Les différentes sources du droit public et la hiérarchie des normes

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Eric Guérin : docteur en droit public
Dernière mise à jour : Octobre 2016


Les autorités administratives sont tenues dans leur activité de se conformer à la loi ou plus exactement à la légalité. Le principe de légalité constitue donc une limitation au pouvoir de l’administration. Il est l’une des manifestations de l’Etat de droit. La question de la légalité en appelle immédiatement une deuxième, celle des sources de la légalité. Celle-ci en appelle à son tour une autre, celle de la hiérarchie des normes. Cette dernière question est indépendante de celle sur la légalité de l’action de l’administration mais comme elle en découle nous la traiterons en second.

1. La signification du principe de légalité et sa mise en œuvre

Le principe de légalité est la règle fondamentale sur laquelle repose notre ordonnancement juridique. De façon sommaire, on peut résumer le principe de légalité par l’obligation faite à la puissance publique de se soumettre au droit. Pour que ce principe soit effectif, il suppose que le juge veille à sa mise en œuvre et en sanctionne l’application. Il existe, lors de circonstances particulières des aménagements possibles au principe de légalité.

1.1 La soumission de l’action de la puissance publique au droit

Le principe de légalité une fois expliqué il nous faudra envisager les sources de la légalité.

1.1.1 Analyse du principe de légalité

Dans sa forme primitive, le principe de légalité exprime la soumission de l’administration au droit. L’administration est soumise à des règles qui déterminent par avance les modalités et le cadre de son action. Dans un État de droit, par opposition à l’État de police, la puissance publique est soumise à des règles qui préexistent à son action. Le souverain ne peut agir selon son bon vouloir. La plupart des règles auxquelles l’administration est soumise lui sont extérieures.

C’est le cas de la Constitution qui contraint le législateur lorsqu’il fait la loi. D’autres règles émanent de l’administration elle-même lorsqu’elle édicte des règlements. Ces règles s’imposent de la même façon à l’administration lorsqu’elle doit prendre une décision individuelle. Par exemple, lorsque le maire est saisi d’une demande d’autorisation de construire, il doit l’examiner au regard des dispositions réglementaires d’urbanisme contenues dans le plan local d’urbanisme. Le principe de légalité permet de protéger l’administré et le citoyen contre l’arbitraire de l’administration. Il constitue à la fois une limite à l’action de l’administration (la loi pose des interdictions) et un cadre à son action (la loi dicte à l’administration sa conduite).

Un acte administratif est susceptible d’enfreindre la légalité de plusieurs manières. L’illégalité peut résulter de l’auteur de l’acte. Dans ce cas l’auteur de l’acte n’était pas compétent pour édicter l’acte. Une autorité administrative ne peut édicter des mesures que dans la limite des compétences que lui confie la loi. L’illégalité peut être relative au but poursuivi. Elle affecte l’acte lorsque l’autorité compétente prend une décision qui n’a pas vocation à servir l’intérêt général. L’illégalité peut résulter de la forme de l’acte. Le rédacteur n’a pas correctement rédigé l’acte. Par exemple, il a négligé de la motiver dans une hypothèse ou la loi l’oblige. L’illégalité peut encore être relative à l’objet. L’autorité administrative prend une décision dont l’objet même est en contradiction avec la loi. Enfin, l’illégalité peut être relative aux mobiles de l’acte. Soit parce que les faits invoqués pour justifier la décision sont erronés soit parce qu’ils sont mal interprétés.

1.1.2 Les sources de la légalité

Les sources de la légalité sont plurielles. Il existe des sources écrites comme la Constitution, les traités, la loi ou les règlements, mais il existe également des sources non écrites ; il s’agit de principe juridique que le juge énonce, ou de la coutume. Une dernière source particulièrement originale mérite un développement spécifique, il s’agit de la jurisprudence.

A. Les sources écrites

a. La Constitution

La Constitution est le texte fondamental, c’est-à-dire celui qui a la plus grande importance juridique. La Constitution est la norme suprême, puisqu’elle délimite les domaines dans lesquels peuvent intervenir les autres sources de la légalité. D’un point de vue matériel, la Constitution s’entend de l’ensemble des normes qui organisent la séparation et l’organisation des pouvoirs mais qui assurent également le respect des droits de l’homme. La Constitution du 4 octobre 1958 fixe ainsi un certain nombre de principes fondamentaux qui régissent le fonctionnement de nos institutions. A titre d’exemple, on retiendra que la Constitution fixe :

- les règles concernant les autorités de l’État (pouvoirs du Président de la République et du Premier ministre, compétence du Parlement …);

- la Constitution fixe également les principes d’unité et d’égalité ainsi que le secret du suffrage (article 3);

- la Constitution fixe encore le principe de libre administration des Collectivités territoriales (article 72).

Depuis une importante décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946 (qui pose notamment le droit de grève ou la liberté d’association…), font également partie de la Constitution. A partir de cette date on parlera de « bloc de constitutionnalité », car la Constitution est le résultat de la combinaison de trois textes : le texte de 1958, celui de 1789 et le préambule de 1946. Il faut également depuis 2004 rajouter à la Constitution la Charte des droits de l’environnement.

b. Les traités internationaux

Les traités internationaux sont une source de plus en plus importante du droit interne. Traditionnellement, les traités internationaux ont pour objet unique de régir des rapports entre États (on parlera alors de conception dualiste de l’ordre international et de l’ordre interne). Par exemple, le traité de l’ONU ou encore le traité de l’OTAN. Ces traités n’ont pas d’effet direct sur les individus.

En revanche, certains traités produisent des droits et des obligations dans l’ordre interne. Par exemple, les traités de l’Union européenne, s’ils organisent des rapports entre États, posent également des principes et des règles qui s’imposent aux États membres et que les justiciables peuvent invoquer au cours d’un procès.

Le cas de l’Union européenne est en outre très particulier puisqu’il s’agit d’une organisation supranationale dont les institutions ont la possibilité d’édicter des normes appelées règlements et directives. Alors que les règlements communautaires sont directement applicables, les directives doivent être transposées dans l’ordre interne soit par une loi, soit par un règlement interne. Concrètement, cela signifie que, dans certaines circonstances, l’administration est dans l’obligation de se conformer aux règles du droit communautaire. Cet aspect de la question sera développé à la fin de cette fiche.

c. La loi

La loi est la norme votée par le Parlement au terme d’une procédure définie par la

Constitution. Cependant, depuis 1958, le domaine de la loi est délimité.

Le domaine de la loi

L’article 34 de la Constitution définit les matières dans lesquelles la loi peut inter- venir. Par exemple, c’est la loi qui fixe le statut des fonctionnaires, les règles d’acquisition de la nationalité… L’article 37 prévoit que tout ce qui ne fait pas partie du domaine de la loi relève de la compétence du pouvoir réglementaire.

La procédure d’élaboration de la loi

L’élaboration de la loi peut se faire soit à l’initiative du gouvernement (on parle de projet de loi), soit à l’initiative du Parlement (on parle alors de proposition de loi). Une fois déposée devant le bureau de l’une des deux assemblées qui composent le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), la loi pour être adoptée doit être votée en termes identiques par les deux assemblées. Le texte de loi en cours d’élaboration fait donc la navette entre les deux assemblées jusqu’à son adoption définitive. Toutefois, pour que la procédure parlementaire ne s’éternise pas, une commission mixte paritaire composée de membres des deux assemblées discute après la seconde lecture des dispositions qui font encore l’objet d’un désaccord. La commission mixte paritaire est chargée de trouver un compromis. Si elle y parvient, le texte est définitivement adopté par les deux assemblées. Si le désaccord persiste, l’Assemblée nationale votera seule le texte en dernière lecture, on dit alors qu’elle a le « dernier mot ».

Une fois la loi votée, elle doit encore être promulguée par le Président de la République pour devenir exécutoire. Toutefois, le Conseil constitutionnel peut être saisi de la loi votée pour en contrôler la conformité à la Constitution, avant que le Président ne la promulgue. Le Conseil constitutionnel est un organe juridictionnel créé par la Constitution de 1958, chargé de contrôler la conformité de la loi par rapport à la Constitution. Par exemple, le Conseil pourrait déclarer contraire à la Constitution une loi qui méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales formulé par l’article 72 de la Constitution. Ses membres sont au nombre de 9. Trois sont nommés par le Président de la République, trois par le Président de l’assemblée nationale et trois par le Président du Sénat. La durée de leur fonction est de neuf ans non renouvelable.

Si le Conseil déclare la loi contraire à la Constitution (par exemple une loi contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l’article 72 de la Constitution), elle ne peut pas être promulguée. Peuvent saisir le Conseil constitutionnel, le Président de la République, le Premier ministre, les présidents de chacune des deux assemblées et, depuis 1974, 60 députés ou 60 sénateurs. Depuis, une révision de la Constitution de 2008, le Conseil constitutionnel peut indirectement être saisi par des justiciable. Le mécanisme ouvert aux citoyens devant les juridictions ordinaires s’appelle l’exception d’inconstitutionnalité.

d. Les règlements

La notion de règlement se comprend en contrepoint du domaine de la loi, puisqu’aux termes de l’article 37 de la Constitution, ce qui ne fait pas partie de la loi relève du règlement. Pourtant, la notion de règlement est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, le règlement est multiforme. Le règlement autonome est celui qui relève de l’article 37 de la Constitution. Il appartient seulement au Premier ministre. Par exemple, l’instauration de nouvelles catégories de crimes ou délits (infractions pénales) relève du domaine de la loi et donc de la compétence du Parlement. En revanche, l’instauration de nouvelles contraventions (sanction pénale non privative de liberté) relève du domaine du pouvoir réglementaire et donc de la compétence du Premier ministre.

A côté du pouvoir réglementaire autonome, il existe un pouvoir réglementaire dérivé qui appartient aux ministres. Dans certains cas, le Parlement peut confier à un ministre le soin de compléter une loi ou de prendre les mesures nécessaires à son application. Le pouvoir réglementaire est dérivé de la loi. Par exemple, lorsque le Parlement modifie le régime indemnitaire d’une catégorie de fonctionnaires, il peut confier au ministre compétent la responsabilité de déterminer les critères selon lesquels les agents de son administration pourront bénéficier des dispositions votées par le Parlement.

B. Les sources non écrites

a. La coutume

La coutume se compose de deux éléments. L’élément matériel est la répétition d’une pratique dans le temps. L’élément psychologique est la croyance dans le caractère obligatoire de la coutume. Tout le monde se comporte vis-à-vis de la coutume comme si elle faisait la règle. La coutume est une source primitive du droit et archaïque. En 1804 les rédacteurs du Code civil on en réalité codifier les coutumes en vigueur à l’époque. A partir de ce moment la coutume est tombée en désuétude au profit des sources écrites qui sont jugées plus fiable. En effet, en cas de doute sur le contenu de la règle il suffit de se référer au texte. La coutume présente l’avantage d’être plus souple que l’écrit en revanche elle est plus incertain dans le temps et dans l’espace (la pratique peut varier d’un endroit à un autre).

Ainsi, le droit constitutionnel moderne est largement un droit écrit (même si le droit Anglos saxon fait exception à la règle). A l’origine le droit que fixe les règles de fonctionnement des pouvoir est un droit coutumier. Sous l’ancien régime c’est règles sont largement inspiré des lois saliques (règles de succession à la couronne, interdiction des apanages …) ; mais à la révolution et notamment avec la Déclaration de 1789 l’écrit l’emporte sur la coutume.

b. Les principes généraux du droit

Les principes généraux du droit sont des principes de portée générale que le juge découvre en s’inspirant de la tradition législative. Cette technique a été inaugurée après la seconde guerre mondiale par le juge administratif. Le premier principe formulé a été, le respect des droits de la défense consacré par le Conseil d’État comme un principe général du droit dans un arrêt du 5 mai 1944, « Dame veuve Trompier-Gravier ». Le Conseil constitutionnel a repris la théorie à son profit et formule des principes à valeur constitutionnelle. Le recours à la technique des principes généraux du droit a eu une très grande importance dans la formation du droit administratif et du droit constitutionnel.

c. La jurisprudence

Le terme jurisprudence a un double sens. Il signifie au sens large, l’ensemble des décisions rendues par une juridiction. On parlera de la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour désigner l’ensemble des décisions rendues par le Conseil. Le terme jurisprudence a également une signification plus étroite, il désigne alors une décision particulière prise par la juridiction au travers de laquelle celle-ci a réglé une question de droit nouvelle.

Le rôle du juge est très important et plus particulièrement celui du Conseil constitutionnel car ce dernier n’est plus strictement « bouche de la loi », comme l’aurait voulu Montesquieu. Il ne se contente pas d’appliquer mécaniquement la loi aux cas concrets. Au contraire, il se livre à un travail d’interprétation particulièrement créatif. Ainsi, le Conseil dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois est conduit à interpréter le texte de la Constitution. Ce travail d’interprétation peut le conduire à donner un sens au texte et parfois même un sens différent de celui de pensée par les rédacteurs du texte constitutionnel. Par exemple, l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC) qui formule le principe d’égalité. Aux termes de l’article 1, les hommes naissent et demeurent libre et égaux en droit. En 1789 au moment de la rédaction de la DDHC le terme « homme » doit s’entendre de façon étroite, ce qui exclu les femmes. Bien sur aujourd’hui lorsque le Conseil fait référence au principe d’égalité le mot « Homme » a pris un H majuscule puisqu’il s’agit du genre humain. Le Conseil constitutionnel a adapté la signification du principe aux évolutions contemporaines de la société. Il n’en demeure pas mois que par son travail d’interprétation il fait vivre le texte constitutionnel.

Certains regretteront cependant la place exagérée donnée au juge dans nos sociétés contemporaines. En effet, il n’est pas rare que l’on confie au juge le soin de régler des questions de société fondamentales qui ne relèvent pas strictement de sa compétence. Il en va ainsi, lorsque le juge est amené à se prononcer sur des questions aussi fondamentale que l’adoption par des couples homosexuelle, le droit à l’euthanasie … Il est permit de s’interroger sur la légitimité du juge face à de telle questionnement.

1.2. Les sanctions du principe de légalité

1.2.1 La nullité des actes administratifs

La première sanction du principe de légalité est la nullité de l’acte illégal. Celui-ci est censé n’avoir jamais existé ni produit d’effet. L’annulation sera la constatation de cette nullité. L’annulation de l’acte constitue la disparition rétroactive de l’acte. Elle a pour conséquence d’effacer les effets produits par l’acte. Cette conséquence est assez radicale c’est pourquoi la jurisprudence a tendance à moduler les effets de l’annulation dans le temps afin d’assurer une certaine sécurité juridique. Il existe une jurisprudence assez riche qui ne sera pas examinée ici.

1.2.2 Le contrôle de légalité

Le principe de légalité n’a d’efficacité que s’il est assorti d’un système de contrôle efficace. C’est au juge qu’il revient d’effectuer ce contrôle. Il existe en France une juridiction spécialisée dans le contrôle de l’action de l’administration et qui a le monopole pour contrôler l’action de l’administration (voir la fiche sur les juridictions administratives). Mais il existe également des modes alternatifs de règlement des litiges qui ne nécessitent pas le recours au juge et qui peuvent avoir leur utilité. On pense ici en particulier au médiateur de la République ou au défenseur des droits (voir la fiche sur les autorités administratives indépendantes).

1.2.3 Le recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est l’un des principaux titres de gloire du juge administratif, puisque c’est à partir de la Monarchie de juillet que le Conseil d’État a imaginé les conditions dans lesquelles il assurerait le contrôle de l’activité de l’administration. Par la suite, la loi du 24 mai 1872 a donné au recours pour excès de pouvoir une assise législative. Celui-ci a pour finalité de protéger l’administré contre l’arbitraire de l’administration en sanctionnant par une annulation les actes administratifs entachés d’une illégalité. Le recours pour excès de pouvoir est ouvert à tous justiciable ayant intérêt à agir dans des conditions extrêmement souples (voir fiche sur les recours administratifs)

1.3 Les aménagements au principe de légalité

Il peut se faire que le respect de la légalité constitue une entrave à l’action de l’administration. Dans des circonstances particulières la jurisprudence a admit la possibilité d’aménager et d’assouplir le principe de légalité.

1.3.1 La théorie des circonstances exceptionnelles

Il a été depuis longtemps admis en droit administratif que lorsque l’administration se heurtait à des circonstances exceptionnelles il fallait permettre à celle-ci d’y faire face et par voie de conséquence d’assouplir la rigueur des règles juridiques s’imposant à l’administration. Au-delà des textes légaux ou réglementaires, la jurisprudence a elle aussi consacrée la théorie des circonstances exceptionnelles qui permettront à l’administration d’augmenter ses pouvoirs, à ne plus respecter les lois auxquelles elle devait normalement se plier mais cela ne signifie pas pour autant que l’administration dans de telles circonstances ait déliée du respect du droit.

Si l’administration échappe à la légalité ordinaire elle sera soumise à une légalité nouvelle dont le juge devra assurer le respect. Le Conseil d’Etat a prononcé sur la question des circonstances exceptionnelles dans deux arrêts de principe.

Le 1er arrêt est l’arrêt Conseil d’Etat 28 juin1918 HEYRIES. Heyries était un fonctionnaire qui avait commis une faute professionnelle donnant lieu à une sanction. En raison des circonstances, l’administration n’a pas respectée les règles habituelles en matière de sanction disciplinaire à savoir communication du dossier au destinataire de la sanction et audition de la personne par une commission disciplinaire devant ensuite proposer une sanction. En période normale, de telles erreurs administratives auraient abouti à l’évidence à l’annulation de la sanction au nom d’un principe général du droit le tiré du respect des droits de la défense. Le Conseil d’Etat a considéré qu’en raison des circonstances exceptionnelles, la sanction n’avait pas à être invalidée. La date de l’arrêt comme celui qui suit nous éclaire sur les circonstances exceptionnelles qui pouvaient alors être invoqué.

Un second arrêt du 28 février 1919 dame Dol et Laurent est venu compléter la solution de l’arrêté de 1918. Dans cette seconde affaire, un arrêté empêchait deux personnes (dame Dol et Laurent) d’exercer leur activité en portant atteinte à leur liberté d’aller et venir. Le Conseil d’Etat dans cet arrêt a validé cette interdiction en considérant qu’en raison des circonstances de temps et de lieu, les restrictions aux libertés publiques étaient momentanément justifiées.

A partir de ces jurisprudences, on peut dire que la notion de circonstances exceptionnelles est une situation anormale à laquelle doit faire face l’administration. Par ailleurs, l’administration ne peut pas agir normalement et doit donc pouvoir dépasser le strict cadre de la légalité en période normale. Cependant, l’administration n’est pas autorisée à agir totalement à sa guise puisque les circonstances exceptionnelles ne légitiment que les mesures strictement nécessaires dès que les circonstances exceptionnelles ont disparu, les pouvoirs exceptionnels de l’administration doivent également pouvoir disparaître.

Même en période de circonstance exceptionnelle, l’administration reste sous le contrôle du juge qui vérifiera la nature des mesures prisent par l’administration et qui pourra les sanctionner si l’administration est allée au-delà de ce qui était strictement nécessaire.

1.3.2 La théorie des actes de gouvernement

L'acte de gouvernement est un acte qui est insusceptible de recours devant une juridiction. Bien que susceptible de violer les droits d’un justiciable tout recours contre les actes de gouvernement sera considéré comme irrecevable alors qu’un recours contre un acte lors de circonstances exceptionnelles reste possible. L’acte de gouvernement bénéficie donc d’une immunité. Le Conseil d’État ne voulait pas, à la base, contrôler de tels actes car il les considérait comme politiques (Conseil d’État 1822 Lafitte). Toutefois, la haute juridiction a changé de motivation dans une décision de 1875 Prince Napoléon, considérant que les actes de gouvernement ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle car ils se rapprochaient de la fonction de gouvernement.

Les actes de gouvernement concernent deux domaines principaux. Le premier est celui des actes du pouvoir exécutif dans ses rapports avec les assemblées et plus largement des pouvoirs publics entre eux. Sont notamment considérés comme des actes de gouvernement, la décision du président de la République de recourir à l’article 16, le décret soumettant un projet de loi à un référendum, le décret portant dissolution de l’assemblée nationale. La seconde catégorie d’acte de gouvernement porte sur l’acte à caractère diplomatique. Les actes se rattachant aux rapports internationaux constituent sans doute la catégorie la plus riche d’acte de gouvernement. Il s’agit par exemple des actes d’exécution des traités, une mesure d’embargo, l’engagement des forces militaires sur un sol étranger …

2. La question de la hiérarchie des normes

La multiplication des sources de la légalité suppose une hiérarchie de ses différentes normes de la plus importante à la moins importante. Cette hiérarchie prend la forme d’une pyramide. Cette conception du droit a été développée par un juriste autrichien du nom de Hans Kelsen afin de « dégager le droit de ses fondements idéologiques et moraux, pour n'en faire qu'une technique de régulation, une pure technique au service de l'État laïc ». Ainsi la théorie de la hiérarchie des normes est au fondement même de notre ordonnancement juridique. Elle se pose de manière particulière au regard des exigences relevant des normes internationales.

2.1. La théorie de la hiérarchie des normes

En vertu du principe de légalité, chaque norme juridique doit se conformer à l'ensemble des règles en vigueur ayant une force supérieure dans la hiérarchie des normes, ou du moins être compatible avec ces normes, ou encore non incompatible selon le degré de contrôle exercé entre les normes. La méconnaissance de ce principe est non seulement source de désordres juridiques, mais elle constitue également une faute de l'auteur du texte illégal, susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité publique en cause devant les juridictions nationales, de l’Union européenne ou internationales. La hiérarchie des normes est donc un classement hiérarchisé de l'ensemble des normes qui composent le système juridique d'un Etat de droit pour en garantir la cohérence et la rigueur. Elle est fondée sur le principe qu'une norme doit respecter celle du niveau supérieur et la mettre en oeuvre en la détaillant. Dans un conflit de normes, elle permet de faire prévaloir la norme de niveau supérieur sur la norme qui lui est subordonnée. Ainsi, une décision administrative doit respecter les lois, les traités internationaux et la Constitution.

Formulée par Hans Kelsen (1881-1973), théoricien du droit et auteur de la « Théorie pure du droit », la notion de hiérarchie des normes juridiques ne peut prendre tout son sens que si son respect est contrôlé par une juridiction. Le contrôle peut être effectué par exception lors d'un litige précis ou par voie d'action lors de la saisine d'un organe spécifique.

La Constitution, qui institue et organise les différents organes composant l'Etat, est en général considérée comme la norme la plus élevée. Sa suprématie peut cependant entrer en concurrence avec des règles internationales. En Europe, c'est le cas avec la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui donnent la primauté aux engagements internationaux comme nous le verrons plus loin.

2.2 Le cas des normes internationales

La question de la place des normes internationales et en particulier des normes communautaire n’est pas sans posé de difficulté. En effet, ces normes n’ont pas toujours reçus un accueil très favorable dans l’ordre interne. Cependant, la question ne se pose pas dans les mêmes termes selon que la norme internationale se trouve confronté à la norme Constitutionnelle ou aux normes infra-constitutionnelle.

2.2.1 La primauté du droit communautaire sur la constitution

En revanche en ce qui concerne la norme constitutionnelle, la position des juridictions françaises est sensiblement différente. Les juridictions nationales françaises résistent encore. En effet, elles refusent toujours la supériorité des traités (international et communautaire) sur la Constitution (CE. Ass. 30 octobre 1998, Sarran et Cass. 2 juin 2000, Fraisse).

Le Conseil d’Etat estime que la suprématie conférée par l’article 55 aux traités sur les lois « ne s’applique pas aux dispositions de nature constitutionnelle ». Celles-ci sont incontestables et le juge administratif, juge interne, se veut garant de la primauté de la Constitution sur le traité. Cette position sera réaffirmée dans l’arrêt « CE Ass, 5 mars 1999, Rouquette ». Dans l’arrêt Fraisse, la C Cass reprend le même raisonnement que le Conseil d’Etat.

En ce qui concerne le Conseil Constitutionnel, dans un premier temps, il affirmait que le droit communautaire comme tous les traités avait un rang inférieur à la Constitution. Puis, compte tenu de la spécificité du droit communautaire, il a, par une décision du 10 juin 2004, assoupli sa position. Il se refuse à contrôler la constitutionnalité des lois qui transposent mécaniquement les directives communautaires puisqu’un tel contrôle reviendrait à apprécier la constitutionnalité de la directive laquelle revient à la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Prudent, le Conseil Constitutionnel a ainsi institué une réserve de constitutionnalité. D’une part, l’article 88-1 de la Constitution consacre la primauté du droit communautaire en ce que la transposition doit être assurée. Mais d’autre part, cette primauté reste inopposable dans l’ordre juridique interne aux dispositions de la Constitution française puisque « La transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait faire obstacle qu’en raison d’une disposition expresse de la Constitution » (CC 10 juin 2004, « Loi pour la confiance dans l’économie numérique).

2.2.2 La primauté du droit communautaire sur les normes infra constitutionnelles

La primauté du droit communautaire sur les normes infra constitutionnelle découle du droit communautaire lui-même mais également de la Constitution. En ce qui concerne le droit communautaire, si les traités ne le formulent pas explicitement, la jurisprudence de la CJE l’affirme notamment dans son arrêt de 1964 Costa c/ Enenl. L’article 55 de notre constitution dispose également que les traités internationaux régulièrement ratifiés ont une valeur supérieure aux lois. Par voie de conséquence, le droit communautaire originaire comme le droit communautaire dérivé prime sur la loi et a fortiori sur les autres normes infra législatives.

Toutefois, cette solution ne fut pas celle qui s’imposa en droit français. Le Conseil constitutionnel dans une décision IVG de 1975 s’était reconnu incompétent pour contrôler la conformité d’une loi (sur l’avortement) à une norme internationale (en l’espèce la Convention européenne des droits de l’homme). Le Conseil estimait qu’une loi pouvait être conforme à la Constitution tout en étant contraire à un traité mais que son office s’arrête au contrôle de conformité de la loi par rapport à la Constitution. Il renvoyait ainsi le soin au juge ordinaire de faire le contrôle de conformité des lois par rapport au traité. La cour de cassation accepta sans difficulté d’exerce ce contrôle (décision Jacques Vabre 1975). De son coté le Conseil d’Etat se montra beaucoup moins enthousiaste. Il acceptait d’exercer son contrôle sur les lois antérieures à un traité mais refusait de le faire pour les lois postérieures estimant que cela revenait à faire un contrôle de constitutionnalité déguisé (CE 68 syndicat général des fabriquant de semoule).

Cette position est conservée jusqu’en 1989. Par un arrêt Nicolo l’assemblée de la haute juridiction accepte de contrôler les lois même postérieures à un traité. Cette solution sera ensuite étendue aux règlements et directives communautaires (arrêt Boisdet du 24 février 1990 pour les règlements et SA Rothmans International France et Philip Morris du 28 février 1992 pour les directives).

Enfin, il faut encore noter que le Conseil d’Etat a considérablement fait évoluer sa position sur la question de l’applicabilité directe des directives.

Selon le droit communautaire lui-même, les directives ne sont pas directement applicables puisqu’elles doivent faire l’objet d’une transposition en droit interne. Toutefois, la pratique montre que les directives sont de plus en plus claires et précises. Fort de ce constat la jurisprudence de la CJCE a fini par considérer que les directives pouvaient, sous certaines conditions être directement applicables.

La controverse survient dans un arrêt du Conseil d'Etat Cohn-Bendit du 22 décembre 1978. En effet, la juridiction suprême de l'ordre administratif en prenant comme base légale l'article 189 du traité de Rome considère que quelles que soient les précisions que les directives contiennent, elle "ne sauraient être invoquées.. à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel". Cette décision revient à annuler l’effet direct des directives et donc à en revenir à la lettre du traité. Le conseil D’Etat va ensuite assouplir sa jurisprudence en admettant que dans certains cas bien déterminés la directive, si elle n’est pas directement applicable peut être invoquée devant le juge (renvoie).

Dans son arrêt Mme Perreux du 30 octobre 2009, le Conseil d'Etat a choisi de consacrer le principe de l'invocabilité de substitution. C'est à dire, d'évincer le droit national contraire à la directive mais en même temps de permettre la mise en œuvre des dispositions inconditionnelles et précises contenues dans la directive.

Deux décisions particulièrement importantes ont été rendues par le Conseil d'Etat, le 8 février 2007 sur la question toujours sensible des rapports entre le droit interne et le droit international méritent encore d’être développées.

Dans une première affaire, « Société Arcelor » (n°287110), le Conseil d'Etat avait à résoudre l'épineuse question posée par une directive communautaire, visant à mettre en œuvre les dispositions du protocole de Kyoto sur la limitation de l'émission de gaz à effet de serre. La société requérante arguait, notamment, que le décret du 19 août 2004 qui avait pour objet de transposer la directive susmentionnée du 13 octobre 2003 en droit français portait atteinte aux principes constitutionnels de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété. Autrement dit, contester la conformité à la Constitution du décret de 2004 revenait à contester la conformité à la Constitution de la directive de 2003. Contrairement à sa position antérieure, le Conseil d'Etat a jugé que, dans cette situation, il lui appartenait « de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, (...) garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué ». Ce qui revient à dire que pour juger de la constitutionnalité du décret, le juge administratif va vérifier que la directive communautaire est elle-même conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire. Cette décision est particulièrement novatrice car, si on savait depuis longtemps que le juge administratif était le juge naturel du contrôle de la conformité du droit interne français au droit communautaire (CE, 20/10/1989, Nicolo), c'est la première fois que le Conseil d'Etat se déclare compétent pour juger de la conformité d'une norme européenne par rapport à une autre norme européenne. Cette position jurisprudentielle est susceptible d'avoir des conséquences importantes pour l'administration territoriale en cas de contentieux, dans les secteurs « classiques » des politiques publiques européennes tels l'environnement, les marchés publics, la politique de cohésion, l'aide aux entreprises, etc.

Dans une seconde affaire, « Gardedieu » (n°279522), le Conseil d'Etat a jugé que l'Etat pouvait être responsable du fait d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France. Une loi du 25 juillet 1994 avait été prise pour s'appliquer immédiatement dans des litiges alors en cours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Cela revenait à changer les "règles du jeu" en cours de procès. Une des "victimes" de cette loi a fait valoir qu'une telle pratique revenait à méconnaître l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), qui consacre le droit à un procès équitable. Le Conseil d'Etat lui a donné raison en condamnant la France à lui réparer le préjudice causé par le vote d'une loi contraire à un traité international dont la France est partie.

Encore plus récemment, le Conseil d’Etat a poursuivi l’intégration du droit communautaire dans le droit interne. Ainsi, par un arrêt « Mme A… » du 30 octobre 2009 (n°298348), le juge a estimé que tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours contre un acte administratif non réglementaire, « des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive », lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis, les mesures de transposition nécessaires. Ce qui signifie également que les autorités nationales, après l’expiration des délais impartis, ne peuvent laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer à faire application de règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. Et c’est au juge national, juge de droit commun de l’application du droit communautaire, de garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de ce droit.

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