propre décision).

Les pouvoirs du juge de plein contentieux étant plus étendus que ceux dont dispose le juge de l’excès de pouvoir, ces recours sont plus difficiles à mettre en œuvre. Le juge se montre plus exigeant en matière d’intérêt à agir. Le requérant ne peut plus invoquer un simple intérêt froissé, mais il doit établir qu’il est titulaire du droit dont il demande la reconnaissance au juge.

1.2.2 Les principaux recours de plein contentieux

Il existe une multitude de recours de plein contentieux et par conséquent une multitude de manière de présenter et de classer les différentes actions en vigueur devant les juridictions administratives. De façon à simplifier cette présentation nous distinguerons les recours de plein contentieux portant sur un droit subjectif (A), des recours de plein contentieux ne portant pas sur un droit subjectif (B). Un droit subjectif est un droit dont dispose un particulier à l’égard d’autrui.

A- Les recours de plein contentieux portant sur un droit subjectif

Les litiges présentant un caractère pécuniaire peuvent tendre à mettre en œuvre la responsabilité de l’administration. Ce sera le cas le plus fréquent. Mais ils peuvent également surgir en matière de contrat administratif.

1. Le contentieux de la responsabilité

Il s’agit du cas le plus courant de plein contentieux. Le requérant demande au juge de condamner l’administration à réparer les dommages qu’elle a causés. On retrouvera ce contentieux en matière de responsabilité hospitalière (le requérant demande à être indemnisé du préjudice résultant d’une faute médicale) ou en matière de travaux publics (le requérant demande l’indemnisation d’un préjudice causé par un mauvais entretien d’un ouvrage public, une voie communale par exemple).

2. Le contentieux des contrats administratifs

Les litiges en matière contractuelle sont aussi une catégorie de litiges traditionnels en matière de plein contentieux. Chaque fois qu’une difficulté surgit entre l’administration et son cocontractant, le juge de plein contentieux peut être saisi, soit pour obliger l’administration à exécuter ses obligations, soit pour la condamner si elle ne les exécute pas.

B - Les recours de plein contentieux objectifs

Cette seconde catégorie de litiges de plein contentieux se distingue de la précédente, car le juge ne tranche pas un litige portant sur les droits du requérant. Dans ces hypothèses le contrôle effectué par le juge ressemble à celui exercé dans le cadre du recours de plein contentieux, mais ses pouvoirs sont plus étendus. Les principaux recours que l’on peut classer dans cette catégorie sont :

1. Les litiges en matière de contentieux fiscal. Lorsque le requérant conteste le bien fondé d’une imposition.

2. Les litiges en matière de contentieux électoral. Lorsque le requérant conteste le résultat de certaines élections (élections locales).

3. Les litiges en matière d’établissements dangereux, incommodes et insalubres.

1.3 Le rapprochement entre les contentieux

La frontière qui sépare le recours pour excès de pouvoir du recours de plein contentieux est parfois ténue. Depuis plusieurs années, on constate une tendance au rapprochement de ces deux branches du contentieux. Il devient ainsi possible, dans des matières relevant traditionnellement du plein contentieux, d'exercer un recours pour excès de pouvoir. De surcroît, les pouvoirs du juge de l'excès de pouvoir tendent à se rapprocher de ceux du juge de plein contentieux.

a. le chevauchement de l’excès de pouvoir sur le plein contentieux

Dans certains domaines le juge de l’excès se prononce sur des matières relevant traditionnellement du plein contentieux. Il en va ainsi par exemple dans le domaine contractuel

On considérait traditionnellement, que puisque le contrat consacrait des droits subjectifs, la légalité objective n'avait aucun rôle à jouer dans ce contentieux. Désormais le recours pour excès de pouvoir joue un rôle croissant dans la matière contractuelle. Le juge de l’excès de pouvoir accepte d’examiner la légalité des actes détachables du contrat. Par la suite, le juge administratif a reconnu la possibilité d’exercer un recours directement contre le contrat. Recours d’abord limité au préfet (CE, 2 nov. 1988, Comm. Rép. Hauts-de-Seine c/ OPHLM Malakoff), puis étendue au tiers pour les dispositions à caractère règlementaires (CE, ass., 10 juill. 1996, Cayzeele).

En dehors du domaine contractuel, les recours tendant à l'annulation d'une décision à objet pécuniaire sont classés dans le plein contentieux dès lors que le requérant demande également au juge de condamner l'Administration à payer. Toutefois, le requérant peut dans certaines hypothèses se placer sur le terrain de l'excès de pouvoir - et bénéficier ainsi de règles de procédure simplifiées s'il se contente de demander l'annulation de la décision à objet pécuniaire (CE, 8 mars 1912, Lafage).

Enfin, la loi n° 95-125 du 8 février 1995 en accordant au juge de l’excès de pouvoir un pouvoir d’injonction dont il été privé à rapprocher les pouvoirs de ce dernier de ceux du juge de plein contentieux.

b. le chevauchement du plein contentieux sur l’excès de pouvoir sur le

Par un arrêt du 16 février 2009 société ATOM, le Conseil d’État transfère les recours en annulation dirigés contre les sanctions administratives dans le contentieux de pleine juridiction. Ce contentieux de l’annulation traditionnellement incorporé à celui de l’excès de pouvoir enrichie le contentieux de la légalité relevant du plein contentieux. Cette décision s’applique toutefois qu’aux relations entre l’administration et les usagers.

2 - Les procédures en référé

Les recours pour excès de pouvoir et les recours de pleins contentieux permettent au juge de trancher le litige sur le fond. Cela signifie que le juge apporte aux requérants une solution définitive. Toutefois, le juge a besoin de temps pour remplir son office. Aussi, il existe devant les juridictions administratives des procédures qui permettent au juge d’agir dans des délais extrêmement brefs. Ces procédures sont communément appelées, procédure en référé. Devant les juridictions administratives il en existe principalement trois : le référé-suspension, le référé-liberté, le référé- précontractuel. Ces trois procédures ont été renouvelées par la loi du 30 juin 2000.

2.1 Le référé-suspension (art. L. 521-1 du Code de justice administrative)

Devant les juridictions administratives, les recours n’ont pas d’effet suspensif. Cette règle implique que le fait d’agir devant un juge administratif ne suspend pas l’exécution par l’administration de la mesure contestée. Par exemple lorsque le préfet ordonne la reconduite à la frontière d’un ressortissant étranger en situation irrégulière, cette mesure est immédiatement applicable, alors même que l’intéressé aurait formé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Cette règle générale, rappelée par l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953, se justifie par le fait que l’administration, censée agir dans l’intérêt général, dispose du privilège du préalable. Ses actes ont un caractère exécutoire et son action ne doit pas être paralysée par des actions fantaisistes ou dilatoires.

Le privilège du préalable dont bénéficie l’administration comporte des correctifs. En premier lieu, l’administration procède à ses risques et péril à l’exécution de ses actes. S’ils sont illégaux ils engagent sa responsabilité (voir la partie sur la responsabilité de l’administration). De plus l’administration pourrait se hâter d’exécuter ses décisions afin de prévenir toute annulation ultérieure par le juge. Pour éviter une telle situation il existe une procédure préventive qui permet au juge de suspendre, sous certaines conditions, l’exécution de l’acte. Il nous faut désormais en examiner les conditions (A) et les effets (B).

A- Les conditions d’octroi de la suspension

Une telle procédure est enfermée dans des conditions strictes. La loi du 30 juin 2000 est venue assouplir les conditions d’octroi de la suspension-provisoire des décisions de l’administration. Les conditions requises sont au nombre de trois :

1. La nécessité d’un doute sérieux

Le juge des référés peut ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative ou de certains de ces effets à la condition que le requérant fasse état d’un doute sérieux. A l’appui de sa demande de suspension, l’intéressé doit donc avancer des arguments sur le fond de l’affaire. Le juge des référés n’examine pas véritablement leur portée (il le fera au cours de l’instance principale qui suit le prononcé de la suspension) mais le prononcée éventuel d’une mesure de suspension préfigure l’issue finale du litige.

2. La condition d’urgence

L’urgence doit justifier la suspension. La condition tenant à l’existence d’un doute sérieux ne suffit pas à elle seule à justifier le prononcé d’une mesure de suspension- provisoire. Le requérant devra établir devant le juge des référés la nécessité de ne pas exécuter la décision de l’administration en raison de la gravité des conséquences que celle-ci comporte. Par exemple, dans le cas d’une mesure de reconduite à la frontière d’un ressortissant étranger, ce dernier, pour justifier de l’octroi d’une mesure de suspension, pourra avancer que dans son pays d’origine il fait l’objet de menace grave.

3. L’exigence de conclusions aux fins d’annulation ou de réformation

Seule une décision de l’administration peut faire l’objet d’une demande de suspension-provisoire. Cette procédure ne peut être utilisée à l’encontre d’un agissement de l’administration (dans ce cas il existe d’autres procédures – cf. infra). En outre, la demande de suspension doit être obligatoirement accompagnée d’une demande d’annulation ou de réformation de la décision visée sous peine d’irrecevabilité. Concrètement cela signifie que le requérant doit demander séparément la suspension de la mesure qui le concerne et son annulation (par exemple par la voie d’un recours pour excès de pouvoir). L’alinéa 2 de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative dispose que lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais.

B - Les effets de la suspension

L’octroi de la suspension relève en dernier lieu du pouvoir discrétionnaire du juge. C’est le juge des référés qui décide ou non de suspendre un acte administratif. En cas de prononcé d’une mesure de suspension cela implique pour l’administration qu’elle ne peut exécuter la mesure tant que le juge n’a pas statué sur le fond. En effet, la suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête au fond. Si le requérant demande l’annulation d’une déclaration d’utilité publique et joint à son recours en annulation une demande de suspension provisoire que le juge lui accorde, cela signifie que l’administration ne pourra procéder aux mesures d’expropriation prévues dans la déclaration tant que le juge de l’excès de pouvoir ne s’est pas prononcé sur la légalité de cet acte. En cas d’annulation la mesure de suspension n’est plus lieu d’être puisque l’administration ne peut plus procéder à l’opération envisagée.

2.2 Le référé-liberté (art. L. 521-2 du Code de justice administrative)

Le référé-liberté, contrairement à la procédure de référé-suspension, est une procédure récente puisqu’il n’existe que depuis la loi du 30 juin 2000. Cette procédure permet au juge des référés de prononcer, à l’encontre de l’administration, une injonction en vue de mettre fin à une atteinte portée à une liberté fondamentale. Il nous faudra examiner les conditions d’octroi d’une telle mesure (A) avant d’envisager ses effets (B).

A - Les conditions d’octroi du référé-liberté

Le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour que le juge des référés il faut donc qu’un agissement de l’administration (et non un acte) :

- porte une atteinte grave à une liberté fondamentale (liberté de la presse, liberté d’aller et venir….). Il faut encore noter que le Conseil d’État a récemment érigé au rang de liberté fondamentale le principe de libre administration des collectivités territoriales (CE. Sect, 18 janvier 2001);

- et que cet agissement soit manifestement illégal.

B - Les effets de la mesure prononcée en référé

L’objet des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative est de confier au juge administratif un pouvoir d’injonction extrêmement vaste lorsqu’est en cause la sauvegarde d’une liberté fondamentale. La protection juridictionnelle immédiate des libertés est donc assurée par le juge, dans les quarante-huit heures, sans devoir se limiter à la suspension des effets d’un acte administratif : toute obligation, de faire ou de ne pas faire, peut être imposée par le juge des référés à l’autorité administrative, en vue de faire cesser l’atteinte à une liberté. Le juge peut ordonner à l’administration de mettre fin à une rétention administrative arbitraire ou encore d’assurer à deux candidats à une élection politique un temps d’antenne équivalent afin de respecter le pluralisme des opinions politiques…

2.3 Le référé-précontractuel (art. L. 551-1 et L. 551-2 du Code de justice administrative)

Outre la procédure de droit commun prévue à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (paragraphe I), la transposition de la directive européenne du 21 décembre 1981 a permis d’instaurer une procédure de référé précontractuel. Cette directive vise à instaurer un contrôle efficace des dispositions du droit communautaire en matière de passation des marchés publics. La procédure mise en œuvre par la directive permet au juge national de prendre en urgence des mesures provisoires de suspension de la procédure ou de l’exécution des décisions du pouvoir adjudicateur.

Le juge peut ainsi être saisi avant la conclusion du contrat et ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et de suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toutes décisions qui s’y rapportent. Il peut en outre annuler les décisions prises et supprimer les clauses ou prescriptions contractuelles destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent les obligations des cocontractants. Il faut encore noter que la loi du 30 juin 2000 a créé un juge des référés (juge unique). Sont juges des référés les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, les magistrats que les présidents désignent pour remplir cette mission, et pour le Conseil d’État, le président de la section du contentieux et les conseillers d’État désignés à cet effet.

Jusqu’à présent une entreprise candidate à l'attribution d'un marché était, de ce fait, habilitée à agir devant le juge des référés précontractuels. Les conditions de mise en œuvre du référé étaient de ce fait extrêmement souples. L’entreprise pouvait invoquer devant ce juge tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation du marché en cause, « même si un tel manquement n'a pas été commis à son détriment ». Dans un arrêt du 3 octobre 2008 « Smirgeomes », le Conseil d’Etat exige désormais que l’irrégularité soit susceptible d'avoir lésé ou risque de léser l’entreprise, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

Le référé précontractuel a connu en quelques mois des modifications importantes au travers de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. L’ordonnance précitée transpose la directive européenne 2007/66/CE qui vise à accroître l’efficacité des recours, avant et après la signature des contrats, et à lutter contre la passation des marchés de gré à gré illégaux. Dans ces conditions, la transposition en droit français nécessite de compléter le régime du référé précontractuel et de créer un recours après la signature du contrat. Afin de répondre aux exigences de lisibilité du droit, le Code de justice administrative est réorganisé. La modification du référé précontractuel, qui permet au juge de statuer avant la signature du contrat, s’accompagne de la création du référé contractuel. En matière de référé précontractuel, l’introduction du recours suspend automatiquement la signature du contrat. S’agissant du référé contractuel, il permet au juge d’intervenir avec une efficacité comparable une fois le contrat signé.

La signature du contrat ne fera ainsi plus obstacle à ce que soient immédiatement sanctionnées les obligations de transparence et de mise en concurrence mais également en cas de violation du délai de suspension ou en cas de non-respect de la suspension de la signature du contrat liée à la saisine du juge du référé précontractuel. Le juge est également doté de pouvoirs nouveaux : prononcer l’annulation ou la résiliation du contrat, en réduire la durée ou infliger des pénalités financières.

Cependant, il est précisé qu’une entreprise qui aura exercé un référé précontractuel ne sera pas recevable à exercer le référé contractuel si l’acheteur public s’est conformé à la décision rendue sur ce recours et s’il a respecté l’obligation de ne pas signer le contrat.

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