Les nouvelles sources de croissance : innovation, entrepreneuriat, croissance verte

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Philippe Frouté, Maître de conférences des Universités
Dernière mise à jour : mars 2017

Les modèles de croissance endogène sont basés sur l’accumulation et la diffusion des connaissances. L’intérêt de ces modèles est qu’ils permettent de pallier deux manques des modèles des générations précédentes, notamment le modèle néoclassique de Solow. D’une part, comme les rendements de la connaissance sont constants, les modèles de croissance endogène permettent d’étudier les conditions d’existence d’une croissance continue à long terme. D’autre part, en endogénéisant les conditions d’accumulation du progrès technique, ces modèles permettent d’orienter les politiques économiques en faveur de l’accumulation des connaissances qui vont générer de la croissance de long terme. Parmi les nouvelles sources de croissance les plus étudiées on trouve les politiques en faveur de l’innovation (section 1), du développement de l’entrepreneuriat (section 2) et du développement d’une croissance verte (section 3).

1. Innovation et croissance

Les politiques en faveur de l’innovation sont au cœur des agendas politiques qu’ils soient locaux, nationaux ou supranationaux. Au niveau européen, de 2000 à 2010, l’agenda de Lisbonne a fixé comme objectif de permettre à l’Europe de devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde. Parmi les objectifs intermédiaires, l’agenda de Lisbonne fixait également un niveau de dépenses d’investissement de R&D à hauteur de 3 % du PIB. Chaque Etat-membre de l’Union européenne devait ensuite mettre en œuvre des politiques appropriées pour remplir cet objectif. Les objectifs de l’agenda de Lisbonne n’ont pas été atteints. L’étude des modalités de contribution de l’innovation à la croissance reste donc à développer. Quels sont les principaux enseignements des modèles existants ?

1.1. Joseph Schumpeter et le cycle de l’innovation

Au niveau théorique, l’analyse de l’innovation et de ses effets a été réalisée par Joseph Schumpeter dans ses travaux sur le processus de destruction-créatrice liée aux cycles d’affaire. Joseph Schumpeter relie le concept d’innovation aux cycles de très long terme, d’une durée de 40 à 60 ans. La hausse des prix, de la production et de l’emploi observée lors des phases ascendantes des cycles s’explique par l’introduction d’innovations qualifiées de majeures (machines à vapeur de la première révolution industrielle, internet et la révolution numérique etc.). Joseph Schumpeter relève que les innovations apparaissent par grappes puis se diffusent à l’ensemble de l’économie. La fin du processus de diffusion des innovations marque l’entrée dans la phase descendante du cycle de Kondratiev. La fin du cycle s’achève lorsqu’un nouveau cycle d’innovations se met en place. La vision schumpetérienne peut être qualifiée de mésoéconomique. Les études plus contemporaines adoptent une perspective à la fois macro et microéconomique, en s’attachant notamment aux dépenses d’investissement en R&D des entreprises destinées à favoriser l’innovation.

1.2. L’investissement en R&D et le modèle de Paul Romer

Paul Romer a étudié l’investissement en R&D dans le cadre d’un modèle de croissance endogène où il introduit des hypothèses sur les incitations à entreprendre ces dépenses d’investissement de la part des entreprises. Ce faisant, il complète l’approche de Robert Lucas centrée sur l’accumulation de capital humain de la part des employés qui vont leur permettre d’utiliser à bon escient les innovations et de les développer. Le dilemme auquel se trouvent confrontées les entreprises est que la constance des rendements de la connaissance issus des dépenses en R&D repose sur le fait que les connaissances soient diffusées et partagées par tous. Ce faisant un investisseur privé n’aura pas d’incitation à investisseur car la connaissance est un bien non rival. En effet, l’entreprise aura intérêt à attendre qu’une autre entreprise engage les dépenses nécessaires de R&D car elle pourra bénéficier de cette connaissance sans devoir en supporter les coûts d’acquisition.

Paul Romer résout ce dilemme en introduisant la possibilité de privatiser les résultats de la R&D par des brevets notamment. Ce faisant, les entreprises vont acquérir un droit de propriété sur l’innovation qu’elles vont pouvoir rentabiliser. Plus précisément, Paul Romer envisage une situation où existent trois marchés interconnectés qui vont décrire les conditions de production et de diffusion de l’innovation. Le premier marché est un marché concurrentiel où naissent les innovations. Il correspond à l’univers des start-ups qui vont prendre des risques pour introduire les innovations dans l’économie. La taille des entreprises dans ce secteur est souvent petite et leur durée de vie courte. Le deuxième marché est un marché intermédiaire où les entreprises ayant développées une innovation viable peuvent en tirer profit notamment grâce aux dépôts de brevets. Ce marché est donc un marché où la concurrence est de nature monopolistique. Sur ce marché, les entreprises vont opérationnaliser les usages des innovations avant de pouvoir les distribuer sur le marché final concurrentiel où l’innovation atteint les consommateurs.

Toutefois, la non-rivalité de la connaissance peut conduire les entreprises à sous-investir en R&D si le pouvoir de monopole octroyé par les brevets ou la protection de la propriété intellectuelle est insuffisant. Cette situation s’apparente à une défaillance de marché et peut justifier une intervention de la puissance publique pour inciter les entreprises à investir dans la R&D. Cette intervention peut prendre la forme de subventions par exemple.

Le système de brevets peut toutefois présenter des défaillances, renouvelant les approches de Joseph Schumpeter, Philippe Aghion illustre les limites du système de brevets et de l’intervention publique dans un modèle décrivant une course aux brevets.

1.3. Philippe Aghion et la course aux brevets

Dans un article traitant des liens entre innovation et politique de la croissance Philippe Aghion décrit comment les dépenses de R&D augmentent la probabilité de découvrir une innovation. L’innovation procure un avantage comparatif aux entreprises qui les découvrent. Ce faisant, les entreprises vont avoir intérêt à innover le plus souvent possible pour préserver le pouvoir de monopole octroyé par les brevets. Le modèle de Philippe Aghion se distingue des modèles traditionnels de la croissance endogène et de Joseph Schumpeter car le rythme d’accumulation de la connaissance peut varier en fonction du comportement des entreprises. Dans ce modèle, les innovations peuvent ne pas arriver à saturation avant d’être remplacées par des nouvelles. Ce faisant, il est possible que l’accumulation des innovations aille trop vite et que la puissance publique doive freiner la course aux brevets en réduisant les subventions à la R&D par exemple.

L’analyse développée par Philippe Aghion remet l’entrepreneur au cœur de la théorie. Les modèles de croissance endogène repensent en effet le rôle de l’entrepreneuriat dans l’obtention d’une croissance durable.

2. Entrepreneuriat et croissance

Les modèles de croissance endogène ne sont pas les premiers à mettre en avant la figure de l’entrepreneur dans l’origine de l’accumulation du capital. Joseph Schumpeter avait déjà placé l’entrepreneur au cœur du processus d’innovation dans la théorie de l’évolution économique. Les modèles de croissance endogène repensent l’entrepreneur et sa capacité à générer l’innovation. Le développement de l’entrepreneuriat peut promouvoir une croissance durable et éviter de tomber dans des phénomènes de trappe à pauvreté.

2.1. L’entrepreneur schumpetérien

Pour Joseph Schumpeter le processus d’innovations que nous avons décrit plus haut nécessite que des individus soient en mesure de développer les innovations. Ces individus sont les entrepreneurs. Un entrepreneur est un individu qui possède des idées et a la capacité de les faire fructifier en générant des profits. C’est donc la quête du profit, que l’on peut analyser comme étant la rente liée à la mise en place des innovations sur le marché, qui motive les entrepreneurs. Cependant, toutes les innovations ne réussissent pas. Le lancement d’une innovation implique donc une prise de risque. L’entrepreneur est un preneur de risque.

Dans la théorie schumpetérienne, les phases ascendantes des cycles de Kondratiev où se développe l’innovation sont caractérisées par l’apparition de grappes d’innovations. Ceci implique qu’il existe des grappes d’entrepreneurs. Les phases descendantes impliquent l’apparition de grappes d’échecs. Plusieurs auteurs mettent en avant le rôle joué par l’éducation dans l’apparition de ces grappes. Par exemple, certains mettent en avant le rôle joué par les écoles développant l’approche Montesorri pour développer la créativité chez des individus comme Jeff Bezos, fondateur du site de ventes en ligne Amazon.

Toutefois, l’apparition des innovations n’est bien souvent pas le fait d’une seule et unique personne mais d’un groupe, groupes d’étudiants de Harvard par exemple, avec le développement du site de réseau social Facebook autour de Mark Zuckerberg. Cette caractéristique est au cœur des travaux de Peter Diamond et sa théorie des externalités de recherche.

2.2. Peter Diamond et les externalités de recherche

Les travaux de Peter Diamond relatifs aux externalités de recherche peuvent être reliés au modèle de Paul Romer que nous avons présenté plus haut. L’idée de Peter Diamond est que le passage du marché de l’innovation au marché des biens intermédiaires puis du marché des biens intermédiaires au marché final nécessitent une coordination fine entre les différents acteurs de ces marchés. Plus précisément la difficulté réside dans la découverte de partenaires commerciaux adéquats. Le modèle de Peter Diamond est utilisé pour étudier les décisions d’externalisation et le développement de la sous-traitance.

La diffusion des innovations nécessitent ainsi de pouvoir créer des réseaux entrepreneuriaux. Peter Diamond considère les gains potentiels pour cette diffusion si l’entrepreneur est lui-même intégré à un réseau ou cluster. C’est la même idée qui sous-tend le système français des grandes écoles qui contribuent à créer des réseaux d’élèves qui deviendront des réseaux professionnels. Toutefois, ce système se heurte à la reproduction des modes de pensée qui obère les capacités de développement de nouvelles idées susceptibles de mener à l’émergence d’innovations.

Ainsi, la capacité des entrepreneurs à porter leurs projets nécessite une aptitude à intégrer des réseaux entrepreneuriaux qui contribueront à l’émergence des innovations génératrices de croissance. Dans le cas contraire, on peut aboutir à des situations de blocage comme les trappes à pauvreté décrites par Jeffrey Sachs.

2.3. Jeffrey Sachs et les trappes à pauvreté

L’idée de Jeffrey Sachs développée dans son ouvrage, la fin de la pauvreté, est que l’entrée sur le marché de l’innovation est coûteuse. Par exemple, la recherche de financement répond à des modalités spécifiques comme le recours au capital risque pour les jeunes entreprises. L’apprentissage de ces règles est long et coûteux. Jeffrey Sachs s’intéresse aux économies en développement et montre que ces pays souffrent d’un retard important dans l’apprentissage de la création et de la diffusion de l’innovation ce qui obère à terme leur croissance et explique en partie les difficultés de convergence des économies à l’échelle mondiale. Les pays en retard le reste de façon durable car ils ne parviendront pas à générer de la croissance durable faute d’appartenir au bon réseau.

La solution préconisée par Jeffrey Sachs est de promouvoir l’éducation et de diminuer les barrières à l’entrée à l’accès au réseau de connaissance. Il s’agit également de promouvoir la création de réseaux d’entreprises, les clusters d’entreprises, à l’image du développement des pôles de compétitivité dans le modèle de la célèbre Silicon Valley californienne. Dans ce sens, les choix de localisation des entreprises deviennent des décisions hautement stratégiques pour les entreprises.

L’entrepreneur illustre sa capacité à prendre de bonnes décisions dans sa capacité à intégrer les bons réseaux d’entreprises qui lui permettront de réaliser des profits conséquents en diffusant l’innovation dont il est à l’origine.

Un secteur de l’économie qui devient majeur aujourd’hui concentre ces difficultés. Il s’agit de l’économie verte qui peut être à l’origine d’une croissance importante mais se trouve confronté à une incertitude importante sur les effets de long terme des mesures prises ou non prises aujourd’hui.

3. La croissance verte

En 2011, l’OCDE a publié un document à l’attention des chefs d’Etat intitulé Stratégie pour une croissance verte. La croissance verte y est définie comme la promotion de la croissance économique et du développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux dont dépend notre bien-être. L’idée est de faire en sorte que les actifs naturels puissent fournir de façon durable tout leur potentiel économique : fournir les services essentiels au maintien de la vie comme la pureté de l’air et de l’eau, préserver la biodiversité. En d’autres termes, les actifs naturels ne sont pas indéfiniment substituables.

3.1. Des objectifs globaux

La promotion de la croissance verte préconise une approche de la soutenabilité dans la version forte de la notion et non sa version faible. En effet, depuis la première conférence mondiale sur le climat en 1979 et la mise en place du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 1988) rares sont ceux qui remettent en cause les effets de l’action humaine sur le changement climatique. Si des débats persistent sur l’ampleur de ces effets (climato-scepticisme), l’existence d’effets de seuil et les conséquences liées à l’irréversibilité des changements sont au cœur des agendas politiques comme en témoignent les COnférences des Parties (COP) qui se réunissent annuellement depuis la ratification en 1994 du sommet de la terre de Rio de 1992. La dernière COP s’est déroulé au Maroc à Marrakech en 2016 (COP22) après la conférence de Paris (COP21).

3.2. Le double dividende

La stratégie de croissance verte est centrée sur les synergies entre les politiques économiques et environnementales. L’idée est celle de l’existence d’un double dividende. Par exemple, la réduction des déchets issus de la production et de la consommation permet à la fois d’atténuer la consommation énergétique et de préserver l’environnement et d’améliorer la productivité donc la croissance. Les incitations à une production écologiquement responsable ainsi qu’à la recherche du développement d’innovations en la matière sont destinées à accompagner ce processus.

Deux stratégies sont privilégiées :

  1. l’aide au développement d’innovations par une politique de subvention (crédit d’impôt pour la transition énergétique par exemple),
  2. le renchérissement du coût de la pollution (ecotaxe sur l’achat ou la location d’un véhicule polluant liée au volume de CO2 émis par ce véhicule par exemple).

Ces deux catégories de mesures s’inscrivent dans la lignée des recommandations d’Arthur Cecil Pigou consistant à internaliser les externalités. Le débat consiste ici à trouver la bonne évaluation de l’externalité. Quel prix attribuer à la préservation de l’environnement ?

3.3. Des estimations délicates

En 2006, l’économiste Nicholas Stern a rédigé un rapport sur l’économie du changement climatique pour le gouvernement britannique estimant qu’un investissement de 1 % du PIB dans les énergies renouvelables permettrait d’éviter des pertes de revenus estimées entre 5 % à 20 % par an sur le long terme suite à la disparition des énergies non renouvelables et du capital naturel de la planète. Toutefois, selon les marchés considérés, les estimations sont très variables. L’économiste français Christian Gollier estimait en 2010 qu’en France le développement de l’industrie photovoltaïque ne générait pas de gains véritables en termes de réduction des émissions de CO2 mais des pertes avec des coûts sociaux trente fois supérieurs aux gains monétaires affichés.

Les irréversibilités posent en outre la question de la dépendance envers le sentier de croissance suivi. De façon similaire aux effets d’hystérèse décrits par Olivier Blanchard et Lawrence Summers en matière de chômage, la trajectoire environnementale d’un pays et de la planète dans son ensemble est étroitement liée aux évolutions historiques qui ouvrent des opportunités de développement mais peuvent également les faire disparaître. En outre, cette trajectoire est liée à celles des autres secteurs de l’économie notamment le marché de l’emploi dans les filières environnementales.

3.4. Les nouveaux métiers de l’environnement

Ainsi, l’économie verte peut générer la création de nouveaux métiers grâce au développement d’innovations. Ce faisant, elle se heurte aux mêmes difficultés que celles présentées dans les sections précédentes, à savoir, la capacité de transformer une innovation en un produit final (voir le modèle de Paul Romer section 1) ou la capacité de trouver des réseaux entrepreneuriaux permettant l’opérationnalisation des innovations (voir le modèle de Peter Diamond section 2). A cette fin, un observatoire national des emplois et des métiers de l’économie verte a été créé en 2010 avec pour mission d’identifier et de mieux cerner les emplois de l’économie verte dans un contexte de réorientation du modèle économique national. Selon une étude du Commissariat général au développement durable sur le marché de l’emploi de l’économie verte, les emplois dans ce nouveau secteur représentait en 2011 près de 4 % de l’emploi total en France et se trouvait en forte croissance +4,6 % en 2010 ce qui représente une hausse supérieure de 0,5 point comparativement à la hausse moyenne observée dans les autres secteurs de l’économie la même année.

L’ensemble de ces débats doit en outre être envisagé dans un cadre international où s’effectuent les échanges entre les différents partenaires économiques et qui de génèrent de nouvelles dynamiques mais également des déséquilibres.

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